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Philosophie radicale (5) : la clé de toute connaissance possible

Le fameux « cogito » cartésien (« je pense, donc je suis »), qui fonde pour la première fois la seule certitude absolue dans l’esprit humain, fut le déclic pour un essor extraordinaire tant de la philosophie que des sciences de la nature. A la lumière des propositions de la philosophie radicale, nous pouvons aller encore plus loin et comprendre la vraie nature de toute connaissance possible.

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> L'article 1 et le sommaire.

Descartes.

En premier lieu, nous tenons la pensée reçue et formulée par Descartes pour une des plus grandes découvertes qui aient jamais été faites par un esprit humain. Offrir à l’humanité une certitude totale au milieu du fatras inextricable des connaissances et des croyances plus ou moins bien établies fut un geste historique dont les conséquences n’ont pas encore toutes été exploitées.

C’est pourquoi la philosophie radicale revient sur le « je pense, donc je suis » pour tenter d’en prélever d’autres sucs non encore savourés. Et surtout d’en prolonger de façon systématique la fécondité.

Bien des penseurs, parmi les plus grands, anciens (Kant, Hegel) comme modernes (Husserl), ont commenté ce faux syllogisme. En effet, cette certitude, à partir de laquelle Descartes a tenté de refonder toute la connaissance, consiste en une intuition et ne résulta pas d’une déduction logique. L’expression est pensée comme « Je suis en tant que je pense », sans « donc », car elle n’est pas le fruit d’un raisonnement mais d’un constat d’évidence. Et Fichte a encore réduit cette intuition à sa plus simple flagrance  : « Je suis car je suis ».

Certains ont sans doute effleuré ce qui va être dit ici. D’autres, comme Kant, Fichte et Sartre, nous ont fortement inspiré. Cependant, personne n’a encore présenté la structure de la pensée exactement comme la philosophie radicale le fait. Les idées ici développées présentent donc une originalité d’autant plus critique qu’elles prétendent pouvoir fonder l’ensemble des connaissance humaines.

Lexique

Plusieurs préalables sémantiques sont nécessaires pour comprendre la vision du sujet humain par la philosophie radicale. Rappelons-les  :

- Comme nous l’avons vu précédemment et comme l’avait aussi affirmé Husserl, le moi n’est pas une « chose pensante ». Ce n’est pas un objet, ni une « entité », ni un « organe », ni un « être », etc., mais un fait/acte, celui qui occasionne la conscience du monde avec la conscience de soi.

Nous ne le confondons pas avec l’âme, celle-ci étant définie dans notre philosophie comme « l’ensemble des dispositions psychiques, cognitives et morales propres à chaque individu. Dispositions qui lui permettent d'élaborer son destin individuel. L’âme est la base, le terreau, le germe de la personnalité véritable et unique de tout être humain ». Nous reviendrons sur ce que nous entendons par « personnalité ».

- Le moi étant un terme très polysémique, nous l’avons considéré de façon plus précise sous trois aspects  : ego, je et moi  ; ego = je + moi (voir chapitre 3) Nous emploierons donc l’un ou l’autre de ces mots de la façon qui nous semblera la plus adéquate pour faire comprendre notre propos.

Pour donner une image concrète, le sujet humain (ego) est une lampe  ; son moi est une ampoule  ; son je (la conscience) est l’électricité qui éclaire et lui permet de voir.

- Nous nous efforçons de ne pas confondre les mots être et exister. Chacun aura un emploi différent en fonction du contexte.

L’être est pour nous la substance (indéfinissable mais omniprésente) constituant toute chose et depuis toujours puisque rien ne peut naître du néant.

L’existence (ex-exister vient du latin ex-sistere, formé du préfixe ex et du verbe sistere, stare : se tenir debout  ; donc se tenir hors de) est ce qui se tient hors de l’être tout en étant son expression et son image. L’équivalent, pour nous, des apparences, du monde, de tout ce qui est visible ou mesurable, bref de ce que nous appelons communément la réalité. Ses principales caractéristiques sont d’être sensibles, duales et éphémères.

Ici, nous dirons que l’être, la substance du monde, est la Réalité  ; que l’apparence du monde est la réalité. La Réalité est le fond  ; la réalité est la forme.

Si nous voulons construire une connaissance valide, nous devons la mener dans le cadre d’une pensée cohérente. Il nous faut dès lors impérativement partir de la seule certitude absolue que nous ayons, celle que nous pensons.

