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Caricatures : négliger les sensibilités et les convictions est légal mais toujours dangereux

Arrêtons la surenchère ! Pour ne plus vivre l’horreur d’autres assassinats barbares dus à des caricatures attaquant le « sacré », une réflexion en profondeur par delà le seul droit s’impose. Une réflexion pour un usage plus sage, plus responsable, plus fraternel, de la liberté d'expression.

Image : Pixabay Creative Commons.

Certes, c’est grâce à l’irrévérence, aux caricatures, à l’affranchissement des interdits que notre pays s’est libéré du joug des dogmes imposés. La moquerie et la dérision, notamment des dessins de presse, ont aidé à saper l’emprise de la religion sur les esprits et la tyrannie des despotes sur les corps.
Après des décennies de luttes et au travers de drames successifs, la liberté d’expression est parvenue à nous libérer de ces oppressions.
Elle a été consacrée dans nos lois. C’est un trésor inestimable qui continue à dispenser ses bienfaits près de 140 ans après la loi sur la liberté de la presse.
Sur notre sol, non seulement la religion catholique mais toutes les religions peuvent être – et sont – la cible de caricatures désobligeantes. C’est une excellente chose que cela soit possible, même si cela peut s’apparenter parfois à un blasphème. D’ailleurs, les représentants de ces religions, y compris musulmans en France (pour la plupart d’entre eux du moins) s’y sont faits, à contrecœur souvent, mais ils ont fini par accepter ce salubre exercice démocratique.
Mais cette histoire est l’histoire de la France. C’était et cela reste un mécanisme endogène. Nous ne sommes une planète isolée. Nous sommes en relation constante avec le monde, et immédiatement et partout aujourd’hui avec Internet.

Pas la même histoire

Dans le cas spécifique actuel, comment penser que le fruit de notre histoire puisse être compris d’emblée par nos voisins proches ou lointains qui ont connu un tout autre écosystème de pensées, de traditions, sous-tendu par une histoire des idées et des évènements aux antipodes des nôtres  ?
D’accord, nous nous comportons chez nous comme nous le voulons. Mais, quand les images humiliant les croyances sont le plus blessantes possible, nous touchons à ce que beaucoup ont de plus sacré chez eux, eux qui n’ont pas du tout la même histoire. Comment imaginer qu’ils puissent subir sans broncher ce qu’ils vivent comme une atteinte à leur dignité, voire à leur Dieu  ? Ne réagissons-nous pas tous vivement quand on nous attaque sur ce qui nous est cher  ?
Que ressentirions-nous Français, par exemple (et c’est un faible exemple), si un chef d’État étranger soutenait une caricature montrant une Liberté/Marianne se bouchant les yeux et pleurant, en voyant le président et nos compatriotes adorer les caricatures aux effets mortifères et se dire  : « C’est dur d’être aimée par des cons »  ?
Certes, nous n’irions pas pour autant assassiner l’auteur de la caricature. Là est toute la différence.
Si encore les blessures infligées par ces dessins aidaient à la transformation des mentalités ou à la qualité des relations entre les peuples, on pourrait y souscrire plus facilement.
Autre aspect de la question, qui a son importance  : la valeur « liberté d’expression » doit-elle être défendue inconditionnellement, même au prix du sang des autres  ? Ce principe est-il si "sacré", lui aussi, qu'il ne puisse jamais être contenu, notamment en balance avec la vie humaine ?
Sincèrement, quel caricaturiste, pas de façon générale mais dans un contexte très explosif, pâtirait de retenir un dessin très avilissant qui aurait pour conséquence quasi certaine d’envoyer certains de nous à la mort  ? Et de faire preuve d’imagination pour en produire plus malin  ? Ce ne serait plus Charlie, sans doute. C’est son droit de se comporter comme il se comporte. Mais Charlie n’est pas la France à lui tout seul.

