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Y a-t-il de la conscience dans toute matière ? Le panpsychisme dit oui

Dans « Une brève introduction à la conscience. Réflexion sur le soi, le libre arbitre et l'expérience du monde », Quanto éditeur, Annaka Harris explore les contours de cette hypothèse qui identifie conscience et Univers et dont la plausibilité ne fait que croître.

Annaka Harris

Annaka Harris

L’Américaine Annaka Harris, consultante pour divers magazines scientifique et spécialisée en neurosciences et en physique, explore les théories et les découvertes scientifiques les plus récentes qui tentent de percer le mystère de la conscience. Mystère que le philosophe australien David Chalmers avait qualifié de « problème difficile » : la conscience est-elle une illusion ou, au contraire, une propriété constitutive de la matière ?

Quelle est la nature du « ressenti » ? Les animaux, les plantes, les bactéries même sont pourvus de capacités de réaction qui peuvent nous faire penser qu’ils se sentent agressés ou attirés par des éléments extérieurs. Ont-ils pour autant « conscience » de ces sensations ? Ont-ils vraiment des sentiments (d’horreur, de bonheur, etc.) ?

Revoir notre conception du libre arbitre

Une brève introduction à la conscience

Une brève introduction à la conscience

Ces questions, qui rejoignent les vieilles interrogations sur les rapports entre l’esprit et la matière, l’âme et le corps, sont investiguées à nouveaux frais notamment par les neuroscientifiques. Ceux-ci nous invitent à revoir notre conception commune de ce que nous appelons conscience, libre arbitre ou volonté.

En effet, alors que nous croyons vivre le moment présent, nous captons en réalité des signaux envoyés à notre cerveau, à des vitesses différentes, par nos organes sensoriels : « Ce n’est que légèrement après leur survenue que nous percevons consciemment les événements physiques se produisant dans le monde qui nous entoure ». Nous sommes toujours en décalage, en retard, par rapport à ce qui se passe. À tel point qu’un acte que nous croyons de notre volonté a en fait été enclenché dans/par notre corps avant même que nous en ayons conscience !

Pas de limite claire entre conscient et inconscient

En outre, « nous ne parvenons pas à trouver de preuve extérieure fiable de la conscience [et pour cause, puisque c’est une expérience exclusivement subjective, ndlr], et nous ne pouvons pas non plus identifier de façon concluante une fonction spécifique qu’elle remplirait ». Ceci nous empêche de fixer une « limite claire » entre le conscient et le non-conscient, de « distinguer les ensembles d’atomes conscients dans l’Univers de ceux qui ne le sont pas ».

Est-il possible de dépasser l’idée, intellectuellement frustrante, que l’esprit est une propriété, mystérieuse et toujours insaisissable, de la matière ? Cette hypothèse est très répandue chez les scientifiques en raison des principes matérialistes qui animent la plupart d’entre eux.

L’auteure de ce petit livre fait le point sur ces débats. Il aborde de front l’hypothèse émergente, potentiellement explosive, du panpsychisme, selon lequel toute matière comporterait un élément ou une forme de conscience. 

La conscience comme « qualité universelle des choses physiques »

Cette hypothèse, déjà perceptible sous forme d’ébauche chez Spinoza ou Leibniz, connaît aujourd’hui un intérêt croissant. Soutenue par des philosophes comme Philip Goff, David Skrbina ou Galen Strawson, cette vision est vivement controversée mais ne cesse de croître son audience.

Galen Strawson

Galen Strawson est un philosophe analytique britannique dont les principaux travaux portent sur la philosophie de l'esprit.

Pour Strawson, par exemple, tous les phénomènes physiques étant des « formes d’énergie », le « panpsychisme est simplement une hypothèse au sujet de la nature ultime de cette énergie ». Et il précise : « La physique n’est pas affectée par cette hypothèse. Tout ce qui est vrai dans le domaine de la physique demeure vrai ».

Mais affirmer que la conscience puisse être autre chose qu’une production du cerveau provoque beaucoup de réticences, voire de mépris. Les accusations d’anti-science ou de mysticisme sont vite dégainées.

Pourtant, les arguments en faveur du panpsychisme sont nombreux si on l’aborde comme une « qualité universelle des choses physiques », comme une propriété de toute matière comme l’est la masse ou la charge électrique. À bien y réfléchir, la matière est encore elle-même bien mystérieuse. Et même, pourrait être plus mystérieuse encore que notre conscience puisque celle-ci nous est on ne peut plus familière.
De même, il faudrait distinguer avec plus de précision, esprit, mental, conscience, libre arbitre, volonté, etc. Le flou entretenu entre tous ces termes devra être dissipé, et d’abord au sein même de la communauté scientifique.

« Le monde est dans ma tête ; mon corps est dans le monde »

Paul Auster, by David Shankbone.

Paul Auster, by David Shankbone.

Quoiqu’il en soit, le problème difficile du rapport entre esprit et matière doit tenir compte d’une propriété extraordinaire de la conscience : elle provient de la matière qu’en même temps elle englobe et constitue. « Le monde est dans ma tête ; mon corps est dans le monde », s’étonne l’écrivain américain Paul Auster. Plus précisément encore, il faudrait dire : « Le monde est dans ma tête ; mon corps est dans le monde qui est dans ma tête ».

En effet, sur le plan cognitif, ou phénoménologiquement parlant, tout est toujours dans ma tête, que ce soit un objet extérieur (une pomme) ou un objet intérieur (une pensée). Que la pomme soit la pomme que je vois (c’est son image en moi qui me fait penser qu’elle est devant moi) ou celle à laquelle je pense.

Je (S = sujet) et moi (O = objet) sont identiques, forment une unité : ma conscience. Ma conscience est donc toujours essentiellement duelle, partagée entre la lumière qui éclaire l’objet (qu’il soit intérieur ou extérieur) et la lumière qui contient l’objet.

