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Au Bénin, les évangélistes n’ont plus l’oreille du président

Le 6 avril 2006, Thomas Boni Yayi prêtait serment comme président de la République du Bénin. Durant les deux quinquennats où cet homme, né dans une famille musulmane puis converti au christianisme évangélique, aura tenu les rênes du pays, le nombre d’églises enregistrées et surtout de son obédience, aura été multiplié par 45 entre 2006 et 2016 ! Le nouveau président a mis fin à cette connivence.

Par Bernado Houenoussi

L'ancien président Yayi (DR).

Bien que le Bénin soit un Etat laïc, avec une laïcité « affirmée devant Dieu et les mânes des ancêtres », la ligne de démarcation entre la politique et le religieux est ténue. Depuis février 90, où le pays a amorcé son processus démocratique, le président Thomas Boni Yayi, contrairement à ses prédécesseurs, avait publiquement affiché sa foi.
Pendant ses deux mandats, le ministère de l’Intérieur a changé de tête à huit reprises. Parmi les ministres qui ont occupé ce poste, certains étaient d’authentiques pasteurs avant d’entrer au gouvernement et ont continué à l’être, par exemple Armand Zinzindohoué nommé en octobre 2008 et Simplice Codjo, en août 2014. Le premier bond nombre notable d’églises enregistrées noté en 2010 (139 églises) l’a été au moment où Armand Zinzindohoué était encore le ministre des Cultes. Si d’autres occupants de ce portefeuille ministériel sous la présidence de Thomas Boni Yayi n’étaient pas pasteurs, les postes-clés du rouage de ce ministère étaient particulièrement devenus la chasse gardée des hommes d’église.

Quand la « foi » ouvre des portes

Patrice Talon a succédé à Thomas Boni Yayi le 6 avril 2016 comme chef de l’Etat béninois. Chrétien catholique, il a mis fin au ballet des pasteurs à la présidence, œuvrant seulement à la réunification de l’église protestante méthodiste qui était divisée en deux ailes depuis plusieurs années.
Contrairement à la pratique de son prédécesseur, seules quelques-unes de ses audiences sont relayées par la télévision nationale, sa volonté étant de rompre avec l’« hyper-communication » qui était devenue la norme sous l’ancien régime.
Durant ces dix dernières années, les campagnes d’évangélisation organisées par les églises évangéliques s’étaient multipliées. Appartenir à la même sphère religieuse que Thomas Boni Yayi était un précieux sésame pour avoir un ancrage durable au sein de l’appareil de l’Etat. Ce secret de polichinelle a eu comme conséquence de créer un véritable lobby de pasteurs.
En fonction de la proximité et donc de l’influence d’un groupe sur le Chef de l’Etat, cette relation privilégiée ouvrait des portes, notamment dans le monde des affaire.

Abuser les fidèles femmes

Le rappeur Tyaf se moque des pasteurs autoproclamés (DR).

Malgré la coexistence pacifique entre les religions au Bénin, des faits divers marquent souvent l’actualité et relancent le débat public sur les pratiques en cours au sein de certaines églises. Tyaf, un rappeur béninois, s’en est inspiré au début de cette année à travers une de ses chansons intitulée « Pastor Kiki ».
Il y met en scène avec des détails croustillants l’histoire de Kiki, un apprenti mécanicien qui s’est mué en pasteur en créant une église avec laquelle il est devenu riche. Loin de répondre à l’appel d’une prétendue vocation, la création de cette église est la solution trouvée par ce personnage pour sortir du chômage. «Pastor Kiki » use aussi de sa position pour abuser les fidèles femmes. Cette chanson caricature un phénomène palpable dans le pays et qui rappelle un autre appelé « trouble d’amour » et qui a défrayé la chronique à la fin des années 90.

Le « trouble d’amour »

Il a été observé au sein de l’église Union de la renaissance d’hommes en Christ (Urhc) du pasteur Justin Kossoko. Marie-Thérèse Biaou en 2001, dans son mémoire de DEA d’études africaines à l’Université Paris-I portant sur « Le droit et les nouveaux mouvements religieux au Bénin », l’explique après avoir interrogé quelques fidèles.
Selon eux, il s’agit d’un « enseignement » qui montre que « les hommes se marient sans demander la lumière du Seigneur. La majorité des mariages sont célébrés avec des âmes incompatibles et non pas avec des âmes sœurs comme le veut le plan d’amour de Dieu sur ses enfants ». Il est suggéré aux « jeunes filles et femmes même mariées de réparer leurs erreurs du passé ». Pour ce faire, « le pasteur organise ou fait organiser par des disciples formés par lui des séances de prières, cérémonies au cours desquelles il se produit des phénomènes bizarres dits ‘‘troubles d’amour’’ ».
Selon d’autres détails, « les femmes tomberaient en une sorte d’état d’inconscience au cours de ces prières et se mettraient presque nues ».
Le phénomène a pris de l’ampleur au point où les activités d’une paroisse de l’Urhc ont été suspendues provisoirement. C’était le cas dans le sud du pays à Sèhouè dans la localité de Toffo. Le sous-préfet a estimé qu’il y avait « trouble à l’ordre public » parce que la « paroisse reçoit des enseignements de trouble d’amour et pratique ledit trouble ». Estimant que la décision du sous-préfet constituait « une atteinte flagrante du droit à la liberté de religion, de culte et de mouvement » un collectif des fidèles de l’Urhc de la localité de Sèhouè a saisi la Cour constitutionnelle le 15 juillet 98. Le 21 août 2002, la Cour constitutionnelle a rendu une décision déboutant les plaignants.

 

La métaphysique, une réponse à la quête des jeunes

Qui suis-je et que fais-je sur Terre ? Ces questions, même des très jeunes enfants se les posent. Mais personne pour y répondre car, dans notre société plus avide de confort matériel que de métaphysique, rares sont les personnes capables de donner une réponse satisfaisante à des jeunes en recherche.

