Démonstration par l’absurde : si la Miviludes ne réservait pas ses critères de définition de «secte» ou de «dérive sectaire» aux seules minorités spirituelles, elle devrait logiquement inclure l’église catholique dans sa liste d’organisations à combattre. Et pas seulement elle…
Les reproches faits aujourd’hui aux « sectes » en France sont bien connus : déstabilisation mentale, prétention à détenir la vérité, rupture avec la famille, exigences financières, prosélytisme, etc.
Si l’on ne retenait que ces cinq “indices”, la Miviludes, qui veille sur les « dérives sectaires », devrait logiquement inclure dans sa ligne de mire la première religion française. Celle-ci affiche en effet tout à fait officiellement dans sa charte fondamentale, le droit canon, qui est sa “constitution” actuelle, des principes qui sont considérés ailleurs comme des critères de "dérives sectaires".
Mais la religion catholique n'a pas à craindre les foudres de la mission interministérielle puisque que, sans être officiellement "reconnue", elle l'est tout à fait officieusement, comme le sont les autres grands courants religieux traditionnels.
Qu’apprend-on dans ce Code de droit canonique, réactualisé en 1983 ? En vrac, voici quelques extraits[1] :
- L’œuvre d’évangélisation ou activité missionnaire[2] est considérée comme un « devoir fondamental auxquels tous les fidèles, conscients de leur responsabilité, prennent leur part ». Non seulement le prosélytisme est accepté, mais il est un "devoir".
- L’Église possède son propre droit pénal auquel un livre entier est consacré avec 89 paragraphes sur les sanctions. Elle justifie l’existence de ce droit, « outre la tradition historique, dans le fait que l’Église constitue une société juridiquement parfaite tout comme l'état, et que le propre de toute société est de comporter un pouvoir coercitif sur ses membres ». Le canon 1311 « proclame le droit inné et propre de l’Église à contraindre, par des sanctions pénales, les fidèles qui violeraient ses lois ». On distingue les censures, qui peuvent être perpétuelles (excommunication, interdit, suspense), les peines expiatoires (interdiction de demeurer dans un territoire, privation d’un pouvoir, renvoi de l'état clérical, etc.), les remèdes pénaux (monitions, corrections), les pénitences. Une liste impressionnante décrit les différents délits passibles de répression.
De même, alors que le Christ commande clairement : « Tu ne jugeras pas ! », l’Église possède sa propre organisation judiciaire, très élaborée, qui « détermine avec précision les différents tribunaux ecclésiastiques, leurs compétences respectives et les règles générales de leur fonctionnement ». Seul le pape bénéficie du « privilège de juridiction » et « n'est jugé par personne ».
L'Association humaniste du Québec offre un "formulaire" d'apostasie à ceux qui désirent rompre avec la religion catholique.
- Parmi les délits sanctionnés par l’excommunication, on note l’apostasie (« rejet total de la foi catholique »), l’hérésie (« négation obstinée, après la réception du baptême, d'une vérité de foi ou le doute obstiné sur cette vérité ») et le schisme (« refus de soumission au pape ou de communion »).
- Le devoir de l’Église est de « garder saintement la vérité révélée, de la scruter profondément, de l’annoncer et de l’exposer fidèlement. Pour cela, elle est sûre de bénéficier de l’assistance de l’Esprit-Saint, garantissant son infaillibilité dans l’exercice de sa fonction d’enseigner ».
L'Eglise affirme donc toujours détenir LA vérité.
L’exercice de cette responsabilité de l’Église est « garanti par l’affirmation d’un droit de prêcher l’Évangile à toutes les nations, droit inné, affirme-t-on, pour marquer son caractère originaire par rapport aux pouvoirs humains ». Le canon 750 déclare : « On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu écrite ou transmise par la tradition, c’est-à-dire dans l’unique dépôt de foi confié à l’Église »[3].
- Le Code « parle de l’obéissance chrétienne à ce que les Pasteurs sacrés, comme représentants du Christ, déclarent en tant que maîtres de la foi ou décident en tant que chefs de l’Église ». Tous les clercs « doivent révérence et obéissance envers le Pontife romain ».
On doit obéir au pape et à la hiérarchie de l'Eglise avant d'obéir à sa conscience.
