Dossier Liberté de pensée

8 – Liberté de la presse, « liberté exécrable, la plus funeste » !


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Après avoir stigmatisé la liberté de penser, «cette liberté sans frein des opinions, cette licence des discours publics», à l’origine selon elle de «la destruction des Etats les plus florissants», l’Eglise s’effraie encore plus de la voir démultipliée par la liberté de la presse que «certains osent demander et étendre partout».

C'est notamment l'article 11 de la Déclaration qui donnait des boutons à l'Eglise : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi."

C'est notamment l'article 11 de la Déclaration qui donnait des boutons à l'Eglise : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi."

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. Imaginer que les produits de la liberté de penser puissent être diffusés à des centaines de milliers d’exemplaires, grâce à la presse et l’imprimerie, voilà qui ressortissait du scandale aux yeux des autorités ecclésiastiques : « À cela, se scandalise l’encyclique Mira vos, se rattache la liberté de la presse, liberté la plus funeste, liberté exécrable, pour laquelle on n’aura jamais assez d’horreur et que certains hommes osent avec tant de bruit et tant d’insistance, demander et étendre partout. Nous frémissons, vénérables Frères, en considérant de quels monstres de doctrines, ou plutôt de quels prodiges d’erreurs nous sommes accablés ; erreurs disséminées au loin et de tous côtés par une multitude immense de livres, de brochures, et d’autres écrits, petits il est vrai en volume, mais énormes en perversité, d’où sort la malédiction qui couvre la face de la terre et fait couler nos larmes. Il est cependant, ô douleur ! des hommes emportés par un tel excès d’impudence, qu’ils ne craignent pas de soutenir opiniâtrement que le déluge d’erreurs qui découle de là est assez abondamment compensé par la publication de quelque livre imprimé pour défendre, au milieu de cet amas d’iniquités, la vérité et la religion. Mais c’est un crime assurément, et un crime réprouvé par toute espèce de droit, de commettre de dessein prémédité un mal certain et très grand, dans l’espérance que peut-être il en résultera quelque bien ; et quel homme sensé osera jamais dire qu’il est permis de répandre des poisons, de les vendre publiquement, de les colporter, bien plus, de les prendre avec avidité, sous prétexte qu’il existe quelque remède qui a parfois arraché à la mort ceux qui s’en sont servis ? »

Lamennais, « hérétique et schismatique »

Précisément, il s’est trouvé (heureusement) quelques “insensés” pour estimer qu’il était indispensable de diffuser toutes sortes de pensées, les bonnes comme les mauvaises, afin que chacun puisse être édifié et faire son choix.

Lamennais

Lamennais pensait que, le christianisme enseignant aux hommes l'amour du prochain et de la justice, ainsi que l'aspiration à une fraternité universelle, c'était à l'Église de prendre la tête de la défense de la liberté et de l'égalité dans le monde. Il fut bien détrompé...

La plupart ont risqué leur situation, voire leur vie.

L’encyclique Mirari vos fut rédigée, on l’a dit prédemment, pour condamner (implicitement) toutes les thèses véhiculées par l’Avenir. Ce quotidien, qui avait pour devise « Dieu et Liberté », a été fondé en 1830 par Félicité Robert de La Mennais, dit Lamennais.

Rationaliste, ce prêtre philosophe voyait dans la liberté la condition du progrès. Il ne renia jamais la religion, privilégiant surtout le sentiment religieux, qu’il jugeait plus nécessaire encore à la démocratie qu’à tout autre régime de société. Dénoncé comme hérétique et schismatique par la hiérarchie catholique (« la croix à la main, le bonnet rouge sur la tête »), il s’était rendu à Rome, en "pèlerin de la liberté", pour tenter d’exposer ses opinions au pape Grégoire XVI. Qui refusa de le recevoir, lui et ses amis Lacordaire et Montalembert.

Grégoire XVI se fendit même d’une encyclique ad hoc pour condamner leurs idées et resserrer les liens avec le pouvoir impérial. « Simultanément, il adressa un bref aux évêques polonais exhortant « les catholiques à se soumettre au tsar (« Votre magnanime empereur vous accueillera avec bonté... »). La monarchie absolue reste le modèle du bon régime plus de quarante ans après la Révolution française. Cette antinomie entre l’Église et le libéralisme va peser d’un poids énorme sur la politique en France : les catholiques paraissent condamnés au conservatisme et les anticléricaux se trouvent justifiés dans leur hostilité à l’Eglise. »[1]

La troisième voie amorcée par Lamennais, qui voulait réconcilier Dieu et la liberté, ne débouche pas. Quelques années plus tard, il rompt avec l’Eglise, déclarant abandonner le « christianisme du pontificat » pour suivre le « christianisme de la race humaine »...

Autodafé pour cause de doute

protagLe refus de laisser l’autre exprimer publiquement sa pensée, surtout si elle ne cadre pas avec les idées généralement admises, n'est pas l'apanage de l'église catholique. C'est une constante dans l’histoire de l’humanité.

Protagoras d’Abdère, le plus grand sophiste de son temps (Ve siècle avant notre ère) selon Cicéron, en sut quelque chose. Il avait eu le malheur de placer cette phrase au début d'un de ses livres : « À propos des dieux, je ne saurais dire s’ils existent ou s’ils n’existent pas ». Cela a suffi pour qu’il fût exilé du territoire sur l’ordre des Athéniens et que ses œuvres fussent brûlées en public.

Par la suite, brûler des livres fut même considéré comme “acte de foi” : l’autodafé (du portugais, venu du latin actus fidei) jetait au bûcher les ouvrages considérés comme païens, blasphématoires ou immoraux[2]…

[1] Les Voix de la liberté, Les écrivains engagés du XIXe siècle, Michel Winock, Seuil, Paris, 2001.

[2] Pratiques reprises spectaculairement par les Nazis.

> A suivre :

9 - « Ils osent refuser à l’Eglise le droit d’exercer la censure ! »

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