Par Paul Vinel

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Paul Vinel.

"Le débat sur la laïcité est devenu hautement inflammable. Il est l’otage de manieurs d’idées, qui n’en sont plus à leurs premières outrances. » C’est le NouvelObs qui le dit ! La place des religions dans notre France laïque est encore et toujours un sujet de controverse.

Les religions existent depuis la nuit des temps et ne sont pas prêtes de disparaitre. Le plus souvent elles ont été facteur de civilisation, nombreux sont les bienfaits apportés par elles : repos hebdomadaire, enseignement, soins hospitaliers, œuvres sociales, abolition de l'esclavage, Droits de l'Homme, etc... La liste est longue. Mais de tout temps des guerres de religion ont également existé, et cette situation va perdurer.

La naïveté n’est pas de mise face à certains excès car les religions peuvent aussi être facteur de violence, car même si elles sont d'inspiration divine, elles sont aussi et surtout mises en œuvre par des humains. Ni entièrement bonnes, ni entièrement mauvaises, elles sont ce que leurs membres en font.

L'interdiction des signes religieux ostentatoires au sein de l'école publique était une idée attractive : elle devait offrir aux écoliers un environnement neutre, exempt de tout prosélytisme religieux. Mais elle a totalement échoué : les apprentis djihadistes qui ont tenté de se rendre en Syrie ou en Irak, ou commis des attentats en France, ne sont pas issus d'écoles religieuses, mais ont tous été éduqués dans des écoles publiques vides de tout symbole religieux.

Comment cela a-t-il été possible ?

Personne pour les guider

Comme l’a dit Hubert Reeves, célèbre astrophysicien, nous sommes tous des poussières d'étoiles perdues en plein Univers. Et chacun de nous un jour ou l'autre s’est posé la question : qui suis-je et que fais-je sur Terre ? Cette question, même des très jeunes enfants se la posent. Mais personne pour y répondre car dans notre société plus avide de confort matériel que de métaphysique rares sont les personnes capables de donner une réponse à des jeunes en recherche. Et quand survient un recruteur djihadiste avec des fausses réponses, certains de ces jeunes le croient et le suivent. Voilà comment nos jeunes deviennent des criminels immondes : ils cherchaient un sens à la vie, mais personne pour les guider !

De toute évidence l’obscurité en elle-même n’existe pas, il s’agit juste d’un concept utile pour qualifier l’absence de lumière. N’existant pas, l’obscurité ne peut donc être supprimée, cependant une simple bougie suffit à la faire reculer. Il en va de même de l’obscurantisme : impossible à éradiquer mais facile à faire reculer grâce à un apport de connaissances vraies !

Faire revenir Dieu à l’école

Cela est le rôle des média, mais surtout le rôle de l’enseignement. Après avoir chassé Dieu des écoles, il est urgent de l’y faire revenir. Le vide métaphysique dans lequel les jeunes ont été abandonnés, a permis aux recruteurs djihadistes de les embrigader dans leur entreprise haineuse. Un enseignement du fait religieux pour ouvrir des horizons aux élèves tout en les laissant libres de leurs choix futurs, est à mettre en place de toute urgence.

Dans notre monde globalisé, la multiplicité des opinions, des croyances religieuses et philosophiques est inéluctable. De ce fait la liberté de conscience, déjà inscrite dans notre Constitution, est tout simplement incontournable. Mais comme toute liberté, elle s'arrête là où la liberté des autres commence. Le Code de la route a permis la libre circulation des véhicules et des individus tout en assurant leur sécurité. De même la laïcité doit permettre la liberté de conscience et d’expression de chacun tout en respectant la dignité de tous.

Une noble tâche !

> Nouvelobs : 50 nuances de laïcité... Et vous, quel laïque êtes-vous ?

Il faut défaire la Miviludes et intégrer socialement les « sectes douces »

La bête répression française des minorités spirituelles, qualifiées de « sectes », a certainement joué comme facteur aggravant dans la haine des jeunes sans repères contre le pays. Il faut avoir le courage de le reconnaître et de changer de politique.

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Partie du drapeau de l'Etat islamique (Daech).

Pourquoi les jeunes Français représentent-ils la nationalité la plus importante parmi les étrangers ralliés à Daesc en Syrie ? Outre les raisons historiques liées à notre passé colonial et au fond de racisme qui pourrit nos relations avec nos immigrés et leur descendance, il en est une qu’il faudra bien un jour regarder en face : parce que la France est seul le pays qui a mis en place une politique très élaborée de répression des minorités spirituelles. C’est un des pays les plus matérialistes qui soit et qui a peur du « spirituel ».

Or, la personne humaine a besoin d’idéal, de transcendance.

Or qu’offre-t-on à la jeunesse de notre pays ? Nos valeurs démocratiques ? Certes, elles sont belles. Mais elles sont contredites par nombre de nos comportements. Ne voit-on pas, par exemple, comme les marchands se réjouissent dans notre pays qui est le 3e vendeur d’armes au monde ? Et puis, la corruption, les lobbies, les conflits d’intérêt, etc., qui pourrissent la vie économique (cf. le domaine de la santé, par exemple) et politique (l’aide aux dictateurs africains qui continue aujourd’hui), une presse sans régulation déontologique, tout cela fragilise le lien social.

La laïcité ? Sans la transcendance, elle n’est pas « sexy ». Elle ne peut motiver les jeunes parias, encore moins si elle est comprise restrictivement, comme c’est souvent le cas en France, c’est-à-dire en excluant le religieux ou le spirituel de l’agora.

