Laïcité

Au Bénin, les évangélistes n’ont plus l’oreille du président


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Le 6 avril 2006, Thomas Boni Yayi prêtait serment comme président de la République du Bénin. Durant les deux quinquennats où cet homme, né dans une famille musulmane puis converti au christianisme évangélique, aura tenu les rênes du pays, le nombre d’églises enregistrées et surtout de son obédience, aura été multiplié par 45 entre 2006 et 2016 ! Le nouveau président a mis fin à cette connivence.

Par Bernado Houenoussi

L'ancien président Yayi (DR).

Bien que le Bénin soit un Etat laïc, avec une laïcité « affirmée devant Dieu et les mânes des ancêtres », la ligne de démarcation entre la politique et le religieux est ténue. Depuis février 90, où le pays a amorcé son processus démocratique, le président Thomas Boni Yayi, contrairement à ses prédécesseurs, avait publiquement affiché sa foi.
Pendant ses deux mandats, le ministère de l’Intérieur a changé de tête à huit reprises. Parmi les ministres qui ont occupé ce poste, certains étaient d’authentiques pasteurs avant d’entrer au gouvernement et ont continué à l’être, par exemple Armand Zinzindohoué nommé en octobre 2008 et Simplice Codjo, en août 2014. Le premier bond nombre notable d’églises enregistrées noté en 2010 (139 églises) l’a été au moment où Armand Zinzindohoué était encore le ministre des Cultes. Si d’autres occupants de ce portefeuille ministériel sous la présidence de Thomas Boni Yayi n’étaient pas pasteurs, les postes-clés du rouage de ce ministère étaient particulièrement devenus la chasse gardée des hommes d’église.

Quand la « foi » ouvre des portes

Patrice Talon a succédé à Thomas Boni Yayi le 6 avril 2016 comme chef de l’Etat béninois. Chrétien catholique, il a mis fin au ballet des pasteurs à la présidence, œuvrant seulement à la réunification de l’église protestante méthodiste qui était divisée en deux ailes depuis plusieurs années.
Contrairement à la pratique de son prédécesseur, seules quelques-unes de ses audiences sont relayées par la télévision nationale, sa volonté étant de rompre avec l’« hyper-communication » qui était devenue la norme sous l’ancien régime.
Durant ces dix dernières années, les campagnes d’évangélisation organisées par les églises évangéliques s’étaient multipliées. Appartenir à la même sphère religieuse que Thomas Boni Yayi était un précieux sésame pour avoir un ancrage durable au sein de l’appareil de l’Etat. Ce secret de polichinelle a eu comme conséquence de créer un véritable lobby de pasteurs.
En fonction de la proximité et donc de l’influence d’un groupe sur le Chef de l’Etat, cette relation privilégiée ouvrait des portes, notamment dans le monde des affaire.

Abuser les fidèles femmes

Le rappeur Tyaf se moque des pasteurs autoproclamés (DR).

Malgré la coexistence pacifique entre les religions au Bénin, des faits divers marquent souvent l’actualité et relancent le débat public sur les pratiques en cours au sein de certaines églises. Tyaf, un rappeur béninois, s’en est inspiré au début de cette année à travers une de ses chansons intitulée « Pastor Kiki ».
Il y met en scène avec des détails croustillants l’histoire de Kiki, un apprenti mécanicien qui s’est mué en pasteur en créant une église avec laquelle il est devenu riche. Loin de répondre à l’appel d’une prétendue vocation, la création de cette église est la solution trouvée par ce personnage pour sortir du chômage. «Pastor Kiki » use aussi de sa position pour abuser les fidèles femmes. Cette chanson caricature un phénomène palpable dans le pays et qui rappelle un autre appelé « trouble d’amour » et qui a défrayé la chronique à la fin des années 90.

Le « trouble d’amour »

Il a été observé au sein de l’église Union de la renaissance d’hommes en Christ (Urhc) du pasteur Justin Kossoko. Marie-Thérèse Biaou en 2001, dans son mémoire de DEA d’études africaines à l’Université Paris-I portant sur « Le droit et les nouveaux mouvements religieux au Bénin », l’explique après avoir interrogé quelques fidèles.
Selon eux, il s’agit d’un « enseignement » qui montre que « les hommes se marient sans demander la lumière du Seigneur. La majorité des mariages sont célébrés avec des âmes incompatibles et non pas avec des âmes sœurs comme le veut le plan d’amour de Dieu sur ses enfants ». Il est suggéré aux « jeunes filles et femmes même mariées de réparer leurs erreurs du passé ». Pour ce faire, « le pasteur organise ou fait organiser par des disciples formés par lui des séances de prières, cérémonies au cours desquelles il se produit des phénomènes bizarres dits ‘‘troubles d’amour’’ ».
Selon d’autres détails, « les femmes tomberaient en une sorte d’état d’inconscience au cours de ces prières et se mettraient presque nues ».
Le phénomène a pris de l’ampleur au point où les activités d’une paroisse de l’Urhc ont été suspendues provisoirement. C’était le cas dans le sud du pays à Sèhouè dans la localité de Toffo. Le sous-préfet a estimé qu’il y avait « trouble à l’ordre public » parce que la « paroisse reçoit des enseignements de trouble d’amour et pratique ledit trouble ». Estimant que la décision du sous-préfet constituait « une atteinte flagrante du droit à la liberté de religion, de culte et de mouvement » un collectif des fidèles de l’Urhc de la localité de Sèhouè a saisi la Cour constitutionnelle le 15 juillet 98. Le 21 août 2002, la Cour constitutionnelle a rendu une décision déboutant les plaignants.

 

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