L’approche paternaliste et arrogante menée par la France est dangereuse et stérile. Elle entretient la naïveté et la vulnérabilité des citoyens face aux différentes formes d’influence au lieu de les aider à développer leur esprit critique et leur autonomie intellectuelle.
Résumé de l'article
- La politique "antisecte" de la France est un fiasco car les mouvements qu'elle prétend combattre prolifèrent
- Elle amalgame mouvements meurtriers et pacifiques sous le même vocable en s'acharnant sur les pacifiques (Nouvel Age, développement personnel...), laissant les autres prospérer
- Elle repose sur un concept, le lavage du cerveau ("l'abus de personne en état de sujétion psychologique"), qui n'est pas démontré scientifiquement
- Réduites à l'état de "victimes", les personnes "sorties de sectes" n'ont pas la possibilité d'une reconstruction fondée sur la vérité psychologique et relationnelle
- En prétendant dire qui est "secte" et pas "secte", cette politique entretient la passivité et la naïveté du public
- Elle délaisse complètement la prévention qui permettrait de développer l'esprit critique et d'accompagner les personnes à risque ou fragiles
- Dans le cas des groupes pacifiques, elle a toujours préféré la répression arbitraire à la recherche de médiation.
Contreproductive et dangereuse, la politique du gouvernement français est un échec, de l’aveu même de l’ancien président de la Miviludes, l’instance interministérielle chargée de la lutte contre les « sectes » et les dérives « sectaires » : Georges Fenech confessait lui-même être dépassé.
Coup de blues pour Georges Fenech, qui voit des "sectes" partout : malgré tout l’arsenal mis en place, le «phénomène» ne cesse de croître… Concept : JL ML.
Les « sectes » en effet se multiplient. Le mot englobe des formes extrêmement variées, toutes mises dans le même sac. Elles peuvent être ouvertement criminelles (Daech, Boko Haram…) ou supposées être des arnaques (scientologie, médecines douces…). Quoiqu'il en soit, meurtriers ou pacifiques, les « mouvements à caractère sectaire », selon la terminologie consacrée, prolifèrent et prospèrent.
La lutte « antisecte » est pourtant dotée d’un arsenal considérable, l’un des plus complets au monde et il se renforce sans cesse. Les associations « antisecte » pullulent de la même façon, en appui de cette politique.
Malgré cela, cette politique est un fiasco. D'abord, elle est dramatiquement démunie face à la fascination terroriste. Le député Georges Fenech, qui a présidé la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015, a dénoncé les failles du système de renseignement français. Il aurait tout aussi bien pu critiquer sa propre politique de lutte contre les « sectes » de 2008 à 2012, au cours de laquelle, en tant que président de la Miviludes, tout accaparé qu’il était à combattre la scientologie et quelques autres groupes spirituels, il n’a su ni voir ni empêcher la montée des « dérives sectaires » meurtrières…
De plus, cette politique se révèle tout aussi impuissante à enrayer un phénomène (le développement personnel Nouvel Age, assimilé à de la « dérive sectaire » par les autorités) qui s’infiltre partout dans la société.
Pas dans le bon sens
Pourquoi ce fiasco retentissant ? Parce que, depuis trente ans que cette politique a été lancée, non seulement elle s'est montrée partiale, s’acharnant sur les groupes non violents en ignorant la montée des terroristes, mais surtout elle n’appréhende pas la question dans le bon sens, celui de la réalité psychique de l’homme.
Le moyen le plus sûr d’échouer à résoudre un problème est de prendre des clichés, ou ses propres interprétations et croyances, pour la réalité. C’est ce qui se passe avec la question des « sectes » qui fonctionne plus sur le mode de l’irrationnel que sur la réalité de l’homme.
Le bon sens, ce serait d’abord de partir d’une vérité incontournable : quelle que soit la pression, physique ou psychologique, exercée sur une personne, nul ne peut penser à sa place à l’intérieur de cette personne.
Il peut certes l’influencer, la manipuler, la séduire, l’envoûter, la contraindre à agir, la droguer, etc. Il peut l’obliger physiquement à se comporter à l’inverse de son désir et même la réduire en esclavage.
Toujours, dans n’importe quel cas de figure, cette personne conservera en elle le choix entre ses pensées, le choix de ses pensées.
En prison, sous la torture même, cette alternative demeure. Dans L’Archipel du goulag, le dissident Soljenitsyne décrit l’émotion que lui procure la découverte de cette liberté insoupçonnée face à l’oppression qu’il subit : « Désormais, plus de doute, plus de fièvre, plus de remords – la pure lumière de la joie ! C’est cela qu’il fallait ! Et votre perception du monde devient si lumineuse que la béatitude vous inonde, encore que tout reste à faire ».
« Si puissantes que soient les forces qui torturent l’être humain, l’homme a la faculté de savoir qu’il est torturé et d’influencer ainsi de quelque façon, ses rapports avec son destin. Ce grain de pouvoir - permettant de prendre position, de décider d'une question aussi insignifiante soit-elle - ne se perd jamais », in Rollo May, Carl Rogers, Gordon Allport, Herman Feifel, Abraham Maslow, Psychologie existentielle, EPI, 1986.
