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Déontologie journalistique : le « suicide de la vérité » ?

La revue de communication sociale et publique "Communiquer" publie un article "Publicisation et qualité de l'information : la polémique sur la chloroquine" dans lequel le regard critique de Jean-Luc Martin-Lagardette est repris en tant que fondement théorique pour l'analyse du fait médiatique de la polémique sur la chloroquine.

https ://journals.openedition.org/communiquer/8198 ?lang=en

L’exigence de vérité doit rester le 1er principe

Lors d’une conférence tenue à l’université de la Rochelle le 17 novembre 2022, à l’occasion du lancement du concours Promotion de l’éthique professionnelle par le Rotary, le journaliste Jean-Luc Martin-Lagardette explique pourquoi il est choqué par l’abandon du « respect de la vérité » comme premier principe du journalisme dans la nouvelle version de la Charte mondiale d’éthique des journalistes.

Un cylindre vert sur un damier à carreaux gris

Au pied du cylindre vert, les teintes des carreaux A et B paraissent opposées : gris foncé pour le carreau du haut ; gris clair pour celui en dessous.

Cette vision correspond celle du journaliste qui se contente de « respecter les faits ». Il voit, objectivement à ses yeux, un fort contraste entre les 2 carreaux.(et qui n'a plus à « respecter la vérité », comme le dit désormais la nouvelle Charte mondiale des journalistes) Et son article rendra compte de cet antagonisme, pour lui évident.

Si l’informateur ne se contente pas de « respecter les faits » qui se présentent à lui mais a l’idée d’approfondir les choses, il va, par exemple, projeter un tunnel entre A et B. Déjà, les deux carreaux lui semblent de couleurs plus proches l’une de l’autre.

le même cylindre vert sur le même damier avec un tunnel entre deux cases
Détail du tunnel entre les cases du damier

S’il poursuit sa recherche, il constate avec stupeur que les deux carreaux sont en fait exactement de la même intensité de teinte ! C’est seulement leur relation avec le contexte qui permet d’observer cette vérité. Ne s’étant pas contenté de « respecter les faits », conscient qu’il peut facilement être personnellement le jouet d’une illusion, il a poursuivi son « exigence de vérité ». Son article sera donc plus « vrai », plus juste, que celui de son confrère insuffisamment formé, naïf ou paresseux…

"Le journalisme, à l’échelle mondiale, guillotine la « vérité » ! Lors de son 30e congrès, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a adopté le 12 juin 2019 à Tunis une actualisation de la Charte mondiale d’éthique des journalistes.

Ce document vise à renforcer les normes déontologiques pour les journalistes dans le monde entier. Il contient des innovations et des clauses nouvelles susceptibles, en effet, d’adapter la profession aux nouveaux défis apparus dans le monde ces dernières années. J’en détaille les principales mesures dans un article paru le 19 juillet 2019.

Malheureusement, le nouveau code revient sur un des principes majeurs du métier. L’ancien article 1 (« Respecter la vérité et le droit que le public a de la connaître constitue le devoir primordial du journaliste ») est remplacé par  : « Respecter les faits et le droit que le public (...) ».

Jean-Luc-Conference- Rochelle
Jean-Luc Matin-Lagardette dans une conférence à la Rochelle

Abandonner cette quête et cette exigence est une démission et un danger pour la démocratie. Dans ma conférence à la Rochelle intitulée « Se connaître soi-même comme base de l’éthique journalistique », je m’efforce de montrer en quoi.

Or, à mes yeux, la quête et le respect de la vérité sont un devoir essentiel du journaliste, même s’il est difficile de définir ce qu’est cette valeur suprême. Sans cette exigence, n’importe quel fait, même rigoureusement décrit, peut, s’il n’est pas placé dans une recherche plus haute de justesse et de pertinence, servir un intérêt masqué (économique ou idéologique), le mensonge, la confusion, l’à peu près ou l’erreur."

Un article des « Cahiers du journalisme » propose une nouvelle définition de la profession

Le numéro des « Cahiers du journalisme » qui vient de paraître contient notamment mon article sur la question de savoir si le journaliste a le devoir ou non de « rechercher la vérité ».
L’occasion de proposer une nouvelle définition de la profession basée sur la pratique, l’épistémologie et la déontologie.

