Le décret annonçant la création de la Mission interministériel de vigilance et de lutte contre les dérives journalistiques (Miviludej) est paru au Journal officiel ce mercredi 27 avril 2016. Son président nous accorde sa première interview.
Débredinoire.- Qu’est-ce qui a motivé la création de cette instance ?
Marcel Disko.- Cette instance a vu le jour après l’échec de différentes tentatives de créer en France un organe de régulation. La profession journalistique est l’une des rares en France à ne pas s’être organisée pour faire le ménage dans ses pratiques déviantes à l'échelle nationale. Les organisations professionnelles et les syndicats n’ont pas réussi à s’entendre pour élaborer une veille sur ces comportements dommageables pour nos concitoyens et la démocratie. Ainsi, de nombreuses dérives ne sont pas sanctionnées. Or, pour la qualité du débat démocratique, la plus grande rigueur doit être apportée à l’élaboration des nouvelles. Rappelez-vous ce que disait Hannah Arendt : « La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat ».
- Mais en créant une instance gouvernementale, n’empiétez-vous pas sur la liberté de la presse ?
- La liberté d’expression est une liberté fondamentale reconnue par notre Constitution. En effet, son exercice « est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ». La loi du 29 juillet 1881 stipule clairement que « l’imprimerie et la librairie sont libres ». Et l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Mais il précise, et c’est là que la responsabilité de l’État intervient : « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
C’est parce que ces abus ne sont pas suffisamment réprimés, et en l’absence d’une autorégulation efficace des professionnels de l’information, que nous agissons. Notre objectif premier est de veiller à ce que nos concitoyens ne soient pas manipulés par les médias comme ils le sont trop souvent aujourd’hui.
- N’y a-t-il pas un risque que cette instance fonctionne de façon arbitraire ?
- La Miviludej est placée sous la responsabilité du premier ministre. Interministérielle, elle aura des liens étroits avec toutes les administrations importantes aux niveaux national et local. Ses membres ne visent que l’intérêt général. Ils rendront un rapport tous les ans afin que leurs activités soient connues de tous.
Je précise que, bien évidemment, nous ne nous battons pas « contre » les médias mais uniquement contre leurs agissements dérivants.
Pour être complet, j’ajoute que nous travaillerons en étroite collaboration avec les associations qui luttent contre les excès des médias et qui défendent leurs victimes. Nous déposerons d’ailleurs très prochainement un projet de loi pour que ces associations soient reconnues d’utilité publique.
- Qu’appelez-vous « agissements dérivants » des médias ?
- Ils sont innombrables : erreurs, affabulations, reprises des rumeurs sans vérification, mensonges, amalgames, partis pris outranciers, mises en scène, refus de corriger ou d’accorder un droit de réponse, pression invisible de la publicité, conflits d’intérêt chez les patrons de presse, atteintes à la vie privée ou à la présomption d’innocence, « ménages », copinages, etc.
C’est un véritable fléau social dont les victimes, qui n’ont pas toutes les moyens de saisir la justice, sont abandonnées à leurs souffrances.
Et puis, il y a une difficulté : comme la justice consacre la liberté d’expression, elle ne saisit pas toujours la manipulation qui sous-tend nombre d’articles ou d’émissions. Nous réfléchissons d’ailleurs à la création d’un nouveau délit qui serait « l’abus journalistique de crédulité ».
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