Et le problème est particulièrement déroutant quand je me pense. Quand je suis à moi-même objet visé par ma conscience. Car alors je et moi sont identiques tout en étant irréductiblement différents.

Étendant cette constatation, que chacun peut faire, à tout le problème de la connaissance, nous pouvons dire que l’objet et le sujet sont à la fois identiques et absolument différents. Que l’esprit et la matière sont à la fois identiques et absolument différents.

Dans la conscience, la matière et l’esprit sont de même nature (de la nature du sens produit par le je). Ainsi, comme nous ne pouvons jamais échapper à notre conscience (sauf à disparaître dans l’inconscience, le sommeil, etc.), nous pouvons tout aussi bien dire que, pour nous (et non « en soi »), la matière et l’esprit sont de même nature.

« Spiritus insertus atomis »

Spinoza

Spinoza

Là réside le nœud de l’énigme et, en définitive, sans doute, celui de notre liberté foncière. C’est pourquoi il est impossible de trancher scientifiquement si tout est seulement matière (dont l’esprit serait un simple sous-produit) ou si tout est dans notre esprit, comme l’affirmait le philosophe irlandais Berkeley. Ou les deux à la fois, comme le disait Spinoza (Deus sive Natura, Dieu, autrement dit la Nature).

Selon la position choisie (et là seulement résiderait notre libre arbitre), la matière sera la réalité et l’esprit (ou la conscience) l’illusion, ou l’inverse. Le panpsychisme propose de réunir les deux, comme le faisait le philosophe grec Démocrite pour qui « spiritus insertus atomis », l’esprit est inséré dans les atomes. Et Démocrite était matérialiste.

Mais la conscience possède en outre une caractéristique prodigieuse qui lui octroie un statut réellement exceptionnel parmi tous les objets offerts à notre sagacité. Elle est la seule chose dont nous faisons directement et avant toute chose l’expérience. Comme le cogito ergo sum de Descartes nous le démontre, elle est la première et la seule certitude absolue que nous pouvons former dans notre esprit.

Accepter le panpsychisme ?

L’existence du monde vu objectivement n’est pas un constat, une expérience, mais une déduction. L’objectivité absolue, c’est-à-dire abstraction faite de la subjectivité, est impossible puisque, sans une conscience qui le porte ou l’éclaire, aucun objet ne peut être évoqué. De toute évidence, sans un sujet qui le nomme, le moindre objet, ou l’Univers tout entier, ne peut qu’être supposé ou déduit ; jamais être dit exister absolument. C’est une absurdité de prétendre que je fais l’expérience de l’objectivité. En effet, je me pose forcément en sujet face à tout objet et ne puis m’abstraire, faire disparaître le sujet que je suis, sans éliminer immédiatement la représentation de l’objet dont je parle. Et sans sa représentation, l’objet n’est au mieux qu’une probabilité, non une certitude du même niveau que celle apportée par la conscience.

D’où la primauté de la conscience en toutes choses.

À ce titre-là au moins, le panpsychisme est épistémologiquement justifié, comme nécessité de toujours tenir compte d’un aspect proprement spirituel dans tout objet de connaissance. Comme l’écrit Mme Harris, si nous découvrions « que la conscience est constitutive de la matière […], la conscience serait alors, par définition, associée à toute mesure ».

Mais, pour pouvoir accepter pleinement le panpsychisme, il faudrait encore préciser l’articulation entre la conscience et l’esprit.

Mais c’est un… sujet qui mériterait un autre développement.

L’homme est d’abord esprit

Le matérialisme érigé en dogme conduit au scientisme et le scientisme à la dégradation de la nature et à la flétrissure de l’homme. Il est urgent et vital, en tout, partout, de redonner sa place, la première, à l’esprit.

C'est parce qu'il est "esprit", et pas seulement un corps, que l'homme peut "se faire". Dessin : JL ML.

En France, le matérialisme a outrepassé ses droits et s’est imposé comme la norme du vrai dans les sciences et dans la politique. Avec des conséquences graves dans bien des domaines, notamment dans ceux de l’économie (triomphe du profit) et de la santé (influencé par les lobbies). Pour le matérialisme, le corps humain n’est qu’un ensemble de pièces agencées – ingénieusement, mais par le hasard ! – entre elles et sur lesquelles on peut donc agir mécaniquement (biologiquement, chimiquement) sans se préoccuper de « l’âme » du patient.

La conscience, considérée comme un simple fait individuel, est cantonnée dans le domaine privé. L’esprit, qui est la nature, la substance même de la conscience, est considéré comme un simple sous-produit du cerveau.

Et, de ce fait, est une donnée négligeable.

Cette vision du monde, qui fait de la matière la seule réalité à prendre en compte, engendre des tensions, des malaises et même des maladies, notamment mentales. La France est le pays qui consomme le plus de médicaments et particulièrement de psychotropes. L’hôpital, et particulièrement l’hôpital psychiatrique, est en crise aigüe. La méfiance, la peur, l’agressivité s’emparent du cerveau de nombreux compatriotes qui finissent par redouter l’avenir et s’entre-haïr.

Certains se révoltent. D’autres – beaucoup – se suicident (plus de 10 000 morts chaque année).
Il faut agir !
Et agir, c’est donner toute sa place, c’est-à-dire la première, dans nos décisions quotidiennes, à cette valeur dénigrée : l’esprit.

La première place, pour deux raisons, l’une philosophique, l’autre éthique.

> Philosophiquement  : c’est une vérité indéniable que, sans l’esprit, l’homme ni ne réfléchirait, ni ne comprendrait, ni ne parlerait, ni ne créerait. Et que donc rien ne pourrait être dit sur le monde. Le monde n’existe pour l’homme que parce que l’homme le pense. Dans sa conscience et par l’exercice qu’il fait de l’esprit (et toute science, toute connaissance n’est imaginable que dans et par l’esprit), le monde vient donc en second, grâce à la lumière de la conscience qui le fait apparaître.