Imaginons un instant que la France n’ait pas mis en place cette politique irréfléchie, sectaire pour le coup, contre les minorités spirituelles QUI N'ONT JAMAIS ASSASSINE PERSONNE, NI POSE DE BOMBES, NI FAIT EXPLOSER LEURS MEMBRES AU MILIEU DU PUBLIC. Pourquoi je les appelle « sectes douces ».

Témoins de Jéhovah, scientologues, raéliens, moonistes, charismatiques de tout poil, anthroposophes, etc., auraient naturellement investi aussi les banlieues sans être inquiétées à prioiri comme c'est le cas aujourd'hui. Avec plusieurs conséquences positives :

- elles auraient pu attirer dans leur rang bien des jeunes à la recherche d’un idéal, d’un absolu auquel se consacrer à un moment clé de leur développement ;

- ces groupes se seraient confrontés à la fois à la société et aux autres groupes. Ils auraient été obligés de se poser des questions, de modifier certaines attitudes trop extrêmes, de s’améliorer sous l’aiguillon de la concurrence, etc. Or, en les marginalisant aujourd’hui comme le font tous nos gouvernements, ils les renforcent dans leurs identités particularistes. Se sentant injustement persécutés et n’ayant aucune tribune pour s’expliquer socialement, ils se sentent confortés dans « leur » vérité et se durcissent sur leur position.

- la société aurait pu découvrir et mieux apprécier encore les apports de ces approches. Il n’y a pas que l’athée, le croyant traditionnel, le fou d’Allah et l’agnostique (ou l’indécis). Il y a aujourd’hui bien des moyens différents de croire en Dieu de façon constructive, positive et bénéfique pour chacun et tous. D’ailleurs, même réprimées, ces approches intéressent déjà bien du monde. Que ne serait-ce si on cessait de les discriminer !

Les athées et les matérialistes, au lieu de se réfugier facilement – et vainement –, derrière la laïcité, devraient alors redoubler d’intelligence et d’imagination pour attirer des « clients ».

Reste une question : oui, mais laisser des citoyens être ainsi sous emprise est contraire à nos valeurs d’émancipation !

Cessons de rêver : l’influence, l’emprise, la dominance, la violence sont omniprésentes dans notre société ! Elles sont peu visibles mais cependant bien réelles. Publicités, hiérarchies, manipulations plus ou moins perverses, abus de toute nature, sont à l’œuvre à tous les niveaux. Un seul exemple, combien de morts par violence dans les couples dans les « sectes » décriées en France : 0 ou quelques unités ? Et dans les familles « normales » : 267 en 2011 !

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Sigle de la Mission interministérielle de lutte et de vigilance contres dérives sectaires.

Il serait temps de faire cesser ou fortement évoluer la Miviludes, véritable instance de discrimination dont j’affirme qu’elle a une part de responsabilité, indirecte certes mais réelle, dans l’accroissement de la haine qui pousse des jeunes déshérités mal accompagnés à se faire exploser aujourd’hui au milieu de nous.

 

 

> Sur Altermonde sans frontière : « Depuis 15 ans, les chasseurs de sectes étatiques claironnent que la France, suivie par la Belgique, ont mis en place « un arsenal unique au monde » pour lutter contre ce fléau. Résultat ? Aujourd’hui, et au vu des derniers événements tragiques, ce sont précisément ces deux pays qui sont devenus les terreaux les plus fertiles pour des sectes radicales criminelles. »

Comment faire cohabiter matérialisme et transcendance ?

En France, le matérialisme est devenu insidieusement la norme institutionnelle et sociale. Sous couvert de laïcité, les visions spiritualistes sont exclues de la sphère publique, ou simplement traitées en termes de gestion de la paix sociale. Or, le besoin de transcendance est inhérent à l’homme. Comment la prendre en compte ? En favorisant l’individuation des citoyens.

"La Question", par JL ML.

"La Question", par JL ML.

La question du sens de l’Univers, et aussi de notre raison d’être humaine, est capitale. D’abord individuellement, pour savoir comment orienter sa propre existence. Collectivement aussi, pour savoir sur quelles bases prendre de bonnes décisions, comment favoriser l’intérêt général, quelles règles du jeu mettre en place pour favoriser la cohabitation de tous avec tous.

Cette question a donc une importance vitale, y compris en termes de politique, de civilisation, de diplomatie. Nous voyons ce qui se passe aujourd’hui avec la question de l’islam, par exemple, en France et dans le monde. Tout se passe comme si la planète était divisée (pour faire vite et si l’on excepte ceux qui doutent) entre matérialistes rationalistes (le monde sort du hasard) et croyants irrationnels (le monde a un sens ; finalisme).

Aujourd’hui, les bases du vivre ensemble sont essentiellement dictées par les rationalistes athées.

Cela peut se comprendre. En effet, la science occidentale a fait d’extraordinaires découvertes et a permis des progrès technologiques fulgurants. Pour autant, détient-elle le mot final sur l’homme ?

Certains le croient, des scientifiques, des politiques, des responsables de toute nature. Notamment parmi certains darwiniens qui présentent le créationnisme, ou même simplement la foi, comme une dangereuse superstition. En tant que telles, selon eux, ces croyances n’ont pas à entrer dans le débat public. Celui-ci doit accueillir uniquement des faits scientifiques avérés. C’est particulièrement vrai en médecine, par exemple, où seules sont retenus les traitements « basés sur des preuves ».

Quasi officiellement, tout se passe comme s’il est admis désormais que l’univers n’a pas de sens. D’où le fameux « désenchantement » du monde. On évacue la subjectivité, la spiritualité, l’âme. Y compris l’éthique (cf. ‘Le Hasard et la nécessité’, Jacques Monod) !

