Le fameux « cogito » cartésien (« je pense, donc je suis »), qui fonde pour la première fois la seule certitude absolue dans l’esprit humain, fut le déclic pour un essor extraordinaire tant de la philosophie que des sciences de la nature. A la lumière des propositions de la philosophie radicale, nous pouvons aller encore plus loin et comprendre la vraie nature de toute connaissance possible.
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En premier lieu, nous tenons la pensée reçue et formulée par Descartes pour une des plus grandes découvertes qui aient jamais été faites par un esprit humain. Offrir à l’humanité une certitude totale au milieu du fatras inextricable des connaissances et des croyances plus ou moins bien établies fut un geste historique dont les conséquences n’ont pas encore toutes été exploitées.
C’est pourquoi la philosophie radicale revient sur le « je pense, donc je suis » pour tenter d’en prélever d’autres sucs non encore savourés. Et surtout d’en prolonger de façon systématique la fécondité.
Bien des penseurs, parmi les plus grands, anciens (Kant, Hegel) comme modernes (Husserl), ont commenté ce faux syllogisme. En effet, cette certitude, à partir de laquelle Descartes a tenté de refonder toute la connaissance, consiste en une intuition et ne résulta pas d’une déduction logique. L’expression est pensée comme « Je suis en tant que je pense », sans « donc », car elle n’est pas le fruit d’un raisonnement mais d’un constat d’évidence. Et Fichte a encore réduit cette intuition à sa plus simple flagrance : « Je suis car je suis ».
Certains ont sans doute effleuré ce qui va être dit ici. D’autres, comme Kant, Fichte et Sartre, nous ont fortement inspiré. Cependant, personne n’a encore présenté la structure de la pensée exactement comme la philosophie radicale le fait. Les idées ici développées présentent donc une originalité d’autant plus critique qu’elles prétendent pouvoir fonder l’ensemble des connaissance humaines.
Lexique
Plusieurs préalables sémantiques sont nécessaires pour comprendre la vision du sujet humain par la philosophie radicale. Rappelons-les :
- Comme nous l’avons vu précédemment et comme l’avait aussi affirmé Husserl, le moi n’est pas une « chose pensante ». Ce n’est pas un objet, ni une « entité », ni un « organe », ni un « être », etc., mais un fait/acte, celui qui occasionne la conscience du monde avec la conscience de soi.
Nous ne le confondons pas avec l’âme, celle-ci étant définie dans notre philosophie comme « l’ensemble des dispositions psychiques, cognitives et morales propres à chaque individu. Dispositions qui lui permettent d'élaborer son destin individuel. L’âme est la base, le terreau, le germe de la personnalité véritable et unique de tout être humain ». Nous reviendrons sur ce que nous entendons par « personnalité ».
- Le moi étant un terme très polysémique, nous l’avons considéré de façon plus précise sous trois aspects : ego, je et moi ; ego = je + moi (voir chapitre 3) Nous emploierons donc l’un ou l’autre de ces mots de la façon qui nous semblera la plus adéquate pour faire comprendre notre propos.
Pour donner une image concrète, le sujet humain (ego) est une lampe ; son moi est une ampoule ; son je (la conscience) est l’électricité qui éclaire et lui permet de voir.
- Nous nous efforçons de ne pas confondre les mots être et exister. Chacun aura un emploi différent en fonction du contexte.
L’être est pour nous la substance (indéfinissable mais omniprésente) constituant toute chose et depuis toujours puisque rien ne peut naître du néant.
L’existence (ex-exister vient du latin ex-sistere, formé du préfixe ex et du verbe sistere, stare : se tenir debout ; donc se tenir hors de) est ce qui se tient hors de l’être tout en étant son expression et son image. L’équivalent, pour nous, des apparences, du monde, de tout ce qui est visible ou mesurable, bref de ce que nous appelons communément la réalité. Ses principales caractéristiques sont d’être sensibles, duales et éphémères.
Ici, nous dirons que l’être, la substance du monde, est la Réalité ; que l’apparence du monde est la réalité. La Réalité est le fond ; la réalité est la forme.
Si nous voulons construire une connaissance valide, nous devons la mener dans le cadre d’une pensée cohérente. Il nous faut dès lors impérativement partir de la seule certitude absolue que nous ayons, celle que nous pensons.
En effet, que nous doutions ou non, et quoi que nous ayons en tête, nous ne pouvons le faire qu’en pensant, qu’en étant conscient d’avoir des représentations : idées, sentiments, perceptions, sensations, désirs, etc.
Ce que Descartes n’a pas vraiment approfondi, c’est le sujet de ces pensées. Pour lui, c’est une « chose pensante ». Il réifie donc le sujet, il en fait un objet concret. Or le moi est objectivement insaisissable, sauf à le réduire au corps. Pour nous, l’ego, le sujet en question, est constitué d’un fait/acte, le je, la conscience pure, et d’un moi (psycho-physio-logique). Ego = je + moi.