De même, une matière qui existerait absolument, indépendamment de tout esprit (et qui dès lors serait considérée comme LA réalité), est une absurdité, une aporie, puisqu’alors nous ne pourrions pas avoir la moindre idée d’elle ni jamais être certain de quoi que ce soit la concernant.

> Ethiquement : seul l’esprit peut nous montrer que l’humanité est une, que nos différences sont inessentielles, qu’elles sont de formes, et non de nature. L’esprit seul peut nous faire aimer le sens de l’unité de l’humanité, de la responsabilité et de l’écoute, le respect et la curiosité de l’autre, des minorités et de la nature. Lui seul peut nous procurer la joie de vouloir être plus fortement que de vouloir posséder. Lui seul, libre par essence, peut provoquer l’enthousiasme de savoir, la curiosité du complexe et du beau, la gestion constructive des contraires dans le dialogue.

Lui seul sait marier les mots toi et moi, amour et fraternité, individu et universel.

Dans le concret, l’esprit et le corps sont un. C’est dans leur interaction permanente que se situe la clé d’un comportement juste, de décisions cohérentes et productrices d’harmonie, particulièrement en matière de santé.

L’impérialisme matérialiste, dont le symptôme le plus pernicieux est le scientisme et parce qu’il a voulu mener seul le monde et les affaires, est, malgré les innombrables et admirables réussites de la démarche scientifique, mortifère car il mutile l’homme et le désespère. Il doit accepter de regagner sa place comme base féconde – mais seulement partielle – des savoirs, de la connaissance.

Il peut conseiller la conscience et le cœur, mais jamais ne doit choisir et diriger à leur place.

J’invite ainsi tous les acteurs sensibles aux plus hautes valeurs et ceux qui se préoccupent du sort des souffrants et des victimes, ainsi que de l’exploitation effrénée et du saccage de la nature, à ouvrir les yeux sur la réalité de l’esprit, en commençant par sa découverte en soi, condition pour l’instauration de rapports justes, apaisés et constructifs avec tous les autres.

Philosophie radicale (3) : Dans le moi, le je et l’ego, deux composants à comprendre et réconcilier

Distinguer l’ego et le je permet de saisir en quoi l’homme est limité et en quoi il est infiniment libre. L’ego est physique et psychologique, le je est de nature purement spirituelle. La volonté est le lien entre ces deux aspects du moi.

AVERTISSEMENT

La nouvelle version de cette série de 5 articles,
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Définitions

La philosophie radicale nomme le couple je + ego : le moi (ici indiqué S, le sujet).
Le je est la lumière intentionnelle et unidirectionnelle de la conscience qui anime chaque individu (ici indiqué ✴︎, voir plus loin), liberté, volonté pures.

C’est le je, la conscience en tant que telle qui permet l’apparition des pensées dans le moi. C’est le moi radical, transcendantal car en amont et à l’origine de toute représentation. Le je est unité.

Le moi est l’ensemble des caractéristiques physico-psychologiques de la personne (tempérament et caractère, innés et acquis, ici indiqué moi). C’est le moi empirique du sens commun.

Donc, nous parlerons du moi (ou du sujet S) quand nous évoquerons la personne dans sa totalité (spirituelle–je ✴︎, physique et psychologique–ego). C’est le moi au sens philosophique. Le moi est unité/dualité (je + ego).

- Moi ou Sujet : S

- Conscience en tant que telle, je, ✴︎

D'où S = je (ou ✴︎) + ego.

 Le moi est déterminé par le corps, le je est liberté totale.

 Nous l’avons dit précédemment  : le je est spontanéité qui voit. C’est le rayon lumineux intérieur qui permet à la conscience d’exister en tant que telle, d’éclairer pour elle-même tout objet, qu’il soit intérieur (pensée, sensation…) ou extérieur (pomme…) et de donner du sens à ce qui est perçu.

Ne pouvant se voir lui-même – sinon sous l’aspect objet (le je observé, le je-objet) mais alors il n’est plus sujet –, le je-sujet, échappant à l’observation, à l’objectivation, n’est toujours que sujet.

Ce constat n’est pas anodin. Cela signifie, par exemple, que le je (le moi intime de l’homme, la conscience personnelle de chaque homme) est insaisissable de l’extérieur, par un autre homme par exemple. Il est inaliénable par autrui.

On peut toucher, meurtrir, aliéner le corps d’un homme. Jamais son je.

Nous y reviendrons.

Je est maître en son propre royaume

Cela signifie également que le je est totalement maître en son propre royaume. C’est lui qui décide de tout et, particulièrement, de comment réagir à ce dont le sujet est immédiatement informé (sensation, vision, pensée...).

Les conséquences psychologiques et morales de cette vérité première sont innombrables et immenses.

Avant d’en étudier quelques unes, il nous faut d’abord bien concevoir ce qu’est l’ego humain, autrement dit, dans la philosophie radicale, le couple je/moi (le je conscience S + le moi psychologique lié au corps, qui est aussi O pour je), puisque nous avons vu que S n’apparaît pas sans O.

Nous avons compris que si le je nous échappe, ce n’est pas parce qu’il serait inconscient ni subconscient, ni quoi que soit d’autre, mais c’est parce que le je n’est toujours que sujet. Un sujet ne peut avoir d’autre cause que soi-même (nous y reviendrons), sinon il serait objet de cette cause. Or, il ne peut jamais être objet, jamais être vu, étant une pure spontanéité, un voir, un acte primitif de production de sens.

C’est là l’extraordinaire caractéristique de la conscience humaine. C’est la nature de l’esprit, dont la conscience est un élément.

Avant son apparition et après sa disparition, le je n’existe pas, sinon seulement en tant que potentiel ou en tant que Je universel (voir plus loin). Le moi (physique, psychologique), de la naissance à la mort de l’individu, est seulement garant de sa permanence et de sa continuité.