Tout le monde ayant aujourd’hui accès facile aux moyens d’expression de toute nature, chacun peut se croire journaliste. Et ce, d’autant plus facilement que les journalistes professionnels ne donnent pas toujours toutes les garanties souhaitées de rigueur, d’impartialité et de neutralité. Si bien qu’il devient difficile de déterminer ce qui distingue nettement l'information journalistique.

Et l’affaire s’aggrave quand on apprend que la Fédération internationale des journalistes (FIJ), vient d'acter (le 12 juin 2019) que "respecter la vérité" n'est plus le premier devoir du journaliste. Si le journaliste n’est plus attendu pour rechercher la vérité, de quel professionnel, ou de quel citoyen, cette exigence peut-elle alors être espérée  ?

Sur mon site et dans le dernier numéro des « Cahiers du journalisme » (été 2020), je m’élève contre cet abandon de la vérité comme horizon, abandon qui m’apparaît comme une démission de la part de la profession, au moins comme une facilité dommageable pour la citoyenneté.

Lire la suite sur le site des Cahiers.

J’y explique pourquoi, à mon sens, il faut garder cette exigence de vérité. Et comment on peut le faire. Ce qui me conduit à proposer au débat une définition épistémologiquement et déontologiquement construite.

Revue francophone de recherches et de débats

« Les Cahiers du journalisme », grande revue francophone de réflexion et de recherches sur le journalisme, « ont été conçus en 1995 à l’initiative de Patrick Pépin, alors directeur de l’École supérieure de journalisme de Lille, et du sociologue Pierre Bourdieu, qui en a signé le premier article. Dirigée par Bertrand Labasse, la nouvelle formule conjugue une partie « Débats », ouverte aux propositions des professionnels et des chercheurs sur le journalisme, et une partie « Recherches » qui accueille des travaux.

Publiée par les Presses de l’ESJ, désormais associées aux Presses de l’université d’Ottawa, les Cahiers rassemblent, en lien avec le Réseau Théophraste des centres francophones d’enseignement du journalisme, des équipes de l’École supérieure de journalisme de Lille, de l’Université d’Ottawa et l’Université Laval.

 

 

 

Face aux « fake news », savoir déceler chacun.e la vérité devient crucial

La confusion est telle, par la prolifération des sources d’information, qu’aucune d’entre elles ne peut être considérée comme entièrement fiable. D’où la nécessité, pour chacun.e de nous d’acquérir les techniques de base pour éliminer autant que faire se peut les risques d’erreur. Ce que propose la "démarche véritale".

Designer : Basile Morin.

Aujourd’hui, notamment face aux incohérences et contradictions révélées par la gestion de la pandémie en cours, la défiance est partout.

La population ne croit plus les instances officielles ni les médias classiques. Ces derniers, s’instituant « décodeurs » ou « débunkeurs » de l’information, prétendent trancher entre le "vrai ou le fake". Mais ils sont vus, souvent, comme des relais, voire des « complices », des pouvoirs politiques ou économiques.

Dans ce contexte, comment le citoyen peut-il s’y retrouver  ? Avide de savoir, il cherche et trouve alors sur Internet des personnalités combatives qui se disent lucides et non manipulées. Celles-ci diffusent articles et vidéos dévoilant des « faits cachés par les pouvoirs » et qui « prouvent » leurs mauvaises intentions à l’égard du « peuple ». Faut-il pour autant les croire entièrement  ?

Mon expérience de journaliste et de passionné d’épistémologie (l’étude des conditions qui président à l’élaboration d’un savoir fiable) me conduit à cette conclusion radicale  : ne vous fiez à personne, à aucun média ni à aucun pouvoir.

Apprenez à déceler par vous-même les critères d’une information crédible.

Mais également, ne vous défiez définitivement de personne, d’aucun média et d’aucun pouvoir. En effet, en chaque information, même manipulée, peut résider une part de vérité.

