Toute l'infaux

Je suis descendu dans la tête d’un terroriste islamiste


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Indignation, condamnations, appel à la fermeté et à l’unité : ces réactions sont compréhensibles mais aident-elles en quoi que ce soit à éviter que les horreurs terroristes se reproduisent ? Pour cela, il faut prendre le risque de regarder dans la tête de ces criminels qui sont, comme chacun de nous, des êtres (in)humains.

Par chance, étant journaliste et proche d’un juge antiterroriste, j’ai pu rencontrer en cellule l’un de ces fous qui massacrent, violent, volent et détruisent au nom de Dieu.

Il est vain de seulement s’offusquer devant ses crimes et de le considérer comme un humain « anormal », comme un « monstre ». Il faut tenter de comprendre, non pas pour excuser, bien évidemment, mais pour savoir si nous pouvons/devons changer, et d’abord en nous-mêmes, pour empêcher que cela ne dure.

Est-il possible d’apercevoir un sens quelconque sous toutes ces horreurs ? Je le crois. Un sens psychologique, parce que ces assassins et moi-même sommes de même nature. Nous faisons partie tous les deux de l’espèce humaine, que je le veuille ou non.

Avec effroi (qu’allais-je apprendre sur l’homme, donc aussi sur moi-même ?), j’ai écouté le discours de ce réprouvé. Il a voulu être franc, c’est la seule « qualité » que j’ai pu lui reconnaître. Pour le reste, vous jugerez par vous-mêmes.

drapeauSon rire sardonique me glace encore aujourd’hui alors que je retranscris ces lignes en tremblant :

« Ce que je veux ? Jouir au maximum, et sans entrave ! Disposer de la vie des autres et posséder des femmes sans considération d’aucune sorte : filles, pubères, vierges, mères de famille, qu’importe, pourvu qu’elles aient un sexe ! Pour avoir cette jouissance, grâce à la force, je ne suis pas obligé d’obtenir un consentement, de faire ma cour, de me rendre moi-même désirable. Pas obligé de passer du temps à séduire, à m’ingénier pour obtenir une faveur. Ce serait trop humiliant, trop long.

Je veux, je prends !

Qu’on ne me dise pas que je suis un monstre ! Vu l’extraordinaire marché, universellement répandu, des films de violence et de pornographie, ces désirs immondes ou salaces sont en fait partout. Y compris chez vous, les « civilisés ».

Mais vous n’osez pas vous regarder en face.

La seule différence entre nous, c’est que moi, terroriste, je ne me contente pas de scènes de crime fictives, ou de soirées chics sado-maso entre personnes consentantes, je vis concrètement mes pulsions ! Jusqu’au bout ! Je réalise à fond mes fantasmes quand toi, tu les caches et les vis par procuration.

Je me sers, où et quand je veux !

L’autre n’est pour moi qu’un moyen pour satisfaire mes désirs. Il m’aide à les réaliser ? Je le respecte ! Il me gêne ou peut servir mes desseins ? Je dispose de lui à ma guise.

Qu’on ne me dise pas que je suis un monstre ! Ou alors, un monstre parmi beaucoup d’autres en jean ou en costard. Vu les puissants de toute nature qui imposent leurs vues aux plus faibles, la mise en esclavage de myriades de « travailleurs », le profit au détriment de l’autre, l’accaparement de ce qui lui revient, l’arnaque, la fraude, etc. Ces pratiques sont universellement répandues. Y compris chez les plus « civilisés ».

Certes, chez vous, tout cela est mal vu. Alors vous recouvrez vos tricheries, vos vols et vos exactions sous de nobles apparences. Vous maquillez vos guerres du pétrole ou de minerai sous des masques valorisants : lutte contre les tyrannies, défense du faible, instauration de la démocratie, etc.

Et qui tire immense profit des armes que j’utilise ?

Moi, j’ai compris votre stratagème. Alors je brandis aussi mon drapeau : la loi d’Allah, par exemple. Bien pratique ! Ayant divinisé mon ego, je me justifie en déclarant servir Dieu. Ainsi, je puis attirer les gogos, tous ces rêveurs que vos injustices révoltent et qui voient en ma détermination un excellent moyen d’exister aux yeux du monde et à leurs propres yeux.

Qu’importe si cela me conduit à la mort ! C’est ma puissance ! Ma supériorité sur vous. Laissé pour compte, abandonné dans des pays et des quartiers de misère, exploité, déshérité, méprisé, j’existe à fond quelques instants, quelques années. Vous me craignez ? C’est ma revanche !