Nous avons vu que S n’existe pas sans O  : on ne peut parler de conscience que lorsqu’il y a conscience DE quelque chose (intentionnalité). La conscience n’est pas une chose, un objet en soi, mais un acte émergent, une source, une intention, une direction, une lumière éclairant quelque chose.

Dans le concret, nous avons toujours affaire au couple SO, c’est-à-dire au moi qui a conscience de quelque chose (représentation), ce quelque chose pouvant être intérieur (pensée, sensation…) ou extérieur (pomme…).

Mais il est un cas de figure très particulier, quand le moi se prend lui-même comme objet, quand il réfléchit à/sur lui-même. Le moi (irréfléchi) observe le moi (réfléchi), les deux formant un seul moi. Je me regarde (intérieurement). Le moi sujet regarde le moi objet tout en restant un seul moi.

C’est la conscience de soi, action intérieure que Kant nommait l’aperception.

Dans S, S sujet voit S objet, qu’il faut représenter ainsi  :

S(S ✴︎ –> SO), les deux S à l’intérieur de la parenthèse étant à la fois identiques et différents.

Cette unité-dualité constitutive de l’esprit humain est la clé de tous les savoirs (à rapprocher du symbole yin-yang). En effet, elle est présente dans toute connaissance, quelle qu’elle soit, intime ou externe.

C’est une vérité absolue, du même ordre que la vérité du cogito, qui conditionne tous nos processus cognitifs.

Les conséquences de ce constat sont incommensurables  !

Notre corps  : à la fois intérieur et extérieur à nous

Nous expérimentons que ce moi, cette conscience consciente d’elle-même, n’est conscience que parce qu’il est hébergé par un corps. Le corps est pour notre conscience à la fois intérieur et extérieur. Nous le vivons  :

- de l’intérieur par nos sensations, émotions, etc.,

- et de l’extérieur parce que nous pouvons observer son apparence (nous voyons nos mains bouger…).

Notre corps est donc à la fois, pour la conscience, objet intérieur (Oi) ET objet extérieur (Oe).

Remarquons qu’il est toujours O, jamais seulement S mais uniquement son support nécessaire, sa matrice en quelque sorte. C’est pourquoi l’on peut dire que, d’une certaine façon, mon corps n’est pas moi. Il est toujours extérieur à ma conscience. Il est ce qu’est la coquille à l’égard du poussin qu’elle abrite.

Étant senti ou vu par S, le corps n’est moi que dans R (ma représentation).

Nous avons dit que le moi humain est le couple SO. Plus exactement, nous comprenons qu’il est le couple SOi + le couple SOe, c.-à-d. la conscience de ce que j’observe en moi comme à l’extérieur de moi.

Reprenons le concept d’intuition intellectuelle présenté précédemment comme cette émergence de lumière que nous DEVONS obligatoirement supposer comme étant à l’origine en permanence de tout ce dont notre esprit prend conscience (de tout R).

Symbolisons ce concept par le schème de la lumière, ✴︎, l’étoile à huit branches représentant le soleil dans de nombreuses mythologies.

La géniale intuition de Fichte

Pour être plus exact, et pour reprendre à notre façon la géniale intuition de Fichte sur la nature du moi humain, nous devons transcrire notre formulation du moi ainsi  :

S = ✴︎ + O

Le sujet S est constitué de ce rayonnement de conscience (✴︎) qui se porte sur un quelconque objet (O, Oi ou Oe), rayonnement impossible à observer en tant que tel, à objectiver, mais nécessairement supposé dans tout R ("R) et constituant le cœur de notre moi.

Toute représentation R d’un sujet S est constituée d’une conscience ✴︎ et d’un objet O.

Le moi (S = ✴︎ + O) est ce qui permet l’apparition de ce phénomène (R) qui lui-même permet l’apparition du sujet (je), sujet qui n’est pas objectivable et qui n’existe pas en continu (pour nous).

Nous voyons donc que je, n’étant pas objet mais sujet, est un acte, spontanéité sans cause ni sans antécédent, impersonnel (nous verrons qu’il ne peut y avoir qu’un je) et intermittent (sommeil/veille…) qui, lié à O (Oi + Oe), se trouve par ce fait-même singularisé.

C’est parce que le je (la conscience) est lié à un objet qu’il est un je particulier. Sinon, il est pure conscience irréfléchie, pure pensée sans contenu, pure énergie spirituelle.

La conscience pure (✴︎), sans O, étant impossible à observer objectivement, donc transcendante, nous avons l’habitude soit de la nier, soit de l’ignorer, bien qu’elle soit le vif du sujet, comme nous l’avons dit.

Nous verrons que la vision fichtéenne de l’homme, incomprise et combattue par de nombreux penseurs, dont Kant en premier lieu dont il se disait pourtant l’explicateur, a cependant fait fortune (Husserl, par exemple), même si c’est de façon assez discrète. Elle a perduré jusqu’à ce jour grâce à différents épigones dont je me targue de faire partie.

Intuitionner cette conscience pure est une expérience difficile. Fichte a énormément insisté sur le fait qu’elle ne pouvait être simplement expliquée, qu’il fallait l’expérimenter pour la saisir.

En effet, elle n’est possible qu’en faisant abstraction de tout sauf de l’essentiel, en nous décentrant à proprement parler, pour passer du moi psychologique (SO) au moi pur (✴︎), plonger en cette lumière qui se révèle alors à nous comme une énergie, une source d’illimité, une réalité créatrice qui à la fois nous constitue et nous dépasse infiniment.

L'ego je prend conscience, émerveillé, que sa source vient d’au-delà de lui-même ET qu’il est, fondamentalement et d'une certaine façon, de même nature qu’elle. Le petit je comprend qu’il doit son existence et son fonctionnement au Grand Je dont il est, d'une certaine façon que j'expliciterai plus loin, la copie, le modèle réduit ET l’expression.