Et, en fin de compte, après ces efforts pour savoir ce qui est dit, apprenez à entendre et oser suivre votre for (guide) intérieur.

Pour vous aider, j’ai conçu la « démarche véritale », une méthode pour approcher au plus près de la vérité par le fait d’éliminer le plus possible les facteurs d’erreur. Car il est plus facile de prouver l’erreur que la vérité.

La démarche “véritale”, une méthode pour favoriser l’information responsable

 

Se former à l’esprit critique constructif

Le 1er mai 2020, j’ai tenu une vidéoconférence (voir le lien ci-dessous) devant une vingtaine de personnes, de tous âges et de différents milieux socioculturels, concernées par ces questions.


J’y ai partagé mon parcours personnel. Mon intérêt pour la déontologie et la recherche de la vérité (philosophique comme professionnelle) m’a conduit dès le début de ma carrière à m’intéresser à la qualité déontologique de l’information journalistique qui, malheureusement, est mal assurée dans notre pays.

J’explique mon combat pour la création d’un Conseil de presse (qui a vu le jour en décembre 2019 après des décennies de militance) et dont vous pouvez voir les différentes étapes dans cet article (Comment est né le tout nouveau Conseil de déontologie journalistique et de médiation).

Malheureusement, cette initiative arrive bien tardivement. Et je crains qu’elle n’ait qu’un assez faible impact sur le débat démocratique. Car, aujourd’hui, si la presse nationale et régionale conserve encore une légitimité, le doute qui s’est installé dans l’esprit des Français déplace les enjeux sur la question de la régulation (quasi inexistante) de l’information diffusée sur le Net (sites, blogs et réseaux sociaux).

C’est pourquoi j’invite chacune et chacun des mes compatriotes à se former à l’esprit critique constructif*, au doute et au débat méthodiques, ainsi qu’à la démarche véritale qui en contient l’essence.

* Par "esprit critique constructif", j’entends la capacité de recul et d’analyse par rapport aux données exprimées par autrui (personnes, médias, etc.), mais aussi – et d’abord – par rapport aux données (impressions, connaissances, croyances, certitudes, etc.) qui circulent dans mon propre cerveau.

Lettre ouverte à Dominique Pradalié, S. G. du Syndicat national des journalistes (SNJ), à propos de « la vérité »

Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes, s'étant offusquée de l'affirmation du président de la République regrettant que "la presse ne recherche plus la vérité", je lui fais part de la contradiction que je vois entre sa réaction et le fait que la profession elle-même, par le biais de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), vient d'acter que "respecter la vérité" n'est plus le premier devoir du journaliste.

« Chère Secrétaire générale, chère Dominique,

Tout d’abord, mes félicitations pour ta réponse, parue le 4 février 2020 sur le site d'Acrimed à propos de ses doutes concernant le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM).

On ne peut effectivement laisser dire n’importe quoi par nos confrères sur ce sujet. Et, à elle seule, la somme des contrevérités qu’ils ont publiées pour tenter de discréditer le nouvel organisme plaiderait précisément en sa faveur.

Le deuxième point que je voulais aborder avec toi est la contradiction qui m’est apparue dans ton texte entre une affirmation du président de la République (« nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité »), que tu qualifies "d'attaque choquante", et la récente position adoptée le 12 juin 2019 à Tunis par la Fédération internationale des journalistes (FIJ).

En effet, la FIJ a modifié l’article 1er de la Charte mondiale d’éthique des journalistes (« Respecter la vérité et le droit que le public a de la connaître constitue le devoir primordial du journaliste ») pour le transformer en : « Respecter les faits et le droit que le public a de les connaître constitue le devoir primordial d’un.e journaliste ».

Mais qu'est-ce que respecter les faits sinon respecter la vérité des faits ?

J’ai bien compris les motifs de cette décision, mais je la conteste, comme tu pourras le lire dans mon article qui fait état de la discussion que j’ai eue avec M. Bellanger, secrétaire général de la FIJ.

La quête de la vérité, qu’elle soit sa recherche ou son respect, est à mes yeux un devoir essentiel du journaliste, même s’il est difficile de définir ce qu’est cette valeur suprême.