Il serait donc plus juste de dire : « il y a de la pensée en moi ». Je fais le constat qu’en moi une lumière est allumée qui me permet de voir, de sentir et de penser le monde. Je fais le constat également que cette lumière existe dans autrui, car je puis, grâce aux représentations qu’elle permet de formuler, partager mes ressentis, mes questionnements et mes connaissances.
C’est par elle que le langage et, partant, que la communication avec autrui sont possibles.
Elle est donc à la fois impersonnelle et personnelle.
Impersonnelle, car elle ne m’appartient pas en propre (sinon, je ne pourrais pas communiquer). Personnelle, car il n’y a que moi qui ait le point de vue, grâce à elle, d’où je regarde le monde.
L’Esprit : énergie d’où émerge le sens
Cette lumière, nous l’avons nommée le je. Ce pronom désigne donc la conscience en ce qu’elle a de personnel et même d’unique. Nous la nommons également le Je, dans ce qu’elle a d’universel qui transcende ma personne. Le petit je et le grand Je.
Le je exprime le sujet quand il est lié, par un corps, à un moi, avec toutes les conséquences concrètes que cela induit. Le Je exprime le sujet universel, c’est-à-dire, dans la philosophie radicale, l’Esprit. L’esprit est la nature du je, c’est la conscience en tant qu’elle est liée à une personne humaine.
L’Esprit est la nature du Je en tant qu’énergie d’où émerge le sens. Cette énergie est également synonyme d’être, puisque c’est grâce à elle, uniquement, que nous pouvons parler de réalité (avec petit ou grand R).
Ce point est crucial. On ne peut entrer dans la philosophie radicale si on le conteste, ce que tentent de faire, par exemple, les matérialistes et les empiristes. Ceux-ci vont arguer que l’esprit n’est qu’une émanation de la matière. Ce disant, ils ne réfléchissent pas. En effet, la matière est seulement un concept, créé par l’esprit lui-même. Le mot matière est une émanation de l’esprit.
Personne n’a jamais vu la matière ! Un rocher, de l’eau, une table, un corps, oui, mais jamais la matière seule, en soi. Un animal ne connaît pas la matière. Elle n’existe que pour l’homme, et parce qu’il pense.
L'impossible objectivité
En revanche, soyons précis, ce que désigne la matière existe bel et bien ! Mais ce qui est important à comprendre, c’est que ce qu’elle désigne ne peut absolument pas être pensé « en soi », c’est-à-dire indépendamment d’un sujet qui l’évoque et qui en crée le concept.
Mais alors, qu’est-ce qui existe réellement ? Jamais des « objets en soi » mais des perceptions, des sensations, des analyses, des mesures, qui, certes, nous conduisent à penser qu’il y a bien des objets « extérieurs à nous ».
Mais il faut bannir définitivement la notion d’objectivité absolue. Et cesser de penser le monde comme pouvant exister par lui-même sans penser en même temps un esprit qui en forme une représentation.
C’est capital à comprendre, car cela implique que TOUTE connaissance que je puis avoir est liée à la façon dont je l’élabore, dont je la conçois (le mot dit bien ce que cela veut dire). Il n’y a jamais de perception pure. Toute appréhension d’un quelconque objet est toujours la fabrication d’un cerveau, certes souvent à partir d’objets existants réellement, mais toujours teintée d’une subjectivité. Donc d’interprétation.
De même, aucune connaissance n’est jamais définitivement figée. Nous pouvons donc apprendre infiniment sur tout. Nous n’avons dans la connaissance que les limites que nous nous opposons à nous-mêmes.
L'objet que je vois et que je crois connaître n'est en fait connu que dans les limites que je prescris à ma sagacité. « D'un caillou sur la plage, vous pouvez saisir l'Univers. » L'objet ne s'impose dans son objectivité que dans la mesure de la passivité de ma subjectivité.
La transcendance du moi
Matière et esprit sont comme les deux faces d’une même pièce de monnaie qui ne se rencontrent jamais (elles sont des opposés absolus) mais qui vont toujours ensemble. A cette différence près que seul l’esprit peut évoquer la pièce de monnaie qui unit tout en les distinguant lui-même et la matière. L’esprit est à la fois partie du tout et tout englobant.
La philosophie radicale nomme cette aporie la transcendance du moi.
C’est elle qui nous servira désormais de base pour comprendre l’élaboration de toute connaissance quelle qu’elle soit. C’est elle qui montre en quoi l’être humain est libre alors qu’il existe physiquement dans un corps et un monde déterminés par des lois pleinement déterministes.
C’est elle encore qui nous fera aborder à nouveaux frais la nature du lien entre l’esprit et la matière : l'esprit influe-t-il sur la matière ? Et inversement ? Quels rapports entre ma pensée et le monde ? Comment expliquer l'interaction entre ces deux mondes complètement étrangers l'un à l'autre ? Comprendre la transcendance du moi permet de comprendre ce lien mystérieux.
C’est également cette particularité cognitive qui fait de l’être humain une espèce totalement à part.
Cette réalité, dûment constatable par tout esprit qui cherche à voir sans a priori, est la vérité la plus importante de la philosophie radicale. Car c’est sur elle que toute pensée qui se dit rationnelle doit absolument se fonder pour mener ses analyses et produire tous ses développements.