Abus idéologique

Les matérialistes se prétendent cartésiens et traitent les croyants de dogmatiques, d’irrationnels, voire d’illuminés ou, pire encore, de charlatans. Cet abus idéologique est grave parce qu'il laisse place aux dérives que l’on connaît : priorité au profit, à la technologie, etc. Avec toutes les pollutions et les injustices qui en découlent.

De même, la divinisation du matériel et du physique a conduit à une société hypernormée, fonctionnant essentiellement sur les apparences et l’immédiat, au détriment du long terme, de la sensibilité, de la complexité, de la poésie, de la foi, bref, de l’humain.

Autre problème, la conséquence sur le vivre ensemble l’international. En effet, Dieu, la religion, l’esprit ayant été abusivement évacués du domaine de la connaissance, le croyant qui se veut "raisonnable" n’a plus d’outil conceptuel, d’argument fort à opposer aux extrémistes et aux fanatiques religieux. Or ceux-ci ont au moins une bonne raison, une certaine légitimité à leur combat : le refus occidental de l’Esprit leur paraît inadmissible.

Et ce refus est inadmissible de fait, que l’on soit croyant ou non, car aucun scientifique n’a prouvé l’inexistence de l’Esprit ou de Dieu. Ni l’inverse, d’ailleurs ! En toute logique, toute société intellectuellement honnête doit admettre la cohabitation entre des visions du monde multiples, autant celles donnant un sens à l’univers que celles lui en refusant un.

De même, ceux qui croient en une dimension divine ou spirituelle de l’homme, et notamment les scientifiques croyants, doivent pouvoir œuvrer et travailler avec l’hypothèse que l’univers a un sens.

Autant de croyances que de croyants

Mais cette affirmation implique une contrepartie. En effet, le sens donné au monde par ceux qui pensent qu’il en a un diffère d’un croyant à l’autre. D’où un déséquilibre : d’un côté, les non croyants forment un groupe homogène ; de l’autre, leurs croyances sont presque aussi nombreuses qu’il y a de croyants.

Aussi, ces derniers, s’ils veulent pouvoir intervenir dans le débat et le fonctionnement publics, doivent s’élever pour concevoir un point de rencontre universel. Ils doivent se dépouiller de leurs dogmes particularistes, aller plus loin que leurs propres doctrines ou préjugés. Pour être légitimes dans le discours public, devient nécessaire une vision générale susceptible de rassembler tous les croyants autour d’une poignée de grands principes universels admis possiblement par tous, y compris par les non croyants, sans passer par le filtre de leurs particularismes (qu’ils peuvent en revanche conserver dans leur vie privée).

Les religions et les approches spirituelles et idéalistes, sont ainsi invitées à travailler plus pour le bien commun et les valeurs universelles, à relativiser les étiquettes et la défense de leur chapelle pour échanger avec tous sur un plan universel.

Récapitulons :

- A la science de reconnaître ses limites structurelles (elle ne pourra jamais dire le tout de la réalité, nous le savons aujourd’hui) et d’accepter que l'on puisse aussi travailler sur l'hypothèse d'un univers en partie "finalisé" (sans forcément parler d’un Dieu). Aux institutions de reconnaître que bien des réalités échappent encore à notre connaissance dite rationnelle (par exemple, le phénomène des guérisseurs) et de s’ouvrir en conséquence.

- Aux croyants de se hisser au delà de leurs dogmes particularistes, d’intégrer les découvertes scientifiques (amendables et perfectibles) et de s’unir autour de quelques grands principes que les non croyants pourraient reconnaître comme compatibles avec leurs connaissances.

Bref, que toutes les parties sachent voir au delà de leurs « savoirs », au delà de la croyance et de la non croyance, jusqu’à une réalité universelle, transcendantale, dans laquelle tous et chacun peuvent se retrouver.

Chacun est universellement unique

Chacun est unique et ne peut, ne doit pas se laisser résumer par une étiquette, aussi vraie et belle soit-elle. Fût-elle une révélation divine. Ne nous laissons impressionner ni par les théologiens ni par les savants ni par aucune autorité ! Chacun de nous est légitime pour répondre à la question du sens de l’existence, pour choisir sa vision du monde, pour dire si l’univers a un sens ou non.

D’où l’importance de s’épanouir en s’individualisant, de cultiver une soif personnelle de connaître et de développer son esprit critique. En effet, si on ne bâtit pas sa propre pensée, si l’on conserve une trop faible conviction personnelle, on peut facilement se laisser prendre par des discours trompeurs, qu’ils soient officiels, scientistes ou religieux.

De même, si l’on se restreint à un dogme traditionnel ou révélé, à une vérité "extérieure", on risque l’enfermement sur des voies tracées d’avance et déconnectées de la vie du présent.

D’ores et déjà, il y a une vérité qui pourrait tous nous rassembler, c’est qu’il faut à l’homme, pour s’épanouir au milieu des siens, après la satisfaction de ses besoins fondamentaux, la liberté, l’amour et la connaissance.

C’est sur ces trois valeurs que doivent désormais, à mon sens, porter tous nos efforts individuels et collectifs.

21 – Penser par soi-même : un idéal encore lointain

La démocratie est fondée sur le principe que chaque citoyen est libre de penser et qu’il pense effectivement par lui-même. Or la réalité est loin de correspondre à cet idéal.

danger sectes

Les "sectes" sont souvent présentées comme le summum de la manipulation mentale. Mais, en admettant qu'on sache définir précisément ce qu'est une "secte", qui, quel groupe ne manipule jamais personne ?

Nulle part ailleurs autant qu’en France, les minorités spirituelles, par principe, sont l’objet de sarcasmes, de peurs, voire de terreurs. Nulle part ailleurs autant qu’en France, tant les médias que les gouvernements successifs développent une réelle haine contre ces groupes spirituels, religieux, philosophiques et thérapeutiques « différents ». Comment se fait-il que le « pays des droits de l’homme » ait tant de mal à accorder une place au soleil à ces groupes, quasiment identifiés à des mouvements terroristes ?