D'une certaine façon, l’affirmation de M. Macron déplorant que « la presse ne recherche plus la vérité » vient d’être officiellement validée par la première organisation mondiale représentant 600 000 journalistes dans 146 pays, qui revendique, déontologiquement, ne plus avoir comme premier devoir de « respecter la vérité ».

Tu comprends que tout cela n’est pas que nuances mais choix épistémologique majeur dont la profession devrait bien, à mon avis, en étudier bien-fondé, enjeux et répercussions, afin de prendre une position plus claire sur le sujet.

Jean-Luc Martin-Lagardette
Carte de presse 36 261. »

(En Une : Image par Clker-Free-Vector-Images de Pixabay)

 

Faut-il ou non conserver le mot « vérité » dans la charte internationale des journalistes ?

Non, répond la Fédération internationale des journalistes. Oui, affirmé-je, au risque, sinon, de voir se dissoudre un des repères essentiels de notre déontologie professionnelle.

Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), première organisation mondiale, représentant 600 000 journalistes dans 146 pays, m’a envoyé ce mail à la suite de l’article que j’avais publié sur la nouvelle Charte adoptée par son organisation.

Il réagit notamment sur le paragraphe qui concluait l’article concernant mon regret d’avoir vu disparaître le concept de « vérité » :

Voici la réponse que je lui ai adressée :

« Merci pour votre réponse dont je comprends et apprécie chaque terme.

Ceci dit, je continue à penser qu’il est déplorable d’avoir fait disparaître le mot « vérité » de l’article 1 de la Charte, alors que tous reconnaissent que « la vérité est le fondement de notre profession ». C’est un peu comme si l’on disait que la liberté, l’égalité et la fraternité sont tellement difficiles à définir précisément qu’on décide de les abandonner et de les remplacer par « recherche de l’autonomie », « traitement équitable » et « attention réciproque » !

J’ai affronté une difficulté similaire au sein de l’Observatoire de déontologie de l’information (ODI) dont j’ai été membre au début de sa création. Une controverse m’avait opposé à mon confrère Y. Agnès (avec qui j’avais cofondé l’Association de préfiguration d’un conseil de presse – APCP) au sujet de l’objectivité journalistique. Il soutenait, appuyé par de nombreux confrères, qu’il fallait abandonner le mot et le remplacer par « honnêteté ».

J’ai posé mes arguments au sein d’un groupe de travail de l’ODI qui a fini par conclure qu’il fallait bien « remettre l’objectivité à l’honneur ». Nous en avons profité aussi pour approfondir le concept d’honnêteté.

Il me semble ainsi tout aussi important de remettre le mot « vérité » à l’honneur, tout en l’accompagnant d’une perspective épistémologique bien balisée, comme je pense l’avoir fait depuis des années. Je me permets de vous communiquer ce lien où vous trouverez mes explications du néologisme « vérital » qui signifie, non pas « vrai », mais au sujet duquel les méthodes exigées pour éviter au maximum les erreurs ont été employées pour la fabrication d’un article. Il pourrait s’appliquer de façon pertinence à l’information journalistique de qualité et déontologique.

Si nous chassons le mot vérité de nos chartes, nous abandonnons par là-même l’idéal professionnel qu’il faut toujours avoir en horizon et faire l’effort de poursuivre, quelles que soient les embûches à surmonter pour l’atteindre. La porte serait laissée alors ouverte à une confusion totale ou vérité, post-vérité, infox, intox, etc., pourront être placées sur un même niveau cognitif. Il suffit que ces « informations » comportent chacune un ou quelques faits exacts, vérifiés, pour avoir exactement le même statut

L’information journalistique, s’efforçant (et pouvant justifier cet effort) vers la vérité, ferait ainsi la différence et pourrait trouver une nouvelle crédibilité auprès des publics. »

 

 

 

Les journalistes adoptent une nouvelle Charte mondiale d’éthique

Lors de son 30e congrès, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a adopté le 12 juin 2019 à Tunis la Charte mondiale d’éthique des journalistes. Ce document renforce les normes déontologiques pour les journalistes dans le monde entier.

