L’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) vient de rendre public son deuxième rapport annuel. Un recueil riche en descriptions de dérives médiatiques et en analyses pertinentes sur le travail journalistique. A quelques petits bémols près.
Ce 2e rapport annuel de l'Observatoire de la déontologie de l'information (ODI) a été rendu public lors des 8es Assises internationales du journalisme et de l’information, le 17 octobre 2014, à Metz.
Dans le message adressé aux Assises, la ministre de la culture et de la communication Fleur Pellerin a estimé que l’ODI est « à [s]es yeux une étape précieuse vers la structuration d’une déontologie du journalisme en France » et « peut constituer le socle d’une véritable autorégulation de l’information à la française et constituer le socle d’une véritable autorégulation de l’information à la française ».
Pour consulter ce rapport, cliquez sur l'image ci-jointe.
En tant que membre co-fondateur de l'Association de préfiguration d'un conseil de presse (APCP), elle-même membre de l'ODI, j'ai formulé quelques remarques sur ce texte. Les voici :
La difficile indépendance du journalisme par rapport à son employeur
« - § 2.1 : La référence à l’article 3b de la convention collective, à propos de l’utilisation de Twitter par les journalistes, mériterait discussion. Ici, elle est présentée comme allant de soi :
« Il faut rappeler l’article 3b de la Convention collective des journalistes : « Les organisations contractantes rappellent le droit pour les journalistes d’avoir leur liberté d’opinion, l’expression publique de cette opinion ne devant en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise de presse dans laquelle ils travaillent ». »
La discussion porte sur ce point : Qu’en est-il dans les cas où le devoir d’informer ou l’intérêt du public pourrait/devrait primer sur les « intérêts de l’entreprise » ?
Ces cas ne sont pas rares. L’on ne peut se contenter ni d’affirmer que l’expression publique d’un journaliste ne doit « en aucun cas » y porter atteinte… Quel tribunal déontologique, quelle tierce partie peut se saisir de ces cas de figure en l’absence d’un conseil de presse ? On ne peut laisser le journaliste seul avec sa conscience : c'est une question d'intérêt général.
Le rôle d'Internet et des médias sociaux sous-estimé
- Dans le même chapitre consacré au « rôle croissant d’Internet et des réseaux sociaux », leur impact est traité en un seul paragraphe (« Si les réseaux sociaux sont un outil d’alerte, de diffusion et de réaction sans précédent, (…) peut aussi amener les médias à modifier leurs pratiques au regard de la déontologie, pas toujours à bon escient »).
L’analyse me paraît superficielle et trop succincte. Internet et les réseaux sociaux ont produit une nouvelle donne qui bouleverse en profondeur tant les formes que le fond de l’activité journalistique.
Et, à mon sens, leur apport est bien plus bénéfique que ce qui est seulement dit ici. Leur influence mériterait un travail plus conséquent.
L'honnêteté ne suffit pas à remplacer l'objectivité
- Le § sur l’objectivité et honnêteté (dans « 4. Distinctions et précisions »), qui fait, je le sais, consensus dans la profession, me paraît en fait devoir être revisité (« L’objectivité journalistique n’existe pas. La pratique du journalisme repose sur une série de choix et les mots « objectif, objectivité » doivent être bannis à son sujet et réservés aux sciences exactes, les seules à pouvoir y prétendre. Les journalistes préfèrent donc parler d’honnêteté dans leur travail »).
Pour plusieurs raisons :
- Si l’objectivité était possible, demanderait-on au journaliste d’être objectif ? Oui, en tout cas le public l’exigerait. Si l’on pense que non, il faudrait expliquer de quel droit le journaliste pourrait faire passer son point de vue avant celui du constat objectif (le public serait d’accord pour qu’il le place après).
- Il est vrai que l’objectivité totale est impossible, y compris d’ailleurs pour les sciences « exactes », comme le reconnaissent aujourd'hui les épistémologues. Il est impossible, quel que soit le domaine examiné, de faire totalement abstraction du sujet qui observe et relate. En sciences, on parle aujourd’hui d’« objectivité faible » pour désigner une connaissance qui fait l’objet de consensus et qui est reproductible par tous, mais qui est toujours susceptible d’amendement ou de dépassement.
- L’honnêteté ne peut suffire à remplacer l’objectivité. Je peux être honnête et naïf ou manipulable ou ignorant ; honnête et partial (je peux croire honnêtement être juste ou dans le vrai en privilégiant telle source ou tel point de vue) ; etc.
Le devoir d’objectivité, à mon avis, comme celui de vérité, demeure comme horizon, que cet horizon soit atteignable ou non.
Simplement, l’objectivité n’est plus à attendre seulement de l’attitude morale du journaliste, mais des conditions concrètes d’élaboration de son information : A-t-il été sur le terrain ? A-t-il interrogé toutes les parties en lice dans un conflit ? En a-t-il manifestement privilégié l’une sur l’autre ? A-t-il su faire la part entre faits et opinions ? Etc. Une analyse qui peut très bien être du ressort d’un Conseil de presse…
On peut alors reparler de l’objectivité d’une information, en l’abordant, non plus par l’attitude morale de son rédacteur, mais par le biais de sa procédure de fabrication.
> En attendant, je trouve très insuffisant ce remplacement à la mode de l’objectivité par l’honnêteté sans y joindre une exigence d’impartialité, d'objectivité ou de vérité concernant les faits rapportés (les opinions étant libres). C'est même là que se situe, à mon sens, le principal point faible de notre métier et l'origine principale de la défiance du public. Car si tous les journalistes acceptaient cette exigence d'objectivité concernant la présentation des faits (principe inscrit d'ailleurs noir sur blanc dans les statuts de l'AFP), ils accepteraient dans la foulée le principe du Conseil de presse, condition nécessaire (mais pas suffisante) d’un retour de la crédibilité. »