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Je propose de réserver le mot « penser » à l’espèce humaine (1/2)

Un long échange sur Facebook, fin 2017, s’est instauré suite à ma contestation d’utiliser le mot penser tant pour les plantes que pour les animaux et sur ma proposition de le réserver à l’activité du penser réfléchi humain. Voici, dans un premier temps, l’exposé de ma vision du penser humain.

Décembre 2017 : le mensuel Sciences & Vie affiche en titre choc sur sa une : « Elles pensent ! – Révélations sur l’intelligence des plantes ». Selon moi, ce type d’affirmation provient d’une vision naïve, anthropomorphique, du monde et entretient une confusion néfaste entre différents termes qu’il est pourtant absolument nécessaire de distinguer.

Après la parution de ce numéro de Sciences & Vie, des discussions ont eu cours sur Facebook. J’ai participé à l’une d’elles et j’en ai lancé une à mon tour.

Le sujet, de toute évidence, est sensible. Les échanges, de ce fait, ont été parfois vifs.

La première discussion, dans laquelle des mélanges de significations et de termes ne pouvaient que conduire à la confusion et à l’incompréhension, m’a conduit à proposer une définition personnelle du « penser » qui fut le point de départ de la seconde discussion.

Je vais tenter d’expliquer pourquoi je réserve la faculté de penser à l’espèce humaine (quand elle s’en donne la peine, ce qui signifie que « penser » n’est pas une activité automatique). J’expose sur quoi cette définition est fondée et pourquoi elle est nécessaire dès lors qu’on aborde la question de nos rapports avec la plante, l’animal ou la nature (le vivant en général).

L’intelligence est partout dans le vivant qu’elle anime (homme, plante ou animal). Mais seulement chez l’homme elle peut être consciente d’elle-même, devenant du même coup conscience au sens le plus fort du terme. D’où cette spécificité, voire cette essence, du « penser ». Penser, c’est la conscience qui, faisant retour sur elle-même, oriente son propre flux.

La confusion, fréquemment faite, entre penser et être doué d’intelligence provient de l’oubli de cette particularité humaine.

Je restitue ici l’essentiel des dialogues que j’ai eu le plaisir de mener avec plusieurs internautes (dont j’ai changé les noms). Les textes ont été parfois réduits ou remaniés pour le confort de lecture.

Victor.- Extraordinaire avancée dans la connaissance des plantes, décrite dans le numéro de "Science et Vie" de décembre. Les Plantes pensent, sans cerveau, avec leurs cellules connectées de façon collective, décident ou non de germer selon des perceptions du temps sophistiquées. Elles ont une mémoire, peuvent apprendre, mais oui, mais oui (elles réalisent en quelque sorte si on essaye de les duper - il y a une très belle expérience décrite chez l'arabette, je crois) et prennent des décisions.

J-L.- Affirmer : « Les plantes pensent » me paraît être un abus de langage et peut conduire à embrouiller les esprits.
L’intelligence est partout dans le vivant qu’elle anime (homme, plante ou animal). Mais seulement chez l’homme elle peut être consciente d’elle-même, devenant du même coup pleine conscience. D’où cette spécificité, voire cette essence, du « penser ». Penser c’est l’esprit qui, faisant retour sur lui-même, oriente son propre flux.

La confusion, fréquemment faite, entre penser et être doué d’intelligence provient de l’oubli de cette particularité humaine.

Selon moi, Sciences & Vie, et à sa suite beaucoup de gens, confondent pensée et intelligence à l’œuvre dans tout le vivant, et notamment par le fait de l’homéostasie.

Voici la définition que, philosophiquement parlant, j’ai été amené à élaborer tant à partir de mes recherches antérieures qu’à l’issue de mes échanges sur les réseaux sociaux :

« Penser est l’activité libre de l’esprit qui élabore des représentations à partir de lui-même et des sensations du corps qui l’abrite. Cette activité permet à un être vivant d’apprécier, d’interpréter le monde, de choisir des pensées de façon illimitée, d’adhérer à des valeurs (éthiques, morales, etc.) et de partager ses représentations grâce au langage articulé, tout en étant conscient de soi en tant que sujet autonome, ce qui en fait un propre de l’homme.