Une conception partisane et doctrinaire

Le président de la République, qui lui représente notre pays, est parfaitement dans son rôle en défendant le principe de la liberté d’expression. Mais il a une responsabilité supplémentaire à celle de Charlie et de la presse en général. Il est la voix de la France dans le monde et se doit, dès lors, de représenter des valeurs universelles.
Or, si certains considèrent que le sens du sacré n’est pas une raison valable pour limiter leurs expressions, nombreux sont ceux qui pensent le contraire, y compris en France (Jacques Chirac, par exemple) et dans le monde occidental (Justin Trudeau, au Québec), et pas dans une seule religion. Et même hors religion.
Le problème posé par les caricatures et leur réception dans de nombreux pays à connotation musulmane n’est pas en fait une question de droit mais de sensibilité et de conviction, dimensions au contour fluctuant mais aux pouvoirs incommensurables qu’il est toujours dangereux de négliger ou de mal mesurer.

« Le dieu de la terreur qui demeure dans l’âme »

« Les catastrophes gigantesques qui nous menacent, écrivait C. G. Jung dans « L’âme et le vie », Buchet-Castel, 1963, (…) sont de nature psychique. À un degré effroyable, nous sommes menacés de guerres et des révolutions qui ne sont rien d’autre que des épidémies psychiques. À tout instant, des millions d’hommes peuvent être pris d’une folie qui nous précipitera à nouveau dans une guerre mondiale ou dans une révolution dévastatrice. (…) L’homme d’aujourd’hui est menacé par les puissances élémentaires de la psyché. Le psychique est une grande puissance qui dépasse de beaucoup toutes celles de la terre. Le siècle des Lumières, qui a enlevé à la nature et aux institutions humaines leur caractère divin, a ignoré le dieu de la terreur qui demeure dans l’âme ».
Un simple dessin, en touchant aux représentations psychiques les plus fondamentales, peut très bien déclencher ce genre de cataclysme. Comment, dès lors, ne pas réfléchir à sa responsabilité en s'efforçant de concevoir une expression qui respecte sa conviction intime, sans pour autant s'autocensurer ?

En érigeant les caricatures de Charlie Hebdo en symbole de la liberté d’expression, le président Macron abandonne l’universel, car il prend fait et cause pour l’une des deux conceptions ("le sacré[1] n’est pas un motif pour encadrer la liberté d’expression"). Il dénature par là-même la précieuse laïcité qui, elle, se doit de ne pas prendre parti pour les conceptions des croyants ou des non croyants.
Dans le cas présent, la liberté de salir le sacré, la transcendance, n’est pas universelle, mais doctrinaire, partisane, inspirée par l’athéisme ou le matérialisme (dont nombre de rédacteurs de Charlie sont des partisans déclarés). Cette conception n’est déjà pas rassembleuse en France (voir le débat actuel sur l’Observatoire de la laïcité). Comment dès lors pourrait-elle être comprise dans les pays dont la fibre religieuse est à fleur de peau  ?

Comportements-limites


En tant que garant de la liberté d’expression, le président a le devoir d’en maîtriser pleinement la nature et les contours, la rendant saine et bienfaisante. En tant que responsable de l’ordre public, il doit protéger les Français et ne pas soutenir certains comportements-limites entraînant quasi inéluctablement des meurtres.
Dans sa position, ce serait une erreur, voire une faute, que de consacrer, et donc d'encourager, un usage préjudiciable, bien que légal, de la liberté d’expression. Il ne s’agit pas pour autant d’un renoncement, d’une trahison de l’esprit de ce principe fondateur, bien au contraire. Car cet usage provocateur et hostile reste toujours possible en soi. Mais ce n’est pas à lui de le prendre à son compte, au compte de la France, sans aucune réserve.
Établissant une position bien plus laïque sur ce sujet, l’État sera alors à même de proposer des programmes d’enseignement de l’histoire ingénieux, diversifiés, enfin acceptables par toutes les sensibilités, au lieu qu’actuellement, horriblement, les enseignants sont les victimes expiatoires du dogme régnant.

(Merci à Olaf le Preux pour ses suggestions)

[1] Le sacré n’est d’ailleurs pas seulement religieux  ; je pense par exemple à l’innocence des enfants.