Un élément de réponse se trouve sans doute dans le peu de goût des Français pour l’introspection, pour la connaissance de soi. Une indifférence qui tient peut-être à l’excès de confiance en leur rôle, historique et quasi messianique, d’universalité et d’égalité. Tout particularisme est présenté comme un communautarisme, lui-même considéré comme une incapacité à tenir compte de l’intérêt général, quand ce n’est pas la volonté expresse d'aller contre.

Chacun manipule et est manipulé

PoisonD’où, par exemple, le glissement qui s’est opéré dans le concept de laïcité. Celui-ci est passé de laïc = qui s’abstient de tout parti pris religieux ou non religieux, à laïc = athéisme et matérialisme,avec en corollaire : rejet de la dimension religieuse.

La haine française des « sectes » est possible parce la plupart des gens ignorent ou oublient, faute de s’observer eux-mêmes en profondeur, combien ils sont eux-mêmes constamment manipulés (par la publicité, les médias, la politique, son voisin, son cousin, son frère…) et combien ils manipulent souvent à leur tour (par peur, faiblesse, intérêt ou autre…).

Cette haine est possible aussi parce que la réalité concernant ces groupes « différents » n’est jamais présentée de façon objective ou neutre par les médias.

Toutes les conditions sont réunies pour une immense mystification dans laquelle les plus bernés ne sont pas forcément ceux que l’on croit.

Le pouvoir a tendance à se comporter en « maître de la vérité »

Un autre élément pour expliquer le pourquoi de cette « sectophobie » nationale, est la question de la « norme » et de la « vérité ». Que peut-on admettre comme comportement « normal » ou « juste » ? Qu’est-ce qui est vrai ?

medecine religionOn a vu que la répression des « sectes » prétend se justifier par la nécessité de « protéger » les gens contre les « dérives » dommageables. En fait, nous avons vu qu’elle jette par principe l’opprobre sur les minorités de conviction. Elle le fait en suivant quelques idées simples, sinon simplistes : seules les grandes religions sont « reconnues », seule la médecine officielle est la norme, seule l’administration définit ce qu’est une vie juste, etc. Toute ce qui vit et s’exerce en dehors de ces clous est dérive, escroquerie, charlatanisme, emprise, abus de faiblesse, etc.

Certes, il peut y a avoir quelques cas avérés, mais ils sont tellement rares qu’ils ne justifient aucunement les centaines de millions d’euros d’argent public dépensés chaque année pour « lutter contre les sectes ».

Le pouvoir a une tendance fâcheuse, et c’est particulièrement vrai pour la France, nous l’avons vu tout au long de notre enquête, à se comporter en « maître de vérité », alors qu’il n’est dépositaire, au mieux, que d’un consensus, qui plus est temporaire (on constate, par exemple, que les Témoins de Jéhovah sont désormais presque reconnus comme religion).

La « juste persécution au service de la vérité »

Et quand on est sûr d’avoir raison, toutes les dérives sont possibles. En France, on présente souvent les croyants comme des personnes faibles d’esprit, manipulées par des églises qui leur promettent le Ciel après la vie, les détournant ainsi de l’action politique pour changer le monde au présent.

De même, les croyants sont supposés être englués dans des illusions que les Lumières de la Raison n’auraient pas encore dissipées. C’est pourquoi beaucoup pensent que la loi et la force publique sont nécessaires pour libérer « contre eux-mêmes » ces malheureux croyants forcément ignorants. Ce faisant, ils agissent dans le droit fil d’un Saint-Augustin qui parlait d’une « juste persécution au service de la vérité », gouvernée bien sûr par la charité… La contrainte n’est pas alors un viol de conscience mais une libération des hérétiques de leurs conditionnements néfastes et de leurs croyances…

saints-augustinOn oublie alors que nombre de “sans-religion” ont cru eux aussi aux “lendemains qui chantent” et croient encore en l’avènement futur d’un “altermonde”. Et les Lumières sont loin d’éclairer l’esprit de tous les matérialistes et athées, qui confondent souvent rationalisme (la raison comme source unique de connaissance) et rationalité (la raison comme moyen essentiel, mais moyen parmi d’autres, d’accès à la connaissance).

Cela n’empêche pas certains non-croyants de se poser comme « libérés » face au fanatisme ou à la naïveté des croyants. À preuve, cette question posée il y a quelque temps, en fin d’interview, par un journaliste de Libération à un chanteur raï : « Croyez-vous en Dieu ou êtes-vous débarrassé de cette superstition ? »

Sans nous étendre sur la pression manipulatrice de la formulation, constatons simplement avec quelle candeur ce “médiateur” prend en fait parti. Car, quoi qu’on dise, nul n’a encore apporté la preuve de l’inexistence de Dieu (ni celle de son existence, d’ailleurs) ! L’inexistence de Dieu, comme son existence, demeurent donc des croyances. A égalité, en terme de probabilité.

L’ennemi, c’est celui qui échappe à la nomenclature

Tout se passe comme si les gouvernements avaient peur de la vie concrète dans sa diversité, son inventivité et dans son étrangeté. Comme s’ils avaient peur de tout ce que l’on pourrait rassembler sous la notion de transcendance (spiritualité, intuition, sensibilité, etc.), car échappant à sa mainmise. Pour se rassurer, et rassurer le bon peuple, on édicte des lois et des milliers de règlements hors lesquels point de salut. L’ennemi finalement, c’est l’individualité, dans sa spécificité unique et son imprévisibilité. L’ennemi, c’est ce qui échappe à la nomenclature.