Cette activité se distingue des autres activités du cerveau (et de certains organes) qui, parallèlement et inconsciemment, captent et gèrent les innombrables signaux et informations provenant du corps et de l’environnement. Ces dernières activités sont le fait de l’homéostasie, ensemble de processus impliquant une intelligence impersonnelle et œuvrant, de la même façon pour tout le vivant, pour la survie de l’espèce et des individus. On peut observer cette homéostasie chez tous les organismes vivants (animaux, plantes, etc.), ce qui peut conduire à une confusion avec la première activité qui seule, pour les raisons évoquées ci-dessus, peut être qualifiée de "penser". »

De façon très synthétique, penser, c'est concevoir et formuler consciemment des abstractions signifiantes et partageables (idées, paroles, schémas, écrits, etc.).

Victor.- Pourrais-tu définir ce qu’un corbeau ne fait pas dans ta définition ?

J-L.- Le corbeau ne "pense" pas comme l'homme pense car il n'a pas la conscience réflexive. Il n'a pas la possibilité de maintenir une distance par rapport aux données fournies par son cerveau. Il ne peut choisir des pensées, ni se penser pensant.

Ses activités sont mues par son organisme tout entier, en direct, en relation avec son environnement.

Cette impossibilité de sélectionner une orientation mentale autre que celle imposée par son corps (cerveau + organes majeurs) fait qu'il n'a aucune responsabilité sur ce qu'il fait, comme nous le disons pour les tout-petits enfants, les inconscients et les fous.

Les deux différences majeures entre le penser de l'homme et celui des autres organismes vivants (qu'il faut donc absolument distinguer) sont la créativité illimitée (ou liberté) et la responsabilité morale/éthique impliquée par la conscience réflexive.

Notre présent échange est un exemple typique, par sa forme comme par son fond, de l’activité du penser. Peux-tu citer un animal, une plante, qui soit capable d’en saisir le sens et d’y participer ?

C'est pourquoi je dis qu’il vaudrait mieux réserver le terme "penser" à l'espèce humaine.

Certes, par son animalité (psychologie comprise), l’homme est semblable à bien des autres espèces vivantes.

Mais, par son esprit réflexif (conscience d’avoir conscience ; cf. le je + le moi) et sa liberté/créativité, il peut s'en abstraire et choisir soit de subir son animalité à l'instar des autres espèces (qui, elles, n'ont pas ce choix), soit de l'utiliser pour s'interroger, se construire un savoir, un croire, se perfectionner individuellement et s'épanouir avec et au sein de son espèce.

Je conteste fermement que le vivant ait une pensée consciente individuelle identique à celle des humains. Il est animé par des processus impliquant une intelligence (homéostasie ; voir aussi l’hypothèse Gaïa, système intelligent s’autorégulant et voué au développement de la Vie) : oui ! Ce n’est pas la même chose.

Cette homéostasie nous anime nous aussi : c’est en cela que nous sommes de même nature que tout le reste du vivant. Ni plus, ni moins. Je ne "disqualifie" donc rien ni personne !
Cela dit, j’affirme que seule l’espèce humaine dispose d’une pensée qui, pour être appelée pensée, doit comporter 4 éléments :
- être individuelle et focale (une)
- pouvoir être consciente d’elle-même (et non seulement de soi en tant que corps)
- pouvoir former des abstractions et des concepts et les articuler en langage
- être en même temps volonté, c-à-d capable de choix entre les valeurs (éthiques, morales), c-à-d encore être doté de responsabilité (ce dont les animaux ni les plantes ne sont dotés. C’est pourquoi il n’y a plus de tribunal pour animaux comme ils existaient au Moyen-Âge).

Ce choix au sens précis diffère du choix que l’on peut croire observer dans la nature ou dans n’importe quel produit de l’intelligence artificielle.

Je défends la spécificité de l’espèce humaine (tout en reconnaissant l'unité du vivant) même si beaucoup la dise « indéfendable ».