Aveuglée par son obsession antisectaire, la Miviludes a laissé libre champ au terrorisme islamiste

De 2002, date de sa création, à 2014, la Miviludes a ignoré les loups, issus de sectes ouvertement meurtrières, qui s’installent sur son territoire. Elle a préféré pourchasser les mouches pacifiques des minorités spirituelles et des alter-médecines. Résultat : un contresens mortifère et qui, malheureusement, perdure.

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Durement touchée par les attentats depuis janvier 2015, la France est le pays européen qui déplore le plus de morts lors d’attaques terroristes depuis 2004. Et le nombre de ces attaques ne cesse d'augmenter : Charlie Hebdo, Hyper Cacher, Paris, Saint-Denis, Saint-Quentin-Falavier, Magnanville, Nice, Saint-Étienne-du-Rouvray et plusieurs tentatives heureusement déjouées ou avortées...

France attentatsÉtrangement, la France est en même temps le pays qui dit être le plus acharné contre les « dérives sectaires ». Elle se dit « en pointe » dans ce domaine, grâce à l’imposant arsenal législatif, judiciaire et policier qu’elle a mis en place ces dernières années : Miviludes (lutte contre les dérives sectaires) dont le salaire du président a été multiplié par deux, Caimades (police spécialisée antisecte), loi About-Picard (loi punissant les « dérives sectaires »), associations antisectes financées par l’Etat (Unadfi, CCMM, Gemppi, etc.), innombrables campagnes d’alerte, millions d’euros dépensés chaque année…

Le problème – et il est de taille – est qu’elle s’est toujours acharnée contre des individus et des mouvements pacifiques en ignorant en même temps totalement les membres de groupes dangereux revendiquant ouvertement leur volonté de tuer.

Cécité face aux vraies menaces

La question de la création d’outils de prévention et de lutte contre la radicalisation islamiste a été extrêmement tardive. Elle n’a commencé à être prise en compte par la Miviludes qu’en 2014, elle qui existe depuis 2002. Ce n’est que depuis cette année-là, soit plus de 30 ans après les premières alertes sur les dérives sectaires islamistes !, que la Miviludes « travaille » sur « la détection et la prévention des comportements radicaux » islamistes.

Il est vrai que cette instance interministérielle n’a pas été aidée par l'Etat qui, tous gouvernements confondus[1], a été tout aussi aveugle et de parti pris : « Depuis les années 80, déplore dans le Figaro en mai 2015 Jeannette Bougrab, universitaire française devenue maître des requêtes au Conseil d'État, la France sous-estime la montée et la radicalisation de l’islam. (...) Les élites ont préféré se couvrir les yeux plutôt que de prendre la mesure des conséquences désastreuses de l’abandon de notre modèle républicain. J’ai tenté d'alerter à travers des écrits et des conférences sur la gravité du phénomène de radicalisation de jeunes musulmans, pour certains récemment convertis. Mais on a parfois la terrible impression que les gens s’habituent aux violations des droits les plus fondamentaux. »

Cette cécité totale face aux vraies menaces a été en revanche doublée d’une psychose paranoïaque face aux mouvements spirituels minoritaires (autres qu’islamistes) et aux médecines douces, et d’un acharnement sans faille depuis vingt ans à leur égard.

Dès 2005, les RG alertent sur la menace islamiste

Exemple frappant, en février 2005, un article du Monde rapporte la teneur d’un rapport sur le mouvement salafiste en France qui a été remis au ministre de l'intérieur par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) : « Le terreau est favorable, la plante grandit et ses racines ne sont pas compatibles avec celles de la République. (…) [Le texte] dresse une cartographie de ses zones d’influence actuelles. Il aborde également ses modes d’action dans les quartiers sensibles, où il compte la plupart de ses militants et sympathisants, soit plus de 5 000 personnes au total, dont environ 500 constituent le noyau dur.

» Selon les RG, les salafistes contrôlent actuellement [en 2005] une quarantaine de lieux de culte sur l’ensemble du territoire et mènent des tentatives de déstabilisation dans une quarantaine d’autres, afin d’y prendre le pouvoir.