C’est pourquoi l’Etat cherche plutôt à infantiliser les citoyens. Et on en arrive à ce paradoxe que les pouvoirs publics, mus par l’idéal des droits de l’homme (en général) et au nom de cet idéal, tentent de limer les droits de l’individu (particulier) !

C’est pourquoi il préfère penser à la place du citoyen en édictant moultes normes et règlements, plutôt que favoriser son savoir, sa responsabilisation, sa réflexion personnelle, son originalité, etc.

Le principe du penser librement par soi-même, que l’on croyait à la base de notre société démocratique, est en fait encore un idéal bien loin d’être atteint. Et, comme nous l’avons vu précédemment, le regroupement en entités autour d'une conviction offre aux contestataires de la norme sociale trop lourde un rassemblement d’énergies pouvant ainsi affirmer leurs particularités.

Cela dit, l’homme pensera par lui-même lorsqu’il n’aura plus besoin d’intermédiaire, quel qu’il soit (religion ou « secte », parti ou famille) entre lui et sa conscience, entre lui et sa lumière intérieure, pour guider ses choix essentiels. La conscience parlant autant dans l'intérêt de l'individu que dans celui de l'Humanité toute entière...

> A suivre :

22 (et dernier article de la série) - Pour rendre chaque individu responsable, l’humanisme a besoin de la transcendance

> Tous les articles parus.

18 – Déviance aujourd’hui, mœurs tolérées demain. Comment savoir ?

On savait déjà qu’une vérité en deçà des Pyrénées pouvait être erreur au delà. Mais la frontière peut aussi être temporelle. Le célibat des prêtres, par exemple, était vu comme un non-sens « socialement dangereux » par les nouveaux républicains laïcards… Telle pratique jugée « dérive » aujourd’hui pourrait être « usage » socialement toléré demain.

Edgar Morin. Photo : Gianfranco Chicco.

Edgar Morin. Photo : Gianfranco Chicco.

Telle croyance estimée farfelue ou dangereuse aujourd’hui pourra paraître demain normale, voire utile ou bienfaisante. Pour savoir, dans le présent, quelle attitude adopter, nous proposons deux principes :

- Être très vigilant face aux intimidations officielles, aux préjugés et aux "normes" sociales

- Se former à la pensée autonome (parachever les Lumières).

Edgar Morin a écrit des pages courageuses et iconoclastes sur le thème de la pensée qui paraît déviante. Le sociologue a analysé pourquoi il avait pu tomber, malgré son statut d’intellectuel, dans l’illusion soviétique qui faisait de la déviance un crime contre l’Etat. Il en a tiré des idées profondes, qui devraient être enseignées dans toutes les écoles.

"Veiller à la libre expression des idées que nous croyons folles"

L’une des raisons de cet aveuglement est la foi en l’idéologie dominante qui s’impose. Et il ne faut pas croire : les systèmes démocratiques ne sont pas à l’abri de ces aveuglements. Car, même douces, les idéologies « inhibent l’expression de déviances trop poussées par rapport à la ligne ou la norme » :

« Dans tout système pluraliste, que ce soit le marché économique ou le marché des idées, le jeu concurrentiel tend à se gripper, se rouiller, sous l’effet du développement d’une dominance ; même dans la sphère scientifique, une idée dominante peut prendre forme de dogme et l’idée neuve, d’abord accablée de sarcasmes par l’Académie, se fraie durement un chemin pour être enfin discutée. Toujours l’indiscutable tend à se reformer au détriment du discutable, ce qui se comprend parce qu’on ne saurait remettre en question n’importe quoi à tout propos. Mais il est vrai également que tout progrès se joue à la frontière de l’indiscutable et du discutable et s’effectue par la mise en discussion de l’indiscutable.

La prise de conscience d’une telle situation nous conduit alors à l’extrême vigilance contre les intimidations officielles qui frappent l’idée neuve parce que déviante. C’est dire qu’il faut veiller à la libre expression de la déviance, que l’on tend toujours à rejeter comme criminelle ou folle, c’est-à-dire veiller à la libre expression des idées que nous croyons folles et criminelles. Nous avons besoin des pensées, non seulement auxquelles nous sommes accordés, non seulement avec lesquelles nous sommes en désaccord, mais aussi de celles avec lesquelles nous sommes en totale discorde.

Il se dégage de ce qui précède deux idées clés :

I° La rupture de la concurrence des idées est un cataclysme intellectuel. La suppression de la concurrence des idées est un crime politique.

2° Nous avons besoin de déviants, de marginaux, d’exclus. »[1]

La Trinité catholique incompatible avec les règles de calcul

Jean Baubérot.

Jean Baubérot. (DR)

Les critères de dangerosité varient selon les époques. Déjà sous la IIIe République, note sur son blog, Jean Baubérot, spécialiste de la sociologie des religions : « Alors même que des mesures démocratiques augmentaient l’ampleur de la liberté de conscience et l’étendaient à de nouveaux groupes, d’autres mesures la restreignaient en fait, notamment par les atteintes à la liberté de l’enseignement. Certes, cette liberté ne fut jamais abolie, mais les mesures prises contre les congréganistes ont porté ombrage aux conséquences concrètes de la liberté de conscience. Les républicains ne l’ignoraient pas, puisqu’ils refusèrent, à plusieurs reprises, les demandes de juristes catholiques de donner une valeur constitutionnelle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ces atteintes furent justifiées auprès de l’opinion publique républicaine par l’idée qu’en se soumettant aux “règles absolues de l’obéissance à leur ordre”, les membres des congrégations n’étaient plus réellement des êtres libres [qu’on pense aux affaires du voile islamique aujourd’hui]. Clôture, obéissance passive, ascétisme sexuel (et rumeurs de débauche), vœux de pauvreté individuelle permettant une richesse et une puissance indues : la similitude des accusations portées contre les congrégations avec celles qui visent aujourd’hui les “sectes” (et la globalisation opérée dans les deux cas) est frappante ».