L'un de ces critères que je décèle (et il y en a d’autres !) est le "je réflexif" dont l'animal ni la plante ne sont dotés. C'est pourquoi, par exemple, l’animal ne s’est jamais révolté, ni individuellement, ni collectivement, pour éradiquer notre espèce - alors qu’il en aurait largement la justification et le pouvoir ! - en représailles de nos exactions à son égard. Il n’a pas notre ego et n’est pas indigné, scandalisé alors qu’on le torture et le massacre depuis des siècles ! Alors qu’on détruit à longueur de journées notre et leur habitacle.

Les choix que l’on attribue à tort aux animaux et/ou aux plantes sont les effets de processus impliquant une intelligence qui animent tout le vivant (dont nous, sauf que nous avons en plus la possibilité d'en avoir conscience). Nous pouvons agir en conséquence.

Il me semble important de voir si notre espèce est la seule ou non à avoir une conscience. Je constate en tout cas que les autres espèces n’ont pas d’ego comme nous (ego = je + moi).

Je n’en conclue nullement que l’espèce humaine soit supérieure !

Je dis seulement que nous seuls avons la responsabilité (du fait de notre conscience) de respecter et maintenir toutes les autres espèces en bon état. Aucune autre espèce n’a ni la possibilité ni le « devoir » de respecter ou de s’occuper du maintien de toutes les autres. Elles font ce qu’elles ont à faire et le font d’ailleurs justement mieux que nous, parce que, à la différence de nous, elles n’ont pas la possibilité de « choisir » (ce qui nous est réservé) de déroger aux lois naturelles.

> Suite et fin de l'article.

Philosophie radicale (3) : Dans le moi, le je et l’ego, deux composants à comprendre et réconcilier

Distinguer l’ego et le je permet de saisir en quoi l’homme est limité et en quoi il est infiniment libre. L’ego est physique et psychologique, le je est de nature purement spirituelle. La volonté est le lien entre ces deux aspects du moi.

AVERTISSEMENT

La nouvelle version de cette série de 5 articles,
réunie en un seul, est désormais présentée
sur academia.eu

Définitions

La philosophie radicale nomme le couple je + ego : le moi (ici indiqué S, le sujet).
Le je est la lumière intentionnelle et unidirectionnelle de la conscience qui anime chaque individu (ici indiqué ✴︎, voir plus loin), liberté, volonté pures.

C’est le je, la conscience en tant que telle qui permet l’apparition des pensées dans le moi. C’est le moi radical, transcendantal car en amont et à l’origine de toute représentation. Le je est unité.

Le moi est l’ensemble des caractéristiques physico-psychologiques de la personne (tempérament et caractère, innés et acquis, ici indiqué moi). C’est le moi empirique du sens commun.

Donc, nous parlerons du moi (ou du sujet S) quand nous évoquerons la personne dans sa totalité (spirituelle–je ✴︎, physique et psychologique–ego). C’est le moi au sens philosophique. Le moi est unité/dualité (je + ego).

- Moi ou Sujet : S

- Conscience en tant que telle, je, ✴︎

D'où S = je (ou ✴︎) + ego.

 Le moi est déterminé par le corps, le je est liberté totale.

 Nous l’avons dit précédemment  : le je est spontanéité qui voit. C’est le rayon lumineux intérieur qui permet à la conscience d’exister en tant que telle, d’éclairer pour elle-même tout objet, qu’il soit intérieur (pensée, sensation…) ou extérieur (pomme…) et de donner du sens à ce qui est perçu.

Ne pouvant se voir lui-même – sinon sous l’aspect objet (le je observé, le je-objet) mais alors il n’est plus sujet –, le je-sujet, échappant à l’observation, à l’objectivation, n’est toujours que sujet.

Ce constat n’est pas anodin. Cela signifie, par exemple, que le je (le moi intime de l’homme, la conscience personnelle de chaque homme) est insaisissable de l’extérieur, par un autre homme par exemple. Il est inaliénable par autrui.

On peut toucher, meurtrir, aliéner le corps d’un homme. Jamais son je.

Nous y reviendrons.

Je est maître en son propre royaume

Cela signifie également que le je est totalement maître en son propre royaume. C’est lui qui décide de tout et, particulièrement, de comment réagir à ce dont le sujet est immédiatement informé (sensation, vision, pensée...).