Nous verrons les multiples conséquences qui découlent de cette simple observation (pour peu que l’on parvienne à la faire).

Liberté illimitée

C’est à cette condition (abstraction de tout sauf de la source de la conscience) que nous expérimentons la liberté illimitée que nous sommes.

Le moi est effectivement plus ou moins libre, voire totalement conditionné. Tandis que je EST liberté inconditionnée, même quand il ne se sait pas tel.

Tout l’enjeu de l’homme réside dans l’effort qu’il fait ou non pour faire coïncider je et Je, pour réconcilier ses deux mois (✴︎ et SO), pour unir par ses actes, en lui et hors lui, l’esprit et la matière.

Cette expérience n’entraîne pas la dissolution du moi (de l’ego) dans le Tout, comme dans beaucoup d’approches orientales et chez certains mystiques. Elle ouvre au contraire sur la possibilité de l’affirmation libre du sujet, affirmation qui n’est effective et profitable que si elle s’effectue en symbiose avec ✴︎✴︎ étant la Conscience universelle unique, présente dans l’ego de chaque homme (je => Je) et ne devenant conscience individualisée que par les choix de je quand il s’identifie, par ses actes, à ✴︎.

Les perspectives de puissance sont ainsi démultipliées puisqu’elles procèdent des facultés illimitées de l’esprit qui sont mises en branle en concordance avec les lois universelles, et non plus seulement pour des fins personnelles, partiales ou cloîtrées par des savoirs incomplets.

La joie éblouissante qui résulte de tels comportements peut conduire à des excès si elle n’est pas accompagnée d’une démarche rationnelle exigeante (ne pas prendre ses désirs pour la réalité) et d’une bonne volonté totale. Vécue de façon simpliste, elle peut conduire au fanatisme comme au délire.

Le critère principal pour juger de sa qualité réside dans les fruits qu’elle engendre  : bénéficient-ils au plus grand nombre  ? Conduisent-ils à l’épanouissement de la personne  ? Etc.

Joie

Cette joie résulte dans l’adéquation, quand elle est trouvée, entre la liberté et l’idéal, dans la coïncidence réalisée entre l’acte et la parole/pensée. C’est là le principal foyer, au cœur de l’homme, d’où peut naître le bonheur. Bonheur de former en soi le pont au dessus de l’abîme, du néant intérieur (nous reviendrons sur ce concept) pour rassembler en une même expérience les aspirations les plus sublimes et les actes les plus féconds.

Retenons simplement pour l’instant que je est un acte, l’acte par lequel le sujet se constitue comme tel, acte de liberté totale sans cause ni influence extérieure qui oriente à sa guise le cours des pensées.

A ce stade, le lecteur peut sans doute encore avoir le réflexe d’objecter que le moi humain n’est pas à l’abri des influences extérieures. C’est qu’il aura déjà oublié deux choses.

La première, c’est que je ≠ moi. Le je est entièrement autonome et pur, tandis que le moi est constitué de tout ce qui fait le caractère et le tempérament de l’homme et qui est soumis aux états de son corps, aux pressions de son hérédité et de son environnement.
La deuxième, c’est que le moi (SO) est, pour la conscience (✴︎), une production par elle, une création en elle, une image  : le moi, lié au corps, ne pénètre pas en tant que tel dans la conscience puisqu’il lui est extérieur. Le moi, comme tout O, est traduit, représenté par elle en elle.

Le moi, comme tout objet extérieur, est extérieur à la conscience, ce que J.-P. Sartre avait bien vu dans son ouvrage la Transcendance de l’égo.

Nous reviendrons plus loin sur ce que signifie exactement « extérieur ».

Rappelons-nous simplement que la conscience ne sort jamais d’elle-même ni ne laisse jamais rien entrer en elle qu’elle ne recrée.

Ainsi, les influences que peut connaître le moi dépendent en premier chef de ce que "je" veut (sic). Elles peuvent être sues ou ignorées, acceptées ou refusées, sublimées ou subies. Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous imposent nos comportements, c’est la façon dont nous y réagissons qui oriente le cours de notre existence.

En fait, l’esprit (dont est constitué le je) est infiniment libre. Il n’est limité que par les limites qu’il se donne, qu’il accepte ou qu’il croit avoir. Je, maître des lieux, s’en croit souvent l’esclave. Et s’il se croit ainsi, c’est qu’il s’identifie à tort avec le moi. Il se croit quelqu’un, une personnalité plus ou moins indépendante, existant par soi, ce qui est une belle illusion  !

Ce n’est qu’en reconnaissant qu’il n’est rien par lui-même (il ne s’est pas créé lui-même) et que sa véritable nature est d’esprit (et donc, d’une certaine façon, qu’il est autre que lui-même) et en s’identifiant à l’énergie créatrice dont je est l’expression, qu’un être humain peut tout devenir. Qu’il est, « à l’image de Dieu », liberté, volonté pures.

A cette différence, essentielle, près qu'il est lié à un corps et à un monde qui lui sont imposés...

> Philosophie radicale (2)  : Qui suis-je  ? Qui est je  ?

> Philosophie radicale (1)  : La liberté de l’esprit

Les miracles du Christ et ceux des guérisseurs : quelle différence ?

La parution du livre « Jésus thaumaturge » de Bertrand Méheust et l’époque de Noël sont une bonne occasion de revenir sur les « miracles » opérés par Jésus il y a deux mille ans et sur ceux qui interviennent dans la société contemporaine.

" Mère " Teresa.

" Mère " Teresa.

Des « miracles », il s’en passe tous les jours. Et pas seulement suscités par les « saints » de l’église catholique, comme celui tout dernièrement attribué à « Mère » Teresa. Ceux-là, entrant dans un cadre reconnu, sont seulement mieux médiatisés…

Les phénomènes dont je veux parler sont une foultitude de guérisons inexplicables, de coïncidences étonnamment propices, de synchronicités fécondes, etc., que beaucoup de gens rencontrent dans leur existence.