Dans un article de La Croix du 19 mars 2017, Didier Leschi, ancien chef du bureau des cultes au ministère de l’intérieur évoque le moment d'anthologie où il a tenu tête, s'appuyant sur des "faits et non sur des rumeurs", à Georges Fenech, alors président de la Miviludes. Lors de cette audition, il avait ajouté, concernant l'islam en France : « Ces dérives liées à l’Islam, cette attention, nous voudrions la faire partager à la fois par la Miviludes et par les associations de défense des victimes, or force est de constater que ce segment des dérives sectaires suscite peu l’attention, manifestement, les familles de ces jeunes n’intéressent pas, pas plus que les victimes». 

» L'étude de la DCRG montre que le salafisme, mouvance éclatée en perpétuelle évolution, a étendu son influence ces dernières années sur la quasi-totalité du territoire. En 2000, cette conception radicale de l’islam rassemblait des adeptes dans six régions ; aujourd'hui quatre seulement sont épargnées (la Basse-Normandie, la Corse, le Limousin, Poitou-Charentes). Pour les policiers des RG, le salafisme est l’antichambre privilégiée des jeunes islamistes qui épousent ensuite l'action violente ».

Cette même année, à la suite des attentats de Londres, la France avait relevé le niveau d’alerte du plan Vigipirate. Les renseignements généraux surveillaient très attentivement une quinzaine de petits groupes de radicaux islamistes sur le territoire. Il s’agissait d’individus, près de 150 au total, ­ ayant un engagement religieux extrémiste et des « velléités d'action délictueuses », selon l’expression d’un responsable policier.

La Miviludes muette sur la menace djihadiste

Ces dérives sectaires-là, qui auraient dû théoriquement entrer en urgence en tête de ses préoccupations si l’on en croit les objectifs qui lui ont été assignés, la Miviludes les ignore, alors même que la dangerosité de ces personnes est avérée et que le caractère « sectaire » de la déviance est manifeste [2].

JO Miv

Dans le Journal Officiel du 29 novembre 2002.

Non, cette année-là, elle publie un rapport qui ne dit pas un mot sur les risques islamistes et se concentre sur un prétendu "fléau social" : « À l’écoute des victimes et de leurs familles, la Miviludes dresse aujourd’hui un constat inquiétant des dommages provoqués par l’emprise exercée par des personnes ou des organisations se conduisant en maîtres à penser. De telles dérives se produisent dans tous les secteurs de la vie sociale, soins et santé, formation continue et soutien scolaire, sports et activités culturelles, groupes ésotériques ou mystiques. Elle relève que de nouveaux organismes apparaissent presque chaque jour, sans qu’aucun point du territoire ne soit épargné, ces micro-structures étant souvent beaucoup plus difficiles à cerner que les grandes organisations bien connues ».

Le danger, dans ce domaine, n’est pas apparent, mais la Miviludes se dit experte pour démasquer les escrocs : « Dans le registre de la séduction, écrit-elle dans son rapport, certaines organisations sectaires prônent, par exemple, la lutte contre la toxicomanie, le refus de la violence ou la défense des droits de l’enfant. Avant d’exercer la moindre critique à l’encontre de la générosité ainsi affichée, l’État va devoir apporter la preuve que ce beau langage est un leurre et qu’il dissimule une volonté de prosélytisme et de mise en situation de dépendance ou d’emprise mentale ».

Pour la France, les « sectes » sont plus une menace que les islamistes

Fenech & Blisko

Georges Fenech (à g.) et Serge Blisko, l'ancien et le nouveau président de la Miviludes.

Éprouvant d'énormes difficultés à administrer cette preuve, la Miviludes va, quelques années plus tard, imaginer un autre moyen pour convaincre les Français que lutter contre les minorités spirituelles et les thérapies non conventionnelles (médecines douces), qualifiés de « dérives sectaires » pour la cause, est autrement plus important urgent que d’œuvrer à stopper le virus djihadiste.

Elle va commander elle-même à Ipsos un sondage qui va aboutir, en 2010, à des résultats qu’aucun journaliste, d'ailleurs, n’a eu l’idée d'approfondir : les sectes (il n’était pas question des sectes islamistes) constituent une menace « importante » pour la démocratie selon 66 % des Français. 42 % d'entre eux les perçoivent comme une « menace pour leur entourage familial et amical ».

