Il y a un nazi potentiel en chacun de nous. Cette affirmation fera sûrement s’indigner les bonnes âmes. Je la crois vraie. Croire le contraire, c’est de la naïveté, de l’orgueil ou de la paresse d’esprit. En tout cas, de la méconnaissance de l’homme (ou de soi, ce qui revient au même). L’admettre, c’est déjà faire un grand pas vers la prévention de l’inacceptable.
Le Jeu de la mort, de Christophe Nick, diffusé le 17 mars 2010 sur France 2, donne un aperçu de ce que chacun de nous peut être amené à faire, quand certaines conditions sont réunies. L’expérience scientifique de Milgram avait déjà ouvert la voie vers cette compréhension.
Et Hannah Arendt nous avait déjà prévenu de la « banalité du mal ». Les Nazis n’étaient pas, pour la plupart d’entre eux, des fous sanguinaires, mais des citoyens lambdas conditionnés. Leur esprit avait été lentement conduit à accepter des pensées contraires au bien de l’homme. Il s’y était plié parfois par intérêt, d’autres fois par peur, souvent par indifférence, par « absence de pensée » en tout cas selon le diagnostic de la philosophe allemande qui avait « couvert » le procès d’Eichmann à Jérusalem.
L’émission de France 2 était au moins autant une belle illustration du fait que l’homme est facilement manipulable qu’une preuve de la puissance indéniable de la télévision. Celle-ci n’étant qu’un outil, elle peut être bien ou mal utilisée.
La question essentielle me semble donc être plutôt de réfléchir à ce que nous pourrions faire pour nous prémunir de ces manipulations en chacun de nous. Par une éducation, un effort de penser, une discussion permanente sur les valeurs et leur application et, surtout, un approfondissement de la connaissance de soi, bref, ce que l’on peut nommer « l’esprit critique », qui commence sur soi, en opposition à « l’esprit DE critique » qui s’exerce sur autrui.
Au premier chef de cette réflexion, il y a selon moi la nécessité de comprendre que la raison n’est pas un outil que nous recrutons facilement, naturellement. Contrairement à une croyance généralement admise, elle ne fonctionne pas en continu. Elle nécessite un choix conscient, un véritable effort pour rechercher le juste et la vérité par-dessus le confort intellectuel, avant la trompeuse quiétude des certitudes collectives (familiales, sociétales ou idéologiques).
Nous devons volontairement la mobiliser pour être à même, individuellement, d’entendre sa voix plus fortement que celles de la pression sociale et de l’émotion : l’espérance, le désir, la peur, la croyance, les valeurs, etc.
Nous sommes le plus souvent mus par nos sentiments plutôt que par notre raison. Et si nous ne nous engageons pas à cet effort de nous connaître et de comprendre, nous laissons, insensiblement, jour après jour, les instincts et les passions prendre le dessus. Et quand arrive l´heure du choix, nous sommes plus armés pour faire des choix valables et même pour défendre notre intégrité.
Il nous faut délibérément bâtir une mentalité, un « état d’âme » particulier, qui fait passer le vrai, le juste, l’amour, en premier. Sinon, c’est la pernicieuse facilité qui nous fait épouser ce que nous portons en nous (magma d’hérédités et de contraintes sociales) sans en être conscients. Et qui peut assez facilement nous conduire à l’horreur.
Si cette culture de l’âme était plus répandue, l’émission du Jeu de la mort n’aurait eu aucun candidat, car tous auraient d’emblée répondu : « Je ne puis participer à un jeu dont le principe est de faire souffrir quelqu’un »…
>> Voir aussi la critique de ce livre prémonitoire : Le Désarroi de l´élève Törless.