Jean Marais dans le film de Ciampi Le Guérisseur.

Jean Marais dans le film d'Yves Ciampi Le Guérisseur (1953).

Parmi ces phénomènes, certains sont le fruit de demandes ou d’actes de foi clairement et délibérément formulés. Mais ils ne font pas la une des journaux car intervenant chez des personnes mettant en œuvre des approches non reconnues celles des guérisseurs, des magnétiseurs, des barreurs de feu, de certains inspirés, naturopathes, etc., ou chez des personnes sans statut particulier, des individus comme vous et moi qui, par la grâce d’un élan de générosité, ont vu leur prière exaucée.

Energie insaisissable

Certaines de ces guérisons sont spectaculaires sauf qu’aucune caméra ne vient les enregistrer. Mais elles sont très nombreuses. Signe que beaucoup se découvrent une sensibilité pour une Energie insaisissable mais dont les impacts peuvent se rendre tout à fait tangibles dans notre existence quotidienne.

Bertrand Méheust.

Bertrand Méheust.

Mais de quoi s’agit-il ? Dans un livre paru récemment, Jésus thaumaturge,  le philosophe Bertrand Méheust analyse les miracles de Jésus avec le filtre de la parapsychologie. Il confronte ce que l’on sait du Galiléen au corpus des sciences psychiques qui ont étudié les plus étonnants thaumaturges modernes.

Explorant la frontière entre humain et divin, il revisite ainsi les miracles de Jésus, souvent escamotés par l’Eglise.

Comparant les actes des laïques et ceux produits par Jésus, il note une différence essentielle : ce dernier « est habité par Dieu et que ses actes racontent une histoire et ont un sens d’édification et d’enseignement. La spécificité de Jésus c’est son calme, son assurance. Il n’est jamais en transe et est sûr de son geste. Pour l’auteur, le mystère le plus profond, c’est de savoir comment un homme d’apparence aussi équilibrée a pu se dire le Messie, le Fils de Dieu ».

Phénomène « guérisseur » et phénomène « christique »

jésus miracleDonc, hormis les phénomènes hors norme et dès lors encore plus sujets à caution (marcher sur l’eau, résurrection…), les miracles de Jésus et ceux des guérisseurs d’aujourd’hui sont tout à fait semblables. A ce détail près que nos sorciers modernes parlent rarement de Dieu et n’insèrent pas leurs interventions dans une histoire édifiante pour engager le malade dans la voie du Bien.

C’est la dimension christique de Jésus qui fait la différence.

Comment aujourd’hui interpréter cette caractéristique si particulière du fils de Marie et de Joseph/fils de Dieu ? Il n’y a toujours pas de consensus entre ceux qui voient en lui un guérisseur mystique, un homme inspiré par Dieu, un homme moitié Dieu-moitié homme, etc.

Vous, lecteur, comment voyez-vous les choses ?

Personnellement, je propose une approche philosophique originale qui, si on la suit, permet de d’interpréter de façon cohérente à la fois le phénomène « guérisseur », répandu chez les hommes, et le phénomène « christique », propre à Jésus (et à quelques autres). Cette approche concerne la nature de l'esprit. Elle s’appuie sur l'idée que la conscience est une et qu’elle contient en elle les oppositions absolues (par exemple esprit/matière, fini, infini...)

Le développement de cette thèse fera l’objet d’un prochain article. Avec une étude de vos réactions.

Liberté et déterminisme – La thèse féconde et méconnue d’un grand philosophe allemand : Fichte

L’Univers a-t-il un sens ? Philosophiquement, la réponse est attendue par chacun de nous. Mais que peut-on en dire de façon générale ? Sommes-nous libres ou entièrement déterminés ? Fichte affirmait que la liberté humaine est totale car elle précède tout objet de notre conscience. Mais la démonstration ne peut en être faite que par une démarche individuelle.

Broken off part in a chain

Sommes -nous déterminés (chaîne) ou libres (lumière) ? Ou les deux à la fois ?

Dans le monde occidental, un consensus tacite relègue ces interrogations, surtout la première, dans la sphère philosophique ou religieuse. Donc, dans l’ordre du privé.

Dans le domaine de la science, tout se passe comme si l’Univers n’avait pas de sens précis. L’équation unique d’où découlerait toute notre connaissance du monde n’a pas été trouvée et continue d’être espérée sinon promise.

En attendant, cette connaissance est morcelée en lois et disciplines sans lien entre elles.

Cette situation a une conséquence pratique très importante : l’esprit est considéré comme une simple émanation de la matière. Un sous-produit, en quelque sorte. Et la conscience devient « un objet scientifique comme un autre ».

C’est la thèse réaliste.

Hasard et nécessité

Né du « hasard et de la nécessité » (Jacques Monod) l’esprit n’a pas véritablement de sens, sinon celui d’être une faculté psychotechnique d’assemblage de pensées et des connaissances.

hasardDu coup, pour le matérialisme, seul a droit de cité, en matière de savoir, ce qui est « objectif », c’est-à-dire, selon lui, ce qui est expérimentable ou mesurable. Il est devenu la « religion » de la plupart des scientifiques et des sociétés comme la nôtre, dans lesquelles les sciences ont conquis une place centrale et motrice.

Conséquence plus ou moins directe : la Terre n’est plus qu’une boule sans âme composée d’objets divers et variés qu’on peut exploiter. Et si l’homme a un « statut » particulier, ce n’est pas par sa « nature » particulière (il n’a que des différences de « degré » par rapport à l’animal), mais parce qu’il faut bien établir des règles pour vivre ensemble.