Et, plus extravagant encore, 20 % des personnes interrogées connaissent dans leur entourage une ou plusieurs « victimes de dérives sectaires » : soit un Français sur cinq ! De quoi, si cela était vrai, déclencher une mobilisation nationale immédiate, ainsi qu'un plan massif de protection. Il n'en a rien été.

En fait, ce sondage, largement répercuté sans esprit critique par la presse, ne repose sur rien d’objectif ni de factuel : il peut être analysé, tout au plus, comme le fruit réussi de la propagande antisecte de l’État.

Les « gourous » ne posent pas de bombes

La liste des mouvements et personnes injustement discriminés par la Miviludes est trop longue pour être rapportée ici. Les personnes intéressées peuvent consulter ses rapports annuels et les documents thématiques qui fourmillent d’accusations sans preuve et de dénonciations calomnieuses.

Ou voir ici pour la seule question des médecines non conventionnelles.

Les groupes et les personnes visées, qualifiées d’escrocs ou de « gourous », par la Miviludes ont parfois tenté de se défendre devant la justice. Mais, attaqués également par les médias et jugés par des magistrats formés dans ce domaine par la Miviludes et des associations comme l’Unadfi, ils avaient peu de chances d’être entendus. Comme ils n’ont pas posé de bombe ni assassiné personne, la moderne inquisition d’État a pu continuer tranquillement à les ignorer avec le soutien exprès des grands médias et d'un grand public complètement manipulé.

Le pouvoir exécutif, engagé sur une mauvaise conception de la « dérive sectaire », est impuissant à comprendre, encore moins à résorber, la vraie menace des vrais adversaires de la République que sont les djihadistes, qui ne s’embarrassent pas des subtilités du « débat démocratique ».

Les « gourous », eux, ne posent pas de bombes. Mais c’est ceux-là que la Miviludes pourchasse effectivement.

> Bref, si je devais résumer mon sentiment, l'aveuglement de la Miviludes, sa polarisation sur des mouvements qui s’écartent de la doxa laïque et scientiste, l'ont empêchée de voir les vrais dangers.  Mais il y eut aussi la peur de s'attaquer au dossier chaud, politiquement parlant, des différentes mouvances musulmanes en France. Il y a peu de risque à taper sur des personnes ou des groupes pacifiques et qui ne peuvent guère se défendre. En ce cas, la République est "en pointe". Quand il s'agit de s'attaquer aux groupes et aux discours de haine qui appellent à la destruction du pays, on est moins vaillant... Combien de morts et de blessés faudra-t-il encore pour que la France se réveille et modifie enfin son attitude ?

[1] Il y eut bien quelques exceptions, mais, comme souvent, elles n’ont pas été entendues. Ainsi, le député Benoît Hamon avait trouvé dommage que sur un sujet aussi sérieux que la burqa dans la République, on ne parle pas des mouvements qui inspirent ce type de militantisme radical religieux « notamment les mouvements salafistes » (le Figaro du 24 janvier 2010). Il avait ajouté que « si le gouvernement veut aller au bout, qu’il inscrive les salafistes au registre des sectes et des mouvements sectaires ». Mais on aurait alors risqué de mécontenter les « bons » musulmans et de dépasser les limites de l’État de droit. Pourtant, en 1995, les députés n’avaient pas hésité à sortir de l’État de droit en publiant, sans enquête ni débat, une liste de 175 mouvements supposés sectaires. Et il n'y avait dans cette liste ni l'Ordre du temple solaire, ni les groupes islamistes. De même, la Miviludes ne s'est jamais gênée pour établir – sans procédure scientifique ni contradictoire, bafouant sans crainte d'être réprimandée la présomption d'innocence envers les praticiens concernés – des listes des médecines douces présentées comme "à risque sectaire" (voir plus loin).

[2] Il faudrait réserver le mot « sectaire » aux mouvements qui, comme Daech ou Boko Haram, revendiquent ouvertement leurs crimes (viols, assassinats, attentats, etc.) au nom d’une idéologie à consonance religieuse ou politique.