Les conséquences psychologiques et morales de cette vérité première sont innombrables et immenses.

Avant d’en étudier quelques unes, il nous faut d’abord bien concevoir ce qu’est l’ego humain, autrement dit, dans la philosophie radicale, le couple je/moi (le je conscience S + le moi psychologique lié au corps, qui est aussi O pour je), puisque nous avons vu que S n’apparaît pas sans O.

Nous avons compris que si le je nous échappe, ce n’est pas parce qu’il serait inconscient ni subconscient, ni quoi que soit d’autre, mais c’est parce que le je n’est toujours que sujet. Un sujet ne peut avoir d’autre cause que soi-même (nous y reviendrons), sinon il serait objet de cette cause. Or, il ne peut jamais être objet, jamais être vu, étant une pure spontanéité, un voir, un acte primitif de production de sens.

C’est là l’extraordinaire caractéristique de la conscience humaine. C’est la nature de l’esprit, dont la conscience est un élément.

Avant son apparition et après sa disparition, le je n’existe pas, sinon seulement en tant que potentiel ou en tant que Je universel (voir plus loin). Le moi (physique, psychologique), de la naissance à la mort de l’individu, est seulement garant de sa permanence et de sa continuité.

Nous avons vu que S n’existe pas sans O  : on ne peut parler de conscience que lorsqu’il y a conscience DE quelque chose (intentionnalité). La conscience n’est pas une chose, un objet en soi, mais un acte émergent, une source, une intention, une direction, une lumière éclairant quelque chose.

Dans le concret, nous avons toujours affaire au couple SO, c’est-à-dire au moi qui a conscience de quelque chose (représentation), ce quelque chose pouvant être intérieur (pensée, sensation…) ou extérieur (pomme…).

Mais il est un cas de figure très particulier, quand le moi se prend lui-même comme objet, quand il réfléchit à/sur lui-même. Le moi (irréfléchi) observe le moi (réfléchi), les deux formant un seul moi. Je me regarde (intérieurement). Le moi sujet regarde le moi objet tout en restant un seul moi.

C’est la conscience de soi, action intérieure que Kant nommait l’aperception.

Dans S, S sujet voit S objet, qu’il faut représenter ainsi  :

S(S ✴︎ –> SO), les deux S à l’intérieur de la parenthèse étant à la fois identiques et différents.

Cette unité-dualité constitutive de l’esprit humain est la clé de tous les savoirs (à rapprocher du symbole yin-yang). En effet, elle est présente dans toute connaissance, quelle qu’elle soit, intime ou externe.

C’est une vérité absolue, du même ordre que la vérité du cogito, qui conditionne tous nos processus cognitifs.

Les conséquences de ce constat sont incommensurables  !

Notre corps  : à la fois intérieur et extérieur à nous

Nous expérimentons que ce moi, cette conscience consciente d’elle-même, n’est conscience que parce qu’il est hébergé par un corps. Le corps est pour notre conscience à la fois intérieur et extérieur. Nous le vivons  :

- de l’intérieur par nos sensations, émotions, etc.,

- et de l’extérieur parce que nous pouvons observer son apparence (nous voyons nos mains bouger…).

Notre corps est donc à la fois, pour la conscience, objet intérieur (Oi) ET objet extérieur (Oe).

Remarquons qu’il est toujours O, jamais seulement S mais uniquement son support nécessaire, sa matrice en quelque sorte. C’est pourquoi l’on peut dire que, d’une certaine façon, mon corps n’est pas moi. Il est toujours extérieur à ma conscience. Il est ce qu’est la coquille à l’égard du poussin qu’elle abrite.

Étant senti ou vu par S, le corps n’est moi que dans R (ma représentation).

Nous avons dit que le moi humain est le couple SO. Plus exactement, nous comprenons qu’il est le couple SOi + le couple SOe, c.-à-d. la conscience de ce que j’observe en moi comme à l’extérieur de moi.

Reprenons le concept d’intuition intellectuelle présenté précédemment comme cette émergence de lumière que nous DEVONS obligatoirement supposer comme étant à l’origine en permanence de tout ce dont notre esprit prend conscience (de tout R).