- Le canon 222 § 1 « impose aux fidèles l’obligation de subvenir aux besoins de l’Église. Cette obligation fonde le droit de l'Église à exiger de ceux-ci ce qui lui est nécessaire. (...) Lorsque les offrandes spontanées ne suffisent pas, il revient à la Conférence des évêques de fixer les normes selon lesquelles les fidèles seront appelés à contribuer aux charges de l'Église. (...) Le Code prévoit aussi la possibilité pour l’évêque diocésain, et pour lui seul, de lever avec prudence un impôt pour les besoins du diocèse ».
- Plusieurs canons abordent la question de la vie dans les instituts de la vie religieuse (ordres, congrégations, sociétés de vie commune, etc.). Le canon 667 emploie clairement le mot « séparation du monde »[4], séparation qui « doit résulter des ruptures qui se réalisent dans la pratique de la chasteté, de la pauvreté et de l’obéissance ».
Rupture d’ailleurs évoquée dans les Evangiles : « Quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle ». (Mathieu 19, 29).
Jésus-Christ : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. »
Ou encore : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je suis venu apporter, non la paix, mais l’Épée. Je suis venu mettre la division entre [les parents] et le fils, entre le fils et les parents, entre les frères et les frères, pour dresser l’homme contre son père et la fille contre sa mère, et l’homme aura pour ennemi les gens de sa propre maison. Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, ou qui aime son fils et sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » (Mt 10, 34)
Quelle “secte” pourrait en France afficher publiquement un tel programme sans être immédiatement et violemment combattue, faute d'en saisir le sens profond, comme antisociale[5] ?
L'église catholique est consciente des comportements répréhensibles qui peuvent apparaître chez certains de ses membres. Pour les combattre, elle a élaboré une grille d’identification des "dérives sectaires" à l’intérieur même de ses institutions. Si l'on peut regretter qu'elle reprenne à son compte la terminologie mal définie et propice aux amalgames destructeurs des adversaires de la diversité spirituelle, on peut en revanche la féliciter d'oser affronter ouvertement la question.
Et si chaque grande organisation humaine, pas seulement religieuse ou spirituelle, faisait de même ? En effet, la manipulation et l'abus de pouvoir sont fréquents dans pratiquement toute société humaine. Y compris dans les familles qui pourtant ne sont pas visées par les "antisectes". C'est pourtant là que les pires abus sont commis en nombre chaque année : femmes battues et tuées, enfants violés, aïeux escroqués, etc.
Enfin, last but not the least, l'Etat du Vatican, ne connaît pas la séparation des pouvoirs, telle qu'elle existe dans les démocraties. C'est une monarchie absolue. Voici ce que dit la loi fondamentale du 22 février 2001, la constitution de l'église catholique :
"Article premier
Le Souverain Pontife, souverain de l’État de la Cité du Vatican, a la plénitude des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire."
> Comprenons-nous bien. Si nous rappelons ces quelques vérités, ce n’est nullement pour critiquer la religion catholique. Nous ne prenons pas partie ici ni pour ni contre personne. Simplement, il est bon de rendre visible la différence injustifiée de traitement entre un groupe et un autre, selon que ce groupe est affublé d’une étiquette (religion) ou d’une autre (secte) tout en recouvrant à peu de choses près les mêmes réalités.
Si l’on (le gouvernement, les médias, l’opinion) se permet de faire ainsi deux poids deux mesures, c’est au nom de la tradition, de l'intolérance et du refus de la concurrence.
[1] Tirés du Précis Dalloz "Droit canonique".
[2] Passages en italiques = souligné par nous.
[3] La conviction que l’Eglise catholique est « l’unique véritable Église du Christ », notamment par rapport aux orthodoxes et aux protestants, a été réaffirmée à Rome, dans un document publié par le préfet de la Congrégation de la foi. Aucune autre église ne peut donc se considérer comme détentrice de la vérité.
[4] Cette « séparation » est proprement, d’ailleurs, parole d’Evangile : « Quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle ». (Matthieu 19,29). Cette parole, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, a été mal comprise. Elle n’incite nullement à séparer les familles (ce que les religions et certains mouvements ont malheureusement pris au pied de la lettre). Elle pourrait plutôt signifier que chacun, s’il veut vivre heureux et en harmonie au milieu de ses frères, doit faire triompher en lui l’amour de l’Amour.
[5] Si, par exemple, la circoncision n’était pas le fait de religions maintenant reconnues mais de nouveaux mouvements spirituels, quels cris d’orfraie, quelles dénonciations horrifiées de « mutilation physique sur enfants endoctrinés » n’entendrait-on pas !
> A suivre :
14 – Les “sectes” : des religions qui n’ont pas réussi ?
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