> Voir aussi :

- Attentats, Nouvel Age.- Lutte contre toutes les « sectes » : les raisons d’un fiasco par Débredinoire.

- Analyse : Djihadisme et "dérives sectaires", par Jean-François Mayer, historien, fondateur de Religioscope.


Je suis descendu dans la tête d’un terroriste islamiste

Indignation, condamnations, appel à la fermeté et à l’unité : ces réactions sont compréhensibles mais aident-elles en quoi que ce soit à éviter que les horreurs terroristes se reproduisent ? Pour cela, il faut prendre le risque de regarder dans la tête de ces criminels qui sont, comme chacun de nous, des êtres (in)humains.

Par chance, étant journaliste et proche d’un juge antiterroriste, j’ai pu rencontrer en cellule l’un de ces fous qui massacrent, violent, volent et détruisent au nom de Dieu.

Il est vain de seulement s’offusquer devant ses crimes et de le considérer comme un humain « anormal », comme un « monstre ». Il faut tenter de comprendre, non pas pour excuser, bien évidemment, mais pour savoir si nous pouvons/devons changer, et d’abord en nous-mêmes, pour empêcher que cela ne dure.

Est-il possible d’apercevoir un sens quelconque sous toutes ces horreurs ? Je le crois. Un sens psychologique, parce que ces assassins et moi-même sommes de même nature. Nous faisons partie tous les deux de l’espèce humaine, que je le veuille ou non.

Avec effroi (qu’allais-je apprendre sur l’homme, donc aussi sur moi-même ?), j’ai écouté le discours de ce réprouvé. Il a voulu être franc, c’est la seule « qualité » que j’ai pu lui reconnaître. Pour le reste, vous jugerez par vous-mêmes.

drapeauSon rire sardonique me glace encore aujourd’hui alors que je retranscris ces lignes en tremblant :

« Ce que je veux ? Jouir au maximum, et sans entrave ! Disposer de la vie des autres et posséder des femmes sans considération d’aucune sorte : filles, pubères, vierges, mères de famille, qu’importe, pourvu qu’elles aient un sexe ! Pour avoir cette jouissance, grâce à la force, je ne suis pas obligé d’obtenir un consentement, de faire ma cour, de me rendre moi-même désirable. Pas obligé de passer du temps à séduire, à m’ingénier pour obtenir une faveur. Ce serait trop humiliant, trop long.

Je veux, je prends !

Qu’on ne me dise pas que je suis un monstre ! Vu l’extraordinaire marché, universellement répandu, des films de violence et de pornographie, ces désirs immondes ou salaces sont en fait partout. Y compris chez vous, les « civilisés ».

Mais vous n’osez pas vous regarder en face.

La seule différence entre nous, c’est que moi, terroriste, je ne me contente pas de scènes de crime fictives, ou de soirées chics sado-maso entre personnes consentantes, je vis concrètement mes pulsions ! Jusqu’au bout ! Je réalise à fond mes fantasmes quand toi, tu les caches et les vis par procuration.

Je me sers, où et quand je veux !

L’autre n’est pour moi qu’un moyen pour satisfaire mes désirs. Il m’aide à les réaliser ? Je le respecte ! Il me gêne ou peut servir mes desseins ? Je dispose de lui à ma guise.

Qu’on ne me dise pas que je suis un monstre ! Ou alors, un monstre parmi beaucoup d’autres en jean ou en costard. Vu les puissants de toute nature qui imposent leurs vues aux plus faibles, la mise en esclavage de myriades de « travailleurs », le profit au détriment de l’autre, l’accaparement de ce qui lui revient, l’arnaque, la fraude, etc. Ces pratiques sont universellement répandues. Y compris chez les plus « civilisés ».

Certes, chez vous, tout cela est mal vu. Alors vous recouvrez vos tricheries, vos vols et vos exactions sous de nobles apparences. Vous maquillez vos guerres du pétrole ou de minerai sous des masques valorisants : lutte contre les tyrannies, défense du faible, instauration de la démocratie, etc.

Et qui tire immense profit des armes que j’utilise ?