Un peu plus loin, le sociologue montre que « les laïcisateurs ont estimé combattre pour la liberté de penser contre un catholicisme – ou contre toute religion comportant des dogmes – qui aliénerait l’esprit critique et conduirait les individus à se soumettre à des doctrines et des pratiques absurdes et dangereuses. Là encore, contre l’amnésie sociale, il faut rappeler qu’il y a un siècle, bien des laïques considéraient le célibat des prêtres comme un non-sens socialement dangereux – et plusieurs affaires de moeurs montraient que cela n’avait rien d’imaginaire. La doctrine de la Trinité leur paraissait également stupide et menaçante : tant que l’école publique s’arrêterait un jour par semaine et permettrait aux enfants d’apprendre au catéchisme que « 1 + 1 + 1 = 1 » (un seul Dieu en trois personnes, la Trinité), l’instituteur ne pourrait pas enseigner avec succès les règles élémentaires du calcul. La création de l’école laïque neutre était donc “l’œuvre de législateurs qui n’ont aucune conviction ni en morale ni en science”. »

Avec le recul du temps, on a peine à comprendre que des gens sensés aient pu tenir de tels propos.

« Approfondir la réflexion sur la liberté de penser »

« Les prendre en compte pourrait cependant conduire à approfondir la réflexion sur la liberté de penser, insiste Jean Baubérot. En effet, actuellement, bien que non évoquée explicitement, la liberté de penser me semble une notion opératoire et indispensable pour comprendre le rapport actuel entre laïcité et sectes, ainsi que le fait que la dénonciation des sectes puisse être quasi consensuelle. »

Réfléchir sur la liberté de penser, c’est apprendre à raisonner par soi-même, un idéal mis en avant au moment de l’avènement des Lumières. Mais qu’on entend-on exactement par ce mot ? Il y a eu plusieurs écoles, l’allemande (Aufklärung), la française, la britannique, etc.

Fragment du frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : on y voit la Vérité rayonnante de lumière ; à droite, la Raison et la Philosophie lui arrachent son voile.

Fragment du frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : on y voit la Vérité rayonnante de lumière ; à droite, la Raison et la Philosophie lui arrachent son voile. Source : wikipédia.

Pour simplifier à l’extrême, disons que l’esprit des Lumières est la promotion de l’autonomie de pensée, la foi en la raison, comme outil de connaissance pour dissiper les préjugés et les fausses croyances, et se soustraire aux passions. Il s’est essentiellement forgé en réaction face à la prétention de la religion à détenir et imposer la vérité et aux excès du pouvoir absolutiste. Il a débouché sur l’essor des sciences physiques et de la philosophie. Avec en filigrane une nouvelle dignité de l’homme consacrée par la liberté de pensée et d’expression. La vérité n’appartient plus à l’église ni le pouvoir au roi. Chaque homme est important et est responsable de son destin. La vérité se construit dans la tête de chacun. Et c’est la confrontation des découvertes et des croyances respectives qui permet de bâtir des consensus qui s’imposent alors à tous.

Mais chacun peut se rendre compte que cet idéal reste à conquérir, tant les soumissions, les peurs, les croyances perturbent nos jugements dans le quotidien.

Le philosophe allemand a écrit sur ce sujet un texte lumineux, que je ne résiste pas au plaisir de reproduire encore une fois.

Les “Lumières” selon Kant

« Qu’est-ce que les Lumières ? interrogeait Kant dans un article célèbre. La sortie de l’homme de sa minorité, dont il porte lui-même la responsabilité. La minorité est incapable de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable s’il est vrai que la cause en réside non dans une insuffisance de l’entendement mais dans un manque de courage et de résolution pour en user sans la direction d’autrui. Sapere aude, “Aie le courage de te servir de ton propre entendement”, telle est la devise des Lumières. Paresse et lâcheté sont les causes qui font que beaucoup d’hommes aiment à demeurer mineurs leur vie durant, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère et c'est ce qui explique pourquoi il est si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si confortable d'être mineur ! Si j’ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience morale, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., quel besoin ai-je alors de me mettre en peine ? Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de cette pénible besogne. Que la grande majorité des hommes (y compris le beau sexe tout entier) tienne pour très dangereux de faire le pas qui mène vers la majorité – ce pas lui est d’ailleurs si pénible –, c’est ce à quoi veillent les tuteurs qui, dans leur grande bienveillance, se sont attribué un droit de regard sur ces hommes. Ils commencent par rendre stupide leur bétail et par veiller soigneusement à ce que ces paisibles créatures n’osent faire le moindre pas hors du parc où elles sont enfermées. Ils leur font voir ensuite le danger dont elles sont menacées si elles tentent de marcher seules. Ce danger n’est pourtant pas si grand : après quelques chutes, elles finiraient bien par apprendre à marcher. »

Les Lumières allemandes n’avaient pas banni, comme en France, la dimension religieuse/spirituelle de leur démarche rationnelle. C’est sans doute pourquoi les voies "différentes" (spirituelles, thérapeutiques, éducatives, politiques, etc.) sont mieux acceptées dans ce pays que dans le nôtre…

[1] Edgar Morin, Pour sortir du XXe siècle, Points éd., Paris, 1984.

> A suivre :

19 - Être membre d’une « secte » permet de résister à la pensée unique

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12 – Désormais, après l’avoir combattue, l’Eglise profite de la liberté de conscience

Par un de ces renversements spectaculaires et ironiques dont l’histoire est familière, la religion catholique, championne de l’esprit inquisiteur sur de longues périodes de son histoire, a dû se battre à son tour, quand fut votée la séparation de l’Eglise et de l’Etat, pour conserver le droit de s’organiser comme elle l’entendait.