La logique du réalisme conduit au matérialisme, au déterminisme, voire au fatalisme. Pour lui, la liberté humaine est une illusion : tout acte humain est la conséquence obligée de causes « extérieures à l’esprit » plus ou moins perceptibles.

La matière n’est qu’illusion

A l’inverse se place la thèse idéaliste pour qui c’est la matière qui est issue de l’Esprit, c’est Dieu qui a engendré l’Univers. La matière n’est qu’illusion, seul compte l’Un éternel dans lequel chacun est invité à fondre son ego pour connaître la félicité.

La conséquence, selon cette position idéologique, est parfois la superstition, la paresse intellectuelle avec un mépris pour les sciences dites (ou prétendues) exactes et un désintéressement des mécanismes et des lois de la matière, un délaissement excessif de leur maîtrise, une part trop grande laissée aux puissants, une culpabilisation due à l’idée que le mal subi procède d’un manque de foi ou de communion avec la toute puissance divine, un attachement à UNE révélation en conflit avec les autres, une exaltation illuministe (que Kant nomme Schwärmerei), voire un délire mystique, etc.

Pour l’idéaliste, ce qui compte, c’est la valeur morale, c’est le Bien, identifié à Dieu (ou à la religion, ce qui n’est pas tout à fait la même chose). Dieu est le centre de tout et doit être « servi », « adoré », etc.

Les thèses sont irréconciliables. Là se situe l’écueil sur lequel bute tant le réaliste que l’idéaliste : ils sont obligés de cohabiter alors que leurs conceptions du monde sont incompatibles. Or, elles sont incapables de se réfuter l’une l’autre.

D’ailleurs, aujourd’hui encore, personne, aucun scientifique n’est en mesure d’expliquer comment fonctionne le lien entre le corps et l’esprit. Entre ces deux mondes, il n’est aucun pont.

L’esprit est premier

Pour trancher, on ne peut se baser sur aucune observation objective  : il faut choisir entre réalisme et idéalisme. Ou se bricoler une synthèse plus ou moins bancale entre les deux. C’est une question par essence idéologique.

D’où la primeur que nous devons nécessairement accorder à la pensée, mais en disant immédiatement, en même temps, que la pensée contient en elle-même un principe de limitation par la matière.

Mais de limitation seulement, pas de dépendance ! Cette précision est capitale.

Pour le dire autrement, l’esprit de l’homme est premier, spéculativement parlant. Il est liberté absolue, inconditionnée, comme l’est l’Esprit dont il est consubstantiel.

Et il est mis constamment au défi de cette liberté par la matière (le corps, la nature, l’Univers, les autres).

Le moi humain (« l’âme »), qui est essentiellement volonté, fait ainsi le pont entre liberté et déterminisme, entre idéalisme et réalisme. A charge pour lui de faire coïncider les deux par ses choix (moraux et cognitifs).

Cette thèse est celle d’un philosophe mal connu mais qui a fasciné beaucoup de ceux qui ont voulu pénétrer dans son « savoir du savoir ».

Doctrine de la science

sartre1Durant l’adolescence, j’ai été attiré par la conception de la liberté développée par Jean-Paul Sartre.

Avec sa fameuse formulation « l’existence précède l’essence », il affirmait la totale liberté de l’homme et, par voie de conséquence, sa responsabilité. Quels que soient les paramètres qui s’imposent à nous, c’est ce que nous choisissons librement d’en penser, et d’en faire surtout, qui nous définit.

L’homme se crée par ses actes.

Mais Sartre était athée, du moins jusqu'à quelques jours avant sa mort. En effet, pour lui, comment concilier son idée de la liberté avec celle de l’existence d’un Dieu ? J’ai voulu creuser sa pensée pour mieux la cerner, ce qui m’a conduit de fil en aiguille à étudier un long cortège de philosophes.

Johann_Gottlieb_Fichte

Johann_Gottlieb_Fichte. Source : wikipédia.

Ceux qui m’ont le plus marqué, qui ne tiraient pas tous dans le même sens d’ailleurs, furent, après les grands penseurs grecs survolés rapidement, Husserl, Berkeley, Nicolas de Cues, Maître Eckhart, Descartes, Vico, Leibniz, Spinoza, Kant, Pascal, Rousseau, Voltaire, Hegel, Nietzsche, Bergson, Bachelard, Popper, Arendt, Feyerabend, Prigogine et notre contemporain Bernard d’Espagnat.

Et, pour moi surnageant par son originalité et sa profondeur au milieu de tous, Fichte (1762-1814), avec sa fameuse Doctrine de la science, réflexion sur le savoir du savoir, qu’il a exposée en une douzaine d’ouvrages différents !

Premier principe

Fichte BNF

L'ouvrage est en libre consultation sur le site de la BNF. Attention, il faut s'accrocher pour entrer dans la philosophie du Messie de la raison...

Je ne vais pas développer la pensée de ce philosophe singulier et méconnu, surtout trop peu étudié à la façon dont il l’avait recommandée, c’est-à-dire en expérimentant sur soi-même la démarche qu’il proposait.

Je dirais simplement qu’il pensait avoir trouvé un premier principe absolument vrai et « inconditionné » permettant de comprendre et de déduire toutes les connaissances de toutes les sciences.

Une base pour garantir l’accès au savoir de tous les savoirs. Et qui propose une cohabitation, au plan spéculatif, du réalisme et de l’idéalisme.

Sa découverte est un approfondissement du « cogito ergo sum » cartésien et une justification du criticisme[1] de Kant, philosophe qu’il admirait.

Le premier principe de tout savoir humain n’est pas un être, ni un objet, c’est un acte, un pur acte d’intention et de vision spirituelle. Cette vision n’est pas objectivable, pas plus que l’œil ne peut voir son voir.

Invisible immédiatement à l’esprit, elle ne peut être que déduite, après investigation intellectuelle donc. Mais une fois vue ainsi, elle est évidemment vraie et certaine. C’est cet acte qui fait « le fondement de toute conscience et seul la rend possible »[2].