 

A l’heure où fakenews et autres métastases de l’infox prolifèrent et polluent les rapports entre les hommes sur toute la Planète, 300 délégués issus de plus de 100 pays, réunis à Tunis le 12 juin 2019 pour le 30e Congrès de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), ont adopté une nouvelle version, renforcée, de leur bible professionnelle : la Charte mondiale d’éthique des journalistes.

Ce texte rappelle et renforce les normes définies par le précédent Code de principes de la FIJ sur la conduite des Journalistes, « le seul texte relatif à la déontologie journalistique internationalement reconnu à ce jour ».

C’est au congrès de Bordeaux, en France, en 1954, que ce Code avait été conçu. Après une mise à jour en 1986, le paysage médiatique ayant connu depuis de profonds bouleversements, le besoin d’un nouveau code adapté aux défis actuels s’était fait ressentir.

Les principales innovations sont introduites dans le nouveau préambule qui insiste sur deux aspects importants pour la profession :

- « La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité (je souligne), notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics. »

- « Le journalisme est une profession, dont l’exercice demande du temps et des moyens et suppose une sécurité morale et matérielle (je souligne), indispensables à son indépendance. »

Plusieurs clauses nouvelles ont été inscrites au long de ses 16 articles (au lieu de 9 précédemment). Elles concernent :

- les nouvelles technologies : « [le journaliste] sera prudent dans l'utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux »

- les conditions d’exercice du métier : « La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l'information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause » ; « Le/la journaliste gardera le secret professionnel concernant la source des informations obtenues confidentiellement »

- le respect de la vie privée, de la dignité des personnes et de l’interlocuteur interrogé (le « off » par exemple)

- la discrimination et l’incitation à la haine ou aux préjugés

- la corruption, le conflit d’intérêt, la propagande

- l’indépendance rédactionnelle et la conscience professionnelle, etc.

Le dernier article (art. 16) intéressera particulièrement les confrères français qui estimaient jusqu’à il y a peu qu’ils n’avaient de compte à rendre qu’à leurs pairs : « Reconnaissant le droit connu de chaque pays, le/la journaliste n’acceptera, en matière d’honneur professionnel, que la juridiction d'instances d'autorégulation indépendantes, ouvertes au public (je souligne), à l’exclusion de toute intrusion gouvernementale ou autre ».

Selon Anthony Bellanger, secrétaire général de la FIJ, « ce nouveau document reprend les devoirs professionnels édictés en 1954, mais on y a également ajouté des droits, dans un monde où la profession est malmenée. Les journalistes du monde entier pourront désormais se reconnaître dans la Charte mondiale d'éthique de la FIJ et l’opposer à des employeurs peu scrupuleux. »

> Un vif regret personnel : la modification de l’article 1 (« Respecter la vérité et le droit que le public a de la connaître constitue le devoir primordial du journaliste ») en cette formulation : « Respecter les faits et le droit que le public a de les connaître constitue le devoir primordial d’un.e journaliste ». La quête de la vérité est à mes yeux un devoir essentiel du journaliste, même s’il est difficile de définir ce qu’est cette valeur suprême. Sans cette exigence que s’impose tout informateur honnête et sérieux, n’importe quel fait, même rigoureusement décrit, peut, s’il n’est pas placé dans une recherche plus haute de justesse et de pertinence, servir l’intérêt masqué (notamment idéologique), le mensonge, l’à peu près voire l’erreur.

- Sur le même sujet :

> Faut-il ou non conserver le mot « vérité » dans la charte internationale des journalistes ?

 

Journalisme : l’épreuve de feu du contradictoire

Comment renverser le courant de défiance qui atteint la presse (journalistes + éditeurs) ? En faisant l'effort de mieux respecter les principes qui garantissent qualité et fiabilité de l'information. Et, parmi ces principes : le traitement contradictoire des faits.

Dans le Parisien, 24 janvier 2019.

Sondages après sondages, la méfiance envers les médias et les journalistes se confirme. Les professionnels semblent impuissants à enrayer cette crise.