Oui je tue, rançonne, vole et viole : je suis le bœuf qui jouis, je connais l’extase de la surpuissance face à l’œuf que tu es, qui te gave de psychotropes pour supporter ta morne existence. Je veux, je prends, je détruis. Toi, tu subis, tu obéis ! Tu vois les puissants se goinfrer, détruire tes emplois et saccager ta planète, et que réponds-tu ? Indignation, réclamation, Etat de droit, palabres, manifestations...

Moi j’exulte. Ici, maintenant.

Chacun son truc ».

Le calme revenu en moi après cette tempête obscène, je me suis mis à penser.

« L’humain », c’est ma conviction, n’existe que s’il se construit. Je peux devenir « humain » mais ce n’est pas une obligation de ma nature. Celle-ci est plastique, malléable. Selon mes choix, je peux me former, m’épanouir en humain digne de ce nom ou rester le jouet de mes impulsions et faux désirs. Et être moins qu’une bête qui, elle, au moins, obéissant aux lois de sa nature, n’a pas le choix de déterminer son individualité.

Les auteurs des attentats islamistes sont des hommes comme vous et moi. Sauf que…

Sauf que ce sont des pantins, déformés par la propagande, mal accompagnés, mal aimés, soumis sans aucune réserve à leurs pulsions les plus sauvages.

Au service de leur seul ego.

Ce ne sont pas des extraterrestres, des êtres d’une autre espèce. Je les regarde comme je me regarde moi-même. Ils sont faits comme vous et moi.

S’ils deviennent des monstres, c’est qu’ils ne savent pas gérer leurs gigantesques frustrations, qu’ils laissent dominer en eux la colère et l’orgueil et la soif de jouissance sans bride.

Moi aussi, je me suis senti plusieurs fois frustré.  J’ai été en colère et ai réagi avec orgueil. J’ai cédé plus que de raison aux impulsions de mes sens. Mais j’ai eu la chance de découvrir une réalité plus haute, celle de l’Esprit, qui m’a enseigné l’intelligence du cœur.

Sur cette voie, j’ai osé regarder mon état, sans complaisance. Avec lucidité, j’ai vu que j’avais en moi toutes les dispositions pour devenir soit une bête soit un humain. J’ai choisi le deuxième terme de l’alternative. Mais je suis toujours en vigilance et en formation, car est-on jamais assuré d’être parvenu au but ? Et, dans telle ou telle circonstance extrême, suis-je assuré de ne jamais faillir à mes valeurs ?

Si je n’avais pas rencontré l’Amour, si je n’étais pas engagé à bâtir l’humain en moi, si je n’avais pas placé au sommet de tout le désir de bien et de tendresse, si mon souci le plus cher n’était pas de me rendre digne de mon idéal, qui serais-je ?

 «Aujourd’hui, contre quoi faut-il résister ? Il faut résister contre deux barbaries. Une barbarie que nous connaissons tous, qui se manifeste par Daech, par les attentats, par les fanatismes les plus divers. Et l’autre barbarie, qui est froide, glacée, qui est la barbarie du calcul, du fric et de l’intérêt. Dans le fond, face à ces deux barbaries, tout le monde devrait, aujourd’hui, résister.»
Edgar Morin
La Croix, 17 juin 2015

> L´infaux : l´actualité comme elle aurait pu être ou comme vous auriez aimé la lire (mais qui n'a pas eu lieu)".

3 thoughts on “Je suis descendu dans la tête d’un terroriste islamiste

  1. valencia jean

    Il y a aussi la question du Coran, car ils tuent au nom du Coran et c’est vrai qu’il y a l’appel au combat contre les infidèles et un musulman ne peut pas changer de religion, aussi au terme des frustrations, des colères, de la jalousie, de l’intolérance, de l’orgueil, de la volonté de jouir, de posséder devant l’absurdité de la société d’hyperconsommation, il y a la radicalisation et la volonté d’imposer une règle de fer à ceux qui étaient leurs semblables.

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    1. Jean-Luc Martin-Lagardette Auteur de l’article

      La Bible aussi, surtout l’Ancien Testament, n’est pas exempte d’appel à la violence au nom de Dieu. Le problème est moins dans les textes, même s’ils on un certain rôle, que dans l’interprétation que veulent en faire les frustrés qui comblent leurs manques par l’usage de la force.

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