Avec la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, la France devient laïque. L’accouchement n’est pas sans douleur, car il s’agissait, pour les républicains, d’extirper la conduite de l’Etat du joug clérical alliée des royalistes. C’était l’affrontement entre « les deux France » au cours duquel l'Eglise tenta de résister aux conséquences de la loi, provoquant des émeutes.

Dans certains villages, le préposé aux inventaires est parfois reçu fourche ou fusil à la main. Source : La Petit Journal, mars 1906, collection Roger-Viollet.

Dans certains villages, le préposé aux inventaires est parfois reçu fourche ou fusil à la main.
Source : La Petit Journal, mars 1906, collection Roger-Viollet.

Après la laïcisation de l’enseignement, les républicains s’attaquèrent à la grande affaire de leur programme : la séparation des Eglises et de l’Etat. Au cours des négociations entre les différents acteurs, le pape y compris, des rapprochements se dessinent. Mais les congrégations religieuses sont accusées de vouloir rester dévouées à un « souverain étranger », le pape qui, de son côté, condamne la loi récemment votée.

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Emile Combes, président du Conseil.

Emile Combes, ancien séminariste, franc-maçon, devenu chef du gouvernement et... anticlérical, « fait rejeter les demandes d’autorisation de la grande majorité des congrégations, ferme leurs écoles et finit par interdire l’enseignement (y compris dans l’enseignement privé) à tous les membres des congrégations, qui seront nombreux à s'expatrier »[1].

Deux articles ouvrent la loi de 1905 :

Article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l’ordre public. »

Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (...) Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets [de l'Etat, des départements et des communes] les dépenses relatives à des exercices d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes [présents et futurs] dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. »

L’Etat met à la disposition des Eglises un immense parc immobilier, entretenu par lui, et financera, au début des années 1920, la construction de la mosquée de Paris.

Le respect de la liberté de conscience, que l’Eglise voyait en horreur il y a seulement quelques années, est désormais la base de la République. L’Eglise va en profiter pleinement.

« A chaque étape, le Conseil d’Etat, qui eut à interpréter la loi de 1905, le fit dans un sens libéral, assurant le droit des Eglises à s’organiser comme elles l’entendaient. La liberté de pensée, considérée comme hérétique quelques années plus tôt, devenait soudain un principe hautement revendicable... Car la loi associe désormais le principe de la liberté de conscience et celui du libre exercice des cultes. Une des premières complications auxquelles la République a été confrontée fut celle des processions en dehors des lieux de culte. « Pas de défilés religieux dans l’espace public ! » clameront nombre de maires. Entre 1906 et 1930, 139 arrêtés municipaux pris en ce sens firent l’objet d’un recours. Dans 136 cas, ces arrêtés furent cassés... »[2]

Cette séparation entre les églises et l’Etat a été également bénéfique aux premières dans le sens où l’Etat se refusait d’intervenir dans l’organisation interne des communautés religieuses. Elles ne sont pas tenues de respecter des règles démocratiques qui, au contraire, sont impératives dans d’autres groupes.

Le climat finit par s’apaiser. Les « deux France » se donnent la main. Et les démocrates-chrétiens, en 1946, votent avec les communistes et les socialistes la Constitution, dont l’article premier stipule : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

« Les sectes, salutaires pour la religion »

Benjamin Constant.

Benjamin Constant.

Benjamin Constant, écrivain et homme politique (1767-1830), est l’un des principaux théoriciens français du libéralisme politique. Dans son œuvre maîtresse ("Principes de politique") , il a rédigé, dans une section traitant de la liberté religieuse, un chapitre intitulé « De la multiplicité des sectes ». Pour lui, plutôt que s’en plaindre ou de les combattre, les pouvoirs devraient se féliciter de l’existence d’une pluralité de "sectes". Car c’est le moyen d’éviter le monopole sur les esprits d’une seule religion, d’empêcher l’encroûtement et le dévoiement de celle-ci , et de limiter l’influence de ces sectes par la concurrence qui ne peut manquer de les mettre en compétition.

« Cette multiplicité des sectes dont on s’épouvante, écrit-il, est ce qu’il y a pour la religion de plus salutaire. Elle fait que la religion ne cesse pas d’être un sentiment, pour devenir une simple forme, une habitude presque mécanique. (…) Je ne sais quels peuples mogols, astreints par leur culte à des prières fréquentes, se sont persuadés que ce qu’il y avait d’agréable aux dieux dans les prières c'était que l’air frappé par le mouvement des lèvres, leur prouvât sans cesse que l’homme s’occupait d’eux.

En conséquence, ces peuples ont inventé de petits moulins à prières qui, agitant l’air d'une certaine façon, entretiennent perpétuellement le mouvement désiré et, pendant que ces moulins tournent, chacun persuadé que les dieux sont satisfaits, vaque sans inquiétude à ses affaires ou à ses plaisirs. La religion, chez plus d’une nation européenne m’a rappelé souvent les petits moulins des peuples mogols.»

Pour lui, « si la naissance des sectes (…) a presque toujours été marquée par des troubles et par des malheurs, c’est que l’autorité s’en est mêlée ». En s’opposant à la multiplication des sectes, les gouvernements méconnaissent leurs propres intérêts. Quand les sectes sont très nombreuses dans un pays, elles se contiennent mutuellement et dispensent le souverain de transiger avec aucune d’elles pour les contenir. Quand il n’y a qu’une secte dominante, le pouvoir est obligé de recourir à mille moyens pour n’avoir rien à en craindre ».

[1] Aux origines des controverses sur la laïcité, Alain Gresh, Le Monde Diplomatique, le 12/11/2003.

[2] Ibid.

> A suivre :

13 - L’Eglise catholique : des principes que la Miviludes pourrait classer "dérives sectaires"

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