De cette vérité découle les autres : il est impossible, contrairement à ce qu’affirment les militants antisectes pour justifier leur combat, de « capter la pensée » de quelqu’un, d’« annihiler son libre arbitre », d’avoir sur lui une « emprise totale » au point de pouvoir à sa place diriger sa pensée de l’intérieur.
Seul en son for intérieur
En conséquence, il est impossible d’ôter à l’homme sa spécificité et sa dignité d’être autonome et responsable, spécificité et dignité qui résident dans le fait qu’il est seul, en son for intérieur, à choisir ses pensées (même s’il peut être influencé).
Le concept de « lavage de cerveau » est un cliché largement répandu et qui demeure malgré sa non-validation scientifique.
Le cliché du lavage de cerveau
Des chercheurs américains avaient publié en 1961 le contenu de leurs travaux sur les prisonniers revenus de Chine ou de Corée et ayant subi un « lavage de cerveau ». Conclusion : l’efficacité de ces méthodes est quasi-nulle. Seule une infime minorité de prisonniers ayant subi un tel traitement a décidé de vivre en Chine et aucun de ceux qui sont revenus aux États-Unis ne s’est rallié au communisme.
Parallèlement, la CIA a engagé des recherches, de 1953 à la fin des années 1960, dans le but de mettre au point une technique de lavage de cerveau, par conditionnement, hypnose et usage de drogue. Ces expériences n’aboutirent pas. Selon Edward Hunter, cité par les auteurs, on peut « décolorer » un cerveau en le « lavant » – réduisant le sujet à un état d’hébétude – mais il est impossible de le « recolorer » en créant une nouvelle personnalité avec des idées opposées aux idées précédentes.
En 1986, l’American Psychological Association juge un rapport d’un comité d’enquête sur le lavage de cerveau comme non scientifique et l’American Sociological Association considère comme non prouvée l’application aux sectes de la théorie de la persuasion coercitive. En Italie, l’article 603 du code pénal, qui depuis 1889 punit le « délit de suggestion » (plagio), est déclaré illégitime par la Cour constitutionnelle en 1981. Les tribunaux américains ont estimé irrecevables les arguments faisant référence au « lavage de cerveau ».
- Source : Dick Anthony, Massimo Introvigne, Le lavage de cerveau : mythe ou réalité ? Paris, L’Harmattan, 2006.
Cela dit, s’il paraît impossible de reconditionner un cerveau pour qu’il suive la volonté d’un autre, ou de piloter ce cerveau de l’extérieur, l’objectif des antisectes de lutter contre l’exploitation des personnes est légitime. Mais la méthode qu’ils emploient, découlant de leur idée de lavage de cerveau (ou de « l’état de sujétion », le terme choisi par le législateur pour inscrire l’idée dans la loi), est erronée. Elle est donc forcément stérile et source d’autres souffrances et de nouvelles injustices.
Car c’est toujours un « je » humain unique – qui n’est pas une entité mais un acte (l’acte de diriger la conscience sur quelque chose) – qui accueille, adopte (ou non) telle proposition, telle affirmation, telle perspective de vie.
Oui, le « moi » (personnalité + caractère) peut être manipulé, trompé, etc. mais c’est toujours lui, en fin de compte qui décide de ce qu’il fait des pensées que son « je » lui présente. Pensées qu’il est seul à connaître et sur lesquelles il est seul à pouvoir jouer. Sa conscience peut d’ailleurs, à l’occasion, lui rappeler les éventuelles trahisons à ses propres valeurs de base, lui permettant un temps de se reprendre s’il va vraiment à leur encontre.
Quasi criminel de parler ainsi
L’erreur radicale et fondatrice de la lutte antisecte est d’ignorer, d’occulter cette vérité. Pour elle, une secte ou un gourou semble pouvoir « laver » le cerveau et – telle la petite douve du foie qui manipule la fourmi pour qu’elle se fasse manger par le mouton, son objectif principal –, le diriger de l’intérieur. Ce qui est une absurdité étant donné qu’aucun « je » ne peut entrer dans le « je » d’un autre.
C’est pourtant là la seule explication qui est donnée de comportements présentés comme extravagants, inconcevables (des jeunes « très bien » qui partent en Syrie par exemple).
C’est commode pour définir une cause, pour désigner un agent extérieur du mal. Mais c’est quasi criminel de parler ainsi car, en s’empêchant de comprendre en vérité les situations, on laisse le mal prospérer. Et même, on l’encourage.
D’ailleurs, l’action antisecte, si elle aboutit parfois à faire cesser des situations complexes et douloureuses (ce qui est une bonne chose), détruit trop souvent l’exercice, et même casse la vie, de gens honnêtes et bienfaisants, condamnés sous le syndrome du chien que l’on accuse de la rage pour le noyer[1].