Ceci dit, devant le déferlement des « infox » et autres dérives qui polluent l’actualité que les citoyens partagent sur leurs différents moyens de communication, l’idée de créer un « conseil de presse » commence à être prise au sérieux. Missionné par le ministère de la culture, l’ancien PDG de l’Agence France-Presse, Emmanuel Hoog, a remis son rapport le 26 mars 2019 en faveur de la création d’une telle instance d’autorégulation et de médiation de l’information. Ce projet associant éditeurs, journalistes ET citoyens, et pour lequel notre magazine milite depuis sa création il y a une douzaine d’années, sera bienvenu. Mais il risque d’être bien insuffisant !

En fait, si l’on espère pouvoir un jour bénéficier d’informations fiables sur l’actualité, il n’est pas d’autre voie que de donner un nouveau statut à la production de ces informations. La question n’a pas tant de déterminer quel média est crédible ou non, mais si tout a été fait dans les règles pour chaque article ou émission. Il faut que chaque producteur d’info, qu’il soit journaliste ou non, puisse prouver qu’il a respecté les étapes permettant de délivrer une information fiable et juste.

Crise du concept de vérité

Tout part de la crise que subit le mot « vérité ». Plus personne ne parle de LA vérité. Tout au plus peut-on viser « une » vérité », partielle et momentanée. Même la science. Même plus, un des critères les plus marquants de la scientificité est aujourd’hui le caractère réfutable d’une proposition : est vérité scientifique une donnée validée par la recherche qui peut être remise en cause par d’autres découvertes. Elle est crédible à l’instant T parce qu’elle a su répondre à toutes les objections qu’on lui a opposées soit en s’amendant, soit en démontrant sa justesse de vue.

Ainsi, contrairement à la science, une croyance religieuse, par exemple, est définitive et éternelle. C’est pourquoi elle est dite foi et non savoir. La foi, on adhère ou pas. Le savoir, on en discute et on peut le partager rationnellement. A la condition que je puisse le contester si j’ai de bonnes raisons. Sa fragilité est aussi sa force et le garant de son universalité.

Nous voyons par là comment la presse pourrait conquérir une plus grande crédibilité. Non pas en garantissant la vérité de ses productions, mais en prouvant qu’elle fait tout pour repérer et corriger ses erreurs. En garantissant qu’elle procède selon une méthode rigoureuse pour traquer les failles dans ses informations et minimiser les risques de pollution cognitive.

Et un des moyens qu’elle possède pour prouver sa bonne foi est de soumettre le résultat de ses recherches à la discussion par d’autres. Ce sont les pairs du chercheur qui peuvent confirmer ou infirmer le caractère de vérité des contenus qu’il produit.

La condition de l’objectivité réside donc, non plus dans le seul effort du chercheur, mais aussi dans le caractère collectif de fabrication du savoir.

Trois exigences

Bien sûr, la presse ne peut se calquer exactement sur la science qui a pour elle le temps et les moyens de vérifier, tester, expérimenter, etc. Et qui le fait de façon collective.

Mais la presse (ou tout producteur d'information) peut au moins garantir trois exigences :

- l’accueil du contradictoire (avant parution) puis de la critique (après parution) ;

- la séparation claire (autant que faire se peut) entre fait et commentaire

- la rectification systématique de ses erreurs.

C’est seulement en respectant ces principes qu’une information peut être dite « journalistique ». Qu’elle peut accéder à la dignité d’un « savoir ». Sans cela, elle ne vaut pas plus, au mieux, qu’une opinion (même si elle établie sur des faits) ou une croyance plausible ; au pire, elle est une publicité ou une propagande.

Une des dérives les plus fréquentes, et parmi les pires (parce qu’elles n’apparaissent pas comme des dérives au yeux du public non initié), est l’omission du débat contradictoire. On présente bien souvent des discussions présentées comme des débats mais en évitant de solliciter l’avis des contestataires ou des alternatifs.

Information ou propagande ?