Symbolisons ce concept par le schème de la lumière, ✴︎, l’étoile à huit branches représentant le soleil dans de nombreuses mythologies.

La géniale intuition de Fichte

Pour être plus exact, et pour reprendre à notre façon la géniale intuition de Fichte sur la nature du moi humain, nous devons transcrire notre formulation du moi ainsi  :

S = ✴︎ + O

Le sujet S est constitué de ce rayonnement de conscience (✴︎) qui se porte sur un quelconque objet (O, Oi ou Oe), rayonnement impossible à observer en tant que tel, à objectiver, mais nécessairement supposé dans tout R ("R) et constituant le cœur de notre moi.

Toute représentation R d’un sujet S est constituée d’une conscience ✴︎ et d’un objet O.

Le moi (S = ✴︎ + O) est ce qui permet l’apparition de ce phénomène (R) qui lui-même permet l’apparition du sujet (je), sujet qui n’est pas objectivable et qui n’existe pas en continu (pour nous).

Nous voyons donc que je, n’étant pas objet mais sujet, est un acte, spontanéité sans cause ni sans antécédent, impersonnel (nous verrons qu’il ne peut y avoir qu’un je) et intermittent (sommeil/veille…) qui, lié à O (Oi + Oe), se trouve par ce fait-même singularisé.

C’est parce que le je (la conscience) est lié à un objet qu’il est un je particulier. Sinon, il est pure conscience irréfléchie, pure pensée sans contenu, pure énergie spirituelle.

La conscience pure (✴︎), sans O, étant impossible à observer objectivement, donc transcendante, nous avons l’habitude soit de la nier, soit de l’ignorer, bien qu’elle soit le vif du sujet, comme nous l’avons dit.

Nous verrons que la vision fichtéenne de l’homme, incomprise et combattue par de nombreux penseurs, dont Kant en premier lieu dont il se disait pourtant l’explicateur, a cependant fait fortune (Husserl, par exemple), même si c’est de façon assez discrète. Elle a perduré jusqu’à ce jour grâce à différents épigones dont je me targue de faire partie.

Intuitionner cette conscience pure est une expérience difficile. Fichte a énormément insisté sur le fait qu’elle ne pouvait être simplement expliquée, qu’il fallait l’expérimenter pour la saisir.

En effet, elle n’est possible qu’en faisant abstraction de tout sauf de l’essentiel, en nous décentrant à proprement parler, pour passer du moi psychologique (SO) au moi pur (✴︎), plonger en cette lumière qui se révèle alors à nous comme une énergie, une source d’illimité, une réalité créatrice qui à la fois nous constitue et nous dépasse infiniment.

L'ego je prend conscience, émerveillé, que sa source vient d’au-delà de lui-même ET qu’il est, fondamentalement et d'une certaine façon, de même nature qu’elle. Le petit je comprend qu’il doit son existence et son fonctionnement au Grand Je dont il est, d'une certaine façon que j'expliciterai plus loin, la copie, le modèle réduit ET l’expression.

Nous verrons les multiples conséquences qui découlent de cette simple observation (pour peu que l’on parvienne à la faire).

Liberté illimitée

C’est à cette condition (abstraction de tout sauf de la source de la conscience) que nous expérimentons la liberté illimitée que nous sommes.

Le moi est effectivement plus ou moins libre, voire totalement conditionné. Tandis que je EST liberté inconditionnée, même quand il ne se sait pas tel.

Tout l’enjeu de l’homme réside dans l’effort qu’il fait ou non pour faire coïncider je et Je, pour réconcilier ses deux mois (✴︎ et SO), pour unir par ses actes, en lui et hors lui, l’esprit et la matière.

Cette expérience n’entraîne pas la dissolution du moi (de l’ego) dans le Tout, comme dans beaucoup d’approches orientales et chez certains mystiques. Elle ouvre au contraire sur la possibilité de l’affirmation libre du sujet, affirmation qui n’est effective et profitable que si elle s’effectue en symbiose avec ✴︎✴︎ étant la Conscience universelle unique, présente dans l’ego de chaque homme (je => Je) et ne devenant conscience individualisée que par les choix de je quand il s’identifie, par ses actes, à ✴︎.