Les victimes démunies
Parallèlement, cette politique laisse les « victimes » des « sectes » démunies face à une reconstruction extrêmement problématique car élaborée sur des bases fausses : non, l’errance que celles-ci ont connues dans leur relation de soumission n’est pas le fait seulement des soumettants ! Pour vraiment guérir, il leur est capital de chercher aussi à comprendre pourquoi elles ont adhéré : quelle crédulité, quelles croyances erronées, quelles peurs et quels espoirs, quelles idées toutes faites elles avaient préalablement entretenues, etc.
Exactement la même naïveté est à l’œuvre dans la croyance aux promesses d’un politicien ou d’un religieux habile et dans celle d’un groupe de fanatiques comme Daech. Seuls les contextes et les enjeux sont différents.
Ces personnes peuvent s’apercevoir alors qu’elles avaient sans doute laissé en friche leur vie intérieure, ou qu’elles s’étaient laissé porter au gré des multiples influences sans prendre conscience de celles-ci : publicité, religion, famille, idéologie, intérêt masqués, etc.
Pourquoi a-t-on besoin, à un moment ou à un autre de son existence, d’une aide, d’un guide ou d’un groupe de conviction ? Quand on veut guérir de souffrances ou d’un vide intérieurs très profonds, l’offre institutionnelle, officielle, est souvent démunie, au moins insuffisante. C’est le cas souvent, par exemple, pour les jeunes mal assimilés rendus fous de haine par l’hypocrisie des sociétés développées économiquement.
Comme, en outre, notre société ne favorise pas la recherche d’une vie épanouie sur le plan spirituel, comme les dogmes classiques ne tiennent plus leur ancienne position, l’aspiration à une vie plus haute, plus pleine de sens, ne trouve souvent pas de débouché sur le « marché » traditionnel.
Inculture et passivité
Ainsi, une inculture, une fragilité ou une passivité intérieure, peuvent expliquer à elles seules qu’une influence suggestive, par une personne charismatique ou un groupe à forte conviction, puissent entraîner ces personnes, en recherche de solutions autres que celles du « système », dans des voies qui ne sont pas forcément les meilleures pour elles.
Mais c’est une erreur dangereuse et attentatoire aux libertés les plus précieuses que de diaboliser par principe ces « gourous » ou ces groupes (hors les groupes ouvertement criminels) qui peuvent parfaitement convenir à d’autres personnes en recherche. On voit vers quoi, sevrées, se tournent aujourd’hui certaines de ces sensibilités perdues !
La meilleure solution est d’enrichir la culture et éveiller l’esprit critique.
Mais cet esprit critique doit tout autant s’exercer envers le fonctionnement des services de l’Etat ! On ne peut pas non plus avoir une confiance aveugle envers lui car il est constitué d’hommes faillibles qui peuvent à tout moment servir d’autres intérêts que l’intérêt général, y compris en matière de santé (voir scandale du Médiator et tant d’autres), même lorsqu’ils ne suivent que leurs convictions : ce n’est nullement une garantie de hauteur de vue.
Enfin, il faut mettre le paquet sur la prévention : favoriser la culture du débat et la confrontation avec la différence et ne jamais laisser les déshérités économiques et culturels sans accompagnement.
Bébé politique
Faire aveuglément confiance au Pouvoir pour savoir si un groupe est spirituel ou pas (cf. la liste des "sectes" de l'Assemblée nationale), bienfaisant ou non, lui qui a certains intérêts dans ce domaine (protéger l’industrie pharmaceutique, par exemple) et défend certains dogmes, ne serait-ce qu’à travers ses élus (sénateur Alain Milon : « Il n’y a qu’une médecine »), c’est démissionner de sa propre responsabilité, c’est rester un bébé politique qui a besoin de Papalétat pour penser à sa place. L’Etat n’a pas vocation, normalement, à statuer sur ces sujets.
Certes, tout le monde n’est pas armé de la même façon pour déceler d’éventuelles tromperies. C’est pourquoi la vigilance du Pouvoir demeure nécessaire. Mais cette veille ne doit pas se confondre avec une certification de la validité de la pensée et des choix de vie et de santé comme c’est le cas actuellement.
La réponse française à la question des « minorités non orthodoxes » et des médecines douces est, à la différence de ce qui se passe dans d’autres pays démocratiques, essentiellement d’ordre paternaliste et répressif.
En cas de conflit dans un cadre de minorité spirituelle, il serait plus sain, tellement plus humain, plus juste et plus efficace d’organiser des lieux et structures de conciliation et de médiation, et de n’aborder le plan pénal qu’en deuxième intention, si la médiation échoue.
Voilà, en République, l’accompagnement que la Patrie doit à ses enfants.
[1] Que ce soit à la Libération ou sous le maccarthysme, par exemple, c’est une réalité historiquement constatée que toutes les situations de combat contre des catégories ont servi à des vengeances ou des crapuleries personnelles.