Un exemple pris dans l’actualité : le magazine « C dans l’air » (France 5) fait un « débat » de près d’une heure (diffusion le 25 mai 2019) sur ce thème : « Homéopathie, la fin d'une passion française ? »

Quatre invités : Jean-Marc Daniel, économiste, Mélanie Gomez, journaliste, spécialiste des questions de santé sur Europe 1, Jean-Paul Hamon, médecin généraliste, président de la Fédération des médecins de France et Frédéric Saldmann, médecin cardiologue et nutritionniste. Alors que la polémique fait rage depuis des mois sur la question du remboursement de l’homéopathie, AUCUN des quatre invités (et pas plus les deux journalistes présentateurs Caroline Roux et Axel de Tarlé) n’y était favorable, ni même seulement « agnostique ». Tous contre, à part le Dr Saldman qui ne s’y oppose pas mais seulement sous contrôle et sous prescription médicale. Pas un seul avocat ni même représentant de cette approche thérapeutique. Pas une once de contradictoire dans la discussion, sur un sujet aussi important !
Comment s’étonner alors que le public, qui dans sa majorité utilise les fameuses granules, ne se sente pas lésé, sinon bafoué, dans son droit à se faire sa propre opinion ?

La science et l’institution ainsi préservées des critiques, parlant au micro d’une presse acquise à leurs thèses, renforcent l’impression des téléspectateurs – et des citoyens – d’être face à une propagande, en lieu et place de l’information critique et constructive que devrait leur offrir le service public...

En fait, c’est la méthode de l’informateur qui est en jeu, que celui-ci soit journaliste ou non. Pour distinguer une information à vocation journalistique, c’est-à-dire à valeur universelle, du moins dans une société donnée, de toute autre expression médiatisée, il est impératif d’exiger d’elle la garantie que ni les intérêts privés, ni les opinions personnelles, ni les systèmes institutionnels ne peuvent prévaloir sur la qualité « véritale » de son contenu.

Une qualité qui ne s’obtient qu’en passant l’épreuve de feu du contradictoire.

 

Comment détecter une fake news ?

Les critères élaborés par la déontologie de la profession journalistique permettent d’établir un faisceau d’indices facilitant la caractérisation de « fake news ».

Illustration Nick Youngson.

La liberté d’expression, vitale dans une saine démocratie, n’est acceptable qu’accompagnée du respect des règles déontologiques par ceux qui fabriquent les informations. Quand ces règles sont ignorées ou bafouées, toute la communauté en souffre.

Comme il n’existe en France aucune instance chargée de faire respecter les règles déontologiques de la profession, tout citoyen est invité à se montrer très vigilant sur la qualité des « informations » que les médias lui fournissent. Pour l’aider, voici une liste de critères qui lui permettront de se prémunir contre leurs manipulations – et pas seulement contre les fake news « complotistes »…

Omission d’avis contestataires et/ou de faits contradictoires

Omission de faits significatifs

Partialité (pour ou contre, juge et partie, deux poids-deux mesures)

Rabaissement systématique et/ou désignation d'un bouc émissaire

Malveillance, mensonge, calomnie

Viol de la présomption d’innocence

Emploi de techniques de manipulation (sophismes, pétition de principe, argument ad hominem, argument d'autorité, faux dilemme, etc.)

Exagération, absence de hiérarchisation

Non mention des sources

Reprise de faits ou d'idées sans vérification

Recours à des « experts » partiaux ou intéressés

Infantilisation du lecteur/auditeur

Appel à l'émotion (peur, espoir, etc.) plus qu'à la raison

Culpabilisation du lecteur

Excès d’insinuations et/ou de jugements moraux

Amalgames, généralisations abusives (les Noirs, les Juifs, les sectes, les jeunes, les fonctionnaires…)

Excès de coupures/encarts publicitaires

Absence de signature de l’auteur…

Un seul critère ne suffit pas pour établir l'existence d'une fake news et tous les critères n'ont pas la même valeur.

> Voir aussi  : Dérives journalistiques - Interview de Marcel Disko, président de la Miviludej. « Le décret annonçant la création de la Mission interministériel de vigilance et de lutte contre les dérives journalistiques (Miviludej) est paru au Journal officiel ce mercredi 27 avril 2016. Son président nous accorde sa première interview » (source : France Infaux/Débredinoire).