Les perspectives de puissance sont ainsi démultipliées puisqu’elles procèdent des facultés illimitées de l’esprit qui sont mises en branle en concordance avec les lois universelles, et non plus seulement pour des fins personnelles, partiales ou cloîtrées par des savoirs incomplets.

La joie éblouissante qui résulte de tels comportements peut conduire à des excès si elle n’est pas accompagnée d’une démarche rationnelle exigeante (ne pas prendre ses désirs pour la réalité) et d’une bonne volonté totale. Vécue de façon simpliste, elle peut conduire au fanatisme comme au délire.

Le critère principal pour juger de sa qualité réside dans les fruits qu’elle engendre  : bénéficient-ils au plus grand nombre  ? Conduisent-ils à l’épanouissement de la personne  ? Etc.

Joie

Cette joie résulte dans l’adéquation, quand elle est trouvée, entre la liberté et l’idéal, dans la coïncidence réalisée entre l’acte et la parole/pensée. C’est là le principal foyer, au cœur de l’homme, d’où peut naître le bonheur. Bonheur de former en soi le pont au dessus de l’abîme, du néant intérieur (nous reviendrons sur ce concept) pour rassembler en une même expérience les aspirations les plus sublimes et les actes les plus féconds.

Retenons simplement pour l’instant que je est un acte, l’acte par lequel le sujet se constitue comme tel, acte de liberté totale sans cause ni influence extérieure qui oriente à sa guise le cours des pensées.

A ce stade, le lecteur peut sans doute encore avoir le réflexe d’objecter que le moi humain n’est pas à l’abri des influences extérieures. C’est qu’il aura déjà oublié deux choses.

La première, c’est que je ≠ moi. Le je est entièrement autonome et pur, tandis que le moi est constitué de tout ce qui fait le caractère et le tempérament de l’homme et qui est soumis aux états de son corps, aux pressions de son hérédité et de son environnement.
La deuxième, c’est que le moi (SO) est, pour la conscience (✴︎), une production par elle, une création en elle, une image  : le moi, lié au corps, ne pénètre pas en tant que tel dans la conscience puisqu’il lui est extérieur. Le moi, comme tout O, est traduit, représenté par elle en elle.

Le moi, comme tout objet extérieur, est extérieur à la conscience, ce que J.-P. Sartre avait bien vu dans son ouvrage la Transcendance de l’égo.

Nous reviendrons plus loin sur ce que signifie exactement « extérieur ».

Rappelons-nous simplement que la conscience ne sort jamais d’elle-même ni ne laisse jamais rien entrer en elle qu’elle ne recrée.

Ainsi, les influences que peut connaître le moi dépendent en premier chef de ce que "je" veut (sic). Elles peuvent être sues ou ignorées, acceptées ou refusées, sublimées ou subies. Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous imposent nos comportements, c’est la façon dont nous y réagissons qui oriente le cours de notre existence.

En fait, l’esprit (dont est constitué le je) est infiniment libre. Il n’est limité que par les limites qu’il se donne, qu’il accepte ou qu’il croit avoir. Je, maître des lieux, s’en croit souvent l’esclave. Et s’il se croit ainsi, c’est qu’il s’identifie à tort avec le moi. Il se croit quelqu’un, une personnalité plus ou moins indépendante, existant par soi, ce qui est une belle illusion  !

Ce n’est qu’en reconnaissant qu’il n’est rien par lui-même (il ne s’est pas créé lui-même) et que sa véritable nature est d’esprit (et donc, d’une certaine façon, qu’il est autre que lui-même) et en s’identifiant à l’énergie créatrice dont je est l’expression, qu’un être humain peut tout devenir. Qu’il est, « à l’image de Dieu », liberté, volonté pures.

A cette différence, essentielle, près qu'il est lié à un corps et à un monde qui lui sont imposés...

> Philosophie radicale (2)  : Qui suis-je  ? Qui est je  ?

> Philosophie radicale (1)  : La liberté de l’esprit