Moi, j’ai compris votre stratagème. Alors je brandis aussi mon drapeau : la loi d’Allah, par exemple. Bien pratique ! Ayant divinisé mon ego, je me justifie en déclarant servir Dieu. Ainsi, je puis attirer les gogos, tous ces rêveurs que vos injustices révoltent et qui voient en ma détermination un excellent moyen d’exister aux yeux du monde et à leurs propres yeux.

Qu’importe si cela me conduit à la mort ! C’est ma puissance ! Ma supériorité sur vous. Laissé pour compte, abandonné dans des pays et des quartiers de misère, exploité, déshérité, méprisé, j’existe à fond quelques instants, quelques années. Vous me craignez ? C’est ma revanche !

Oui je tue, rançonne, vole et viole : je suis le bœuf qui jouis, je connais l’extase de la surpuissance face à l’œuf que tu es, qui te gave de psychotropes pour supporter ta morne existence. Je veux, je prends, je détruis. Toi, tu subis, tu obéis ! Tu vois les puissants se goinfrer, détruire tes emplois et saccager ta planète, et que réponds-tu ? Indignation, réclamation, Etat de droit, palabres, manifestations...

Moi j’exulte. Ici, maintenant.

Chacun son truc ».

Le calme revenu en moi après cette tempête obscène, je me suis mis à penser.

« L’humain », c’est ma conviction, n’existe que s’il se construit. Je peux devenir « humain » mais ce n’est pas une obligation de ma nature. Celle-ci est plastique, malléable. Selon mes choix, je peux me former, m’épanouir en humain digne de ce nom ou rester le jouet de mes impulsions et faux désirs. Et être moins qu’une bête qui, elle, au moins, obéissant aux lois de sa nature, n’a pas le choix de déterminer son individualité.

Les auteurs des attentats islamistes sont des hommes comme vous et moi. Sauf que…

Sauf que ce sont des pantins, déformés par la propagande, mal accompagnés, mal aimés, soumis sans aucune réserve à leurs pulsions les plus sauvages.

Au service de leur seul ego.

Ce ne sont pas des extraterrestres, des êtres d’une autre espèce. Je les regarde comme je me regarde moi-même. Ils sont faits comme vous et moi.

S’ils deviennent des monstres, c’est qu’ils ne savent pas gérer leurs gigantesques frustrations, qu’ils laissent dominer en eux la colère et l’orgueil et la soif de jouissance sans bride.

Moi aussi, je me suis senti plusieurs fois frustré.  J’ai été en colère et ai réagi avec orgueil. J’ai cédé plus que de raison aux impulsions de mes sens. Mais j’ai eu la chance de découvrir une réalité plus haute, celle de l’Esprit, qui m’a enseigné l’intelligence du cœur.

Sur cette voie, j’ai osé regarder mon état, sans complaisance. Avec lucidité, j’ai vu que j’avais en moi toutes les dispositions pour devenir soit une bête soit un humain. J’ai choisi le deuxième terme de l’alternative. Mais je suis toujours en vigilance et en formation, car est-on jamais assuré d’être parvenu au but ? Et, dans telle ou telle circonstance extrême, suis-je assuré de ne jamais faillir à mes valeurs ?

Si je n’avais pas rencontré l’Amour, si je n’étais pas engagé à bâtir l’humain en moi, si je n’avais pas placé au sommet de tout le désir de bien et de tendresse, si mon souci le plus cher n’était pas de me rendre digne de mon idéal, qui serais-je ?

 «Aujourd’hui, contre quoi faut-il résister ? Il faut résister contre deux barbaries. Une barbarie que nous connaissons tous, qui se manifeste par Daech, par les attentats, par les fanatismes les plus divers. Et l’autre barbarie, qui est froide, glacée, qui est la barbarie du calcul, du fric et de l’intérêt. Dans le fond, face à ces deux barbaries, tout le monde devrait, aujourd’hui, résister.»
Edgar Morin
La Croix, 17 juin 2015

> L´infaux : l´actualité comme elle aurait pu être ou comme vous auriez aimé la lire (mais qui n'a pas eu lieu)".