Selon la religion catholique, l’homme est assujetti au pouvoir royal et à l’Eglise par volonté divine. Penser par soi-même, comme le revendiquent les Lumières, reviendrait à déranger l’ordre établi par le décret du Créateur et donc prendre le risque de finir en enfer.
L’Eglise a longtemps été l’alliée du pouvoir : « L’effet nécessaire de la constitution décrétée par l’Assemblée, déclare la bulle pontificale (voir article précédent), est d’anéantir la Religion catholique, et avec elle l’obéissance due aux rois ». Selon l’Eglise, par la voix de saint Augustin, « la société humaine n’est autre chose qu’une “convention générale d’obéir aux rois” (Lib. III Confession., cap. VIII, tom. I, Oper. edit. Maurin., p. 94) et ce n’est pas tant du contrat social que de Dieu lui-même, auteur de tout bien et de toute justice, que la puissance des rois tire sa force.
“Que chaque individu soit soumis aux puissances, dit le grand Apôtre dans la même épître, car toute puissance vient de Dieu ; celles qui existent ont été réglées par Dieu même : leur résister, c’est troubler l'ordre que Dieu a établi ; et ceux qui se rendent coupables de cette résistance, se dévouent eux-mêmes à des châtiments éternels.” (Apost. Epist. ad Roman., cap. XIII, vers. 1 et 2) ».
En résumé, l’homme est assujetti au pouvoir royal et à l’Eglise par volonté divine. Penser par soi-même conduirait à risquer de déranger l’ordre établi par le décret du Créateur et donc à prendre le risque de finir en enfer.
En France, un pouvoir d’essence religieuse
Cette alliance entre le pouvoir et l’église ne date pas d’hier. « De l’origine même de la France, le pouvoir y est d’essence religieuse, note Alain Peyrefitte, dans Le Mal français[1]. Car la France est née du mariage de l’église et de l’Etat. Toute notre histoire sort du baptême de Clovis, en 496. » L’écrivain explique comment « ce petit chef de tribu franque », soutenu par les évêques, « s’est taillé un domaine qui restera le moule de la France. D’emblée, l’autorité politique prend un caractère quasi divin ».
Comment alors imaginer un divorce entre le sacerdoce et l’empire après treize siècles de grand amour ? Inimaginable pour l’Eglise…
Plus profondément, c’est toute la question de la vérité qui est ici posée : l’univers a-t-il un sens ? A-t-il ou non été créé par un Dieu ? La réponse à ces questions est primordiale. Car de notre conception de la réalité dépendra toutes nos lois humaines : qu’elles soient morales, éthiques, religieuses, civiles, etc.
Selon l’Eglise, il existe bien une Vérité, qu’elle seule représente. Même si, aujourd’hui, elle accepte le dialogue avec d’autres religions, voire avec les athées, elle le fait avec réticence et sans avoir abandonné sa certitude d’être la seule détentrice de la Vérité. Une certitude que partage d’ailleurs la plupart des religions…
Avant l’avènement des Lumières, en tout cas, cette Vérité était non seulement officiellement “gérée” par l’ église catholique, mais elle se confondait avec l’exercice du pouvoir politique. Reconnaître la liberté de penser, c’était d’une certaine façon admettre sa relativité et donc le début de la fin de tous ses privilèges, matériels et spirituels.
La liberté de conscience : un « délire »
De ce fait, les rapports de l’Eglise avec les livres et la presse n’ont jamais été idylliques.
Condamnant les idées libérales du journal L’Avenir, une autre encyclique célèbre, Mirari vos, sur "La Liberté moderne jugée par l'Eglise", est écrite quarante ans plus tard (août 1832) par le pape Grégoire XVI.
Il s’y alarme de « cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience. (…) En voyant ôter ainsi aux hommes tout frein capable de les retenir dans les sentiers de la vérité, entraînés qu’ils sont déjà à leur perte par un naturel enclin au mal, c’est en vérité que nous disons qu’il est ouvert ce “puits de l’abîme” (Apoc. IX, 3), d’où saint Jean vit monter une fumée qui obscurcissait le soleil, et des sauterelles sortir pour la dévastation de la terre. De là, en effet, le peu de stabilité des esprits ; de là, la corruption toujours croissante des jeunes gens ; de là, dans le peuple, le mépris des droits sacrés, des choses et des lois les plus saintes ; de là, en un mot, le fléau le plus funeste qui puisse ravager les États ; car l’expérience nous l’atteste et l’antiquité la plus reculée nous l’apprend : pour amener la destruction des États les plus riches, les plus puissants, les plus glorieux, les plus florissants, il n’a fallu que cette liberté sans frein des opinions, cette licence des discours publics, cette ardeur pour les innovations ».
La tentation des religions : vouloir imposer le bien
Bref, la liberté de conscience est en quelque sorte à l’origine même du mal. Dans un certain sens, l’Eglise n’a pas tort. C’est bien parce que l’homme est libre du choix de ses pensées que le mal (moral) peut exister. Sans cette liberté, les notions même de mal, de moralité, de responsabilité, de dignité, etc., s’évanouissent dans le néant.
Mais la tentation de la religion, la tentation de la plupart des religions, la tentation même de toute autorité, y compris civile et laïque, est de vouloir imposer ce bien (en fait, sa conception du bien), contraindre à bien faire.
Alors que, c’est une évidence, nul sur Terre ne peut affirmer posséder ce bien, sauf à le prouver en permanence et en toutes situations par ses actes et son comportement. Jusqu’à présent, toute prétention à posséder exclusivement le bien ou la vérité a été illégitime.
De même, c’est une autre évidence, le bien ne peut être bien que s’il est librement choisi. Que si la possibilité de mal choisir est toujours offerte. Même dans l’hypothèse où c’est bien Dieu qui a créé l’homme, il n’a pas voulu obliger l’homme au bien puisque, de toute évidence, l’homme peut mal faire…
L’incompréhension face à cette liberté de choix dans les pensées, constitutive de la nature humaine, a conduit à toutes les inquisitions et à toutes les censures[2]. Qu’elles soient directes ou plus subtiles.
[1] Plon, Paris, 1976.
[2] Dans le même ordre d’idée, c’est une absurdité de vouloir imposer par la force un régime démocratique. Seul pourrait se comprendre la révolte violente de l’esclave contre le tyran.
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8 - Liberté de la presse : « la plus funeste, liberté exécrable »
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