Une nouvelle façon de penser est indispensable pour coller désormais à la réalité


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Le prix Wolf 2010 vient de récompenser, début février, le physicien français Alain Aspect pour ses travaux en physique quantique, dont les résultats heurtent le sens commun (voir article dans ouvertures). Il faudra bien un jour tirer les conséquences de ces étonnantes découvertes.

 

Une nouvelle conception du monde DOIT être mise en œuvre, en déduction logique des succès de la mécanique quantique. De même qu’il a fallu réviser notre croyance que le soleil tournait autour de la Terre, de même que nous avons dû abandonner la croyance en un temps et un espace absolus, de même il nous faut aujourd’hui abandonner la croyance que nous pouvons étudier le monde de façon totalement objective.

 

Au contraire, il nous faut intégrer l’idée que le monde est un et que nous en faisons à ce point partie que nous ne pouvons jamais nous extraire des jugements et connaissances que nous développons à son égard.

 

Certes, l’ancienne physique, qui va de Galilée à Einstein en passant par Newton, reste toujours opérationnelle dans de nombreux domaines. Grâce à elle, nous envoyons des fusées sur Mars et au-delà, et faisons mille autres choses encore.

 

Mais cette science est aujourd’hui détrônée par la mécanique quantique, qui fournit un cadre conceptuel plus performant encore pour comprendre la nature, de l’infiniment petit à l’infiniment grand.

 

Les lois quantiques gouvernent en effet la physique des particules élémentaires, des atomes et des molécules ainsi que la chimie. Elles seules expliquent les ensembles d’atomes que constituent les solides, la conductivité électrique ou le magnétisme. Même la vie, avec ses processus physico-chimiques, au niveau de la molécule ADN, et la cosmologie, quand elle s’intéresse aux phénomènes produits lors du big-bang, sont mieux appréhendées grâce à elles[1].

 

Mais, on ne le sait pas assez, cette révolution de la pensée ne concerne pas que la science. Elle a des conséquences sur notre vie de tous les jours. Si nous voulons coller à la réalité, nous devons réviser nos manières de considérer, par exemple, la relation sujet-objet.

 

Si nous nous voulons intellectuellement honnête, nous ne pouvons plus affirmer que les objets ont une existence indépendamment de notre observation. Certes, nous pouvons "faire comme si" et cela fonctionne dans la plupart des cas de routine. Mais si nous voulons être précis et exact, nous devons abandonner notre foi en une existence objective du monde.

 

Conséquence  ? La principale que j’en tire, personnellement, est qu’il n’y a, au final, que « je », sujet connaissant et décidant, et étroitement lié à tout le reste. Tout est « je ». Le monde lui-même, apparemment extérieur à moi, est un immense « Je », dont mon « je » personnel est une infime mais homothétique partie. Le monde est un « Je », une conscience, car, sans la conscience qui l’observe ou en parle, rien, absolument rien ne peut en être dit. Pas même qu’il existe.

 

Serais-je donc « seul », suis-je seulement conscience avec ma perception du monde en moi  ? Non, le solipsisme est réfuté par le fait de l’existence d’autres consciences dont je peux faire l’expérience.

 

Et le monde extérieur, bien que tout ce que je puis en dire passe par ma conscience, fonctionne avec ses lois qui me préexistent. Mais ces lois, c’est moi qui les perçois, les inventorie et les formule.

 

En fait, je constate une scission entre « je » et le monde mais cette scission est en moi, non entre moi et le monde. Cette différence est capitale. Car ce n’est pas en agissant mécaniquement sur le monde pensé comme un objet extérieur à moi que j’agirai efficacement, c’est-à-dire en harmonie avec la réalité. C’est plutôt en agissant en moi, sur moi, que j’obtiendrai les meilleurs résultats. C’est en faisant l´unité, en moi, entre moi et le monde. C´est en découvrant, en respectant et en intégrant les lois qui me préexistent que je réunirai les deux parties de moi qui auparavant étaient séparées  : mon « moi-conscience de » et mon « moi-personne vivant dans et avec le monde extérieur ».

 

Conscience et lumière, même combat  !

 

Pour Alain Aspect, le photon est un « objet » privilégié pour étudier les effets de la mécanique quantique. Il me paraît intéressant de faire le rapprochement entre le photon (particule de lumière) et la conscience, qui projette une « lumière » sur les choses (ici nommé « esprit »). Le rapprochement est encore plus étonnant quand on étudie le phénomène d’intrication que révèle la mécanique quantique (voir article ouvertures). L’intrication nomme le fait que, dans certaines conditions, deux atomes forment un tout indissociable alors qu’ils sont séparés et ce, quelle que soit la distance qui les sépare. Tout ce qui agit sur l’un agit instantanément sur l’autre, même si cet autre déambule aux confins de l’Univers. Ce qui implique un dépassement de la vitesse de la lumière, une toute puissance par l’immédiateté de l’effet.

Je fais le rapprochement avec l’esprit, en lequel tout est toujours un quand il est en lui-même. Il est alors liberté infinie. Là où le problème se corse, c’est quand on l’associe avec la matière (le cerveau, le corps, l’environnement) à cause de laquelle sa liberté trouve ses bornes.

C’est la même chose pour la lumière, l’intrication entre deux photons (leur unité) disparaît à mesure que les photons sont couplés avec leur environnement. De même l’unité de l’esprit s’effrite à mesure qu’il est couplé avec la matière.

Il y aurait donc deux états pour la lumière comme pour l’esprit  : un état dans lequel ils sont sujets, maîtres chez eux et infiniment libres  ; un autre état quand ils sont en lien avec le monde où leur liberté est mise à l’épreuve par l’objectivité. Celle-ci, en raison de la dualité de ces états, demeurant cependant relative…

 

Mon « je », épousant le « Je » universel, se réconcilie avec le Tout, tout en persévérant dans son être et son individualité. Mais mon individualité ne peut s’épanouir en être que si elle sait surmonter la faille de néant qui la sépare du « Je » qu´est le monde, si mon « je » se reconnaît dans le Tout du monde. Dans le cas contraire, elle demeure élément apparemment séparé des autres éléments et elle subit la froide contrainte du hasard et de la nécessité.

 

Remarquez que je n’ai pas parlé de Dieu. Ceux qui veulent l’introduire dans ce schéma peuvent le faire sans dommage. À condition de ne pas s’accrocher à leurs dogmes et de s’ouvrir à l’infinie liberté qu’une telle vision propose.

 

Enfin je précise que les conclusions ici tirées des travaux d´Alain Aspect ne sont ni proposées ni mêmes suggérées par lui : ce sont bien mes interprétations.

 


[1] Cf. Serge Haroche, Une exploration au cœur du monde quantique, in « La Physique et les Éléments », UTLS, O. Jacob, Paris, 2002.

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