Sujet et objet à la fois

Ce principe est, pour nous, absolument premier. Avant même la matière car, sans lui, sans pensée, ce serait un non-sens de parler de quelque matière que ce soit…

Derrière ce principe, on ne peut rien apercevoir (avant la conscience, il n’y a rien dont on puisse parler[3]). Fichte part de ce constat, qu’il qualifie d’absolu : « Tout être présuppose une pensée ou une conscience de lui-même ».

Plusieurs conséquences majeures découlent de cette affirmation apparemment banale : la lumière de l’esprit est première en tout ; tout « moi » est à la fois sujet et objet  ; il n’y a pas d’objectivité totale possible ni dans la vie courante ni même dans aucune science ; le un et le divers sont toujours liés, etc.

Ce trait de génie a inspiré de nombreux successeurs de Fichte[4], dont Hegel avec son célèbre « Tout ce qui est réel est rationnel ; tout ce qui est rationnel est réel ».

L’intuition intellectuelle

Les innombrables ouvrages dans lesquels l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit déploie sa dialectique spéculative peuvent, d’une certaine façon, être considérés comme un développement de « l’intuition intellectuelle » du premier principe de Fichte.

Démontant le scepticisme, renvoyant dos à dos réalisme et idéalisme, ou plutôt les faisant cohabiter, Fichte me paraît déjà annoncer certains aspects de la physique quantique en tranchant la question de savoir si la réalité est dans les choses ou dans nos représentations : toujours dans les deux en même temps !

Avec ce magnifique corollaire : l’homme est à la fois libre et déterminé, mais c’est son vouloir, son action, qui tranchent et font le vrai. Et c’est la liberté de l’esprit humain qui est la raison d’être de l’Univers. Du coup, l’univers, et avec lui la matière, n’est pas fait pour être connu absolument. Les sciences particulières ne peuvent être le but suprême de l’homme. Le monde peut (et doit) être exploré, investigué le plus possible, mais sa fonction essentielle est d’ordre moral : elle est d’accueillir la liberté humaine qui en est co-créatrice.

Le savoir, oui, mais un savoir qui se prolonge en action en cohérence avec lui-même.

L’Univers a, ainsi, à la fois un sens et pas de sens. Il n’a pas UN sens qui s’impose à nos perceptions, mais il en a un que notre liberté peut se choisir : celui de nous épanouir, par nos actes, en être d’amour (fraternité) et de lumière (connaissance). Alors, l’Univers entier concourt à notre élan.

C’est notre volonté qui est faite sur la Terre

Dans une certaine mesure, « tout se qui se produit dans ce monde sert à l’amendement et à la formation des hommes et, ainsi, à l’accomplissement de leur but terrestre »[5]. C’est donc, non pas la volonté de Dieu qui est faite sur la terre, puisque nous sommes libres, mais la nôtre. Mais elle opère dans le cadre des lois universelles.

A nous de faire l’usage de la liberté soit en nous perdant dans l’infinie diversité de la matière (les sciences particulières, la vie commune, la position réaliste), soit en nous haussant jusqu’à l’universel (la connaissance de l’Esprit qui intègre la matière ; la position réaliste fécondée par la position idéaliste). En devenant co-créateur de soi à l’image du Verbe, terme que Fichte utilise dans plusieurs de ses thèses.

Nous sommes actes créateurs en continu et nous avons selon notre savoir et notre foi.

Fichte eut de gros ennuis professionnels et politiques en raison de ses idées[6]. Se disant « prêtre de la vérité » et surnommé ironiquement le « Messie de la Raison pure », il fut accusé d’athéisme.

Le moi semblable à l’auto-énonciation de Dieu

Bien que croyant, il s’attachait à ne parler philosophiquement que de ce qui était rationnellement admissible. Il ne pouvait donc pas penser Dieu comme une essence absolue, existant comme une chose concrète quelque part hors de nous, puisque nous ne pouvons observer, par définition, ce qui nous est transcendant.

En revanche, nous pouvons l’expérimenter en nous, par l’intuition intellectuelle et le sentiment « moral ».

Pour lui, le pur[7] « je suis » qui habite la conscience humaine et qui est accessible seulement par « l’intuition intellectuelle », en faisant abstraction de tout ce qui nous est « objectif », est infiniment libre. Il est semblable à l’auto-énonciation de Dieu.

Le reconnaître, et agir en conséquence, conduit à la béatitude et prépare l’avènement de « l’Age de l’Esprit ».

Cette vision n’a plu du tout aux autorités religieuses de l’époque et à pas mal de ses confrères. Elle ne plairait pas plus aujourd’hui ni aux représentants des religions et des sciences, ni aux pouvoirs publics…

Elle mérite pourtant d’être étudiée, approfondie et adaptée aux connaissances modernes. J’aimerais pouvoir un jour y consacrer un livre entier tant cette vision est pénétrante et exaltante.

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[1]. Criticisme : théorie définissant les conditions de la rationalité et la limitant au domaine du sensible. Le métaphysique, l’invisible sont, eux, du ressort de la liberté et de la foi.

[2]. J. G. Fichte, Doctrine de la science, 1794, Paris, Vrin, 1999.

[3] Fichte parle ici philosophiquement et non psychologiquement. Ainsi les notions d’inconscient, de préconscient, etc., qui peuvent intervenir après l’intuition intellectuelle et sont conditionnées par elle, n’entrent pas en ligne de compte.

[4]. Notamment Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie.

[5]. Fichte, La Destination de l’homme, Flammarion, Paris, 1995.

[6] Et certaines considérations politiques, sorties de leur contexte théorique, ont créé la polémique comme possible inspiration pour le régime du IIIe Reich.

[7]. « Pur » : l’acte seul de voir, la pure lumière qui permet la conscience, abstraction faite de tout objet de cette conscience.