En effet, que nous doutions ou non, et quoi que nous ayons en tête, nous ne pouvons le faire qu’en pensant, qu’en étant conscient d’avoir des représentations  : idées, sentiments, perceptions, sensations, désirs, etc.

Ce que Descartes n’a pas vraiment approfondi, c’est le sujet de ces pensées. Pour lui, c’est une « chose pensante ». Il réifie donc le sujet, il en fait un objet concret. Or le moi est objectivement insaisissable, sauf à le réduire au corps. Pour nous, l’ego, le sujet en question, est constitué d’un fait/acte, le je, la conscience pure, et d’un moi (psycho-physio-logique). Ego = je + moi.

Il serait donc plus juste de dire  : « il y a de la pensée en moi ». Je fais le constat qu’en moi une lumière est allumée qui me permet de voir, de sentir et de penser le monde. Je fais le constat également que cette lumière existe dans autrui, car je puis, grâce aux représentations qu’elle permet de formuler, partager mes ressentis, mes questionnements et mes connaissances.

C’est par elle que le langage et, partant, que la communication avec autrui sont possibles.

Elle est donc à la fois impersonnelle et personnelle.

Impersonnelle, car elle ne m’appartient pas en propre (sinon, je ne pourrais pas communiquer). Personnelle, car il n’y a que moi qui ait le point de vue, grâce à elle, d’où je regarde le monde.

L’Esprit  : énergie d’où émerge le sens

Cette lumière, nous l’avons nommée le je. Ce pronom désigne donc la conscience en ce qu’elle a de personnel et même d’unique. Nous la nommons également le Je, dans ce qu’elle a d’universel qui transcende ma personne. Le petit je et le grand Je.

Le je exprime le sujet quand il est lié, par un corps, à un moi, avec toutes les conséquences concrètes que cela induit. Le Je exprime le sujet universel, c’est-à-dire, dans la philosophie radicale, l’Esprit. L’esprit est la nature du je, c’est la conscience en tant qu’elle est liée à une personne humaine.

L’Esprit est la nature du Je en tant qu’énergie d’où émerge le sens. Cette énergie est également synonyme d’être, puisque c’est grâce à elle, uniquement, que nous pouvons parler de réalité (avec petit ou grand R).

Ce point est crucial. On ne peut entrer dans la philosophie radicale si on le conteste, ce que tentent de faire, par exemple, les matérialistes et les empiristes. Ceux-ci vont arguer que l’esprit n’est qu’une émanation de la matière. Ce disant, ils ne réfléchissent pas. En effet, la matière est seulement un concept, créé par l’esprit lui-même. Le mot matière est une émanation de l’esprit.

Personne n’a jamais vu la matière  ! Un rocher, de l’eau, une table, un corps, oui, mais jamais la matière seule, en soi. Un animal ne connaît pas la matière. Elle n’existe que pour l’homme, et parce qu’il pense.

L'impossible objectivité

En revanche, soyons précis, ce que désigne la matière existe bel et bien  ! Mais ce qui est important à comprendre, c’est que ce qu’elle désigne ne peut absolument pas être pensé « en soi », c’est-à-dire indépendamment d’un sujet qui l’évoque et qui en crée le concept.

Mais alors, qu’est-ce qui existe réellement  ? Jamais des « objets en soi » mais des perceptions, des sensations, des analyses, des mesures, qui, certes, nous conduisent à penser qu’il y a bien des objets « extérieurs à nous ».

Mais il faut bannir définitivement la notion d’objectivité absolue. Et cesser de penser le monde comme pouvant exister par lui-même sans penser en même temps un esprit qui en forme une représentation.

C’est capital à comprendre, car cela implique que TOUTE connaissance que je puis avoir est liée à la façon dont je l’élabore, dont je la conçois (le mot dit bien ce que cela veut dire). Il n’y a jamais de perception pure. Toute appréhension d’un quelconque objet est toujours la fabrication d’un cerveau, certes souvent à partir d’objets existants réellement, mais toujours teintée d’une subjectivité. Donc d’interprétation.

De même, aucune connaissance n’est jamais définitivement figée. Nous pouvons donc apprendre infiniment sur tout. Nous n’avons dans la connaissance que les limites que nous nous opposons à nous-mêmes.

L'objet que je vois et que je crois connaître n'est en fait connu que dans les limites que je prescris à ma sagacité. « D'un caillou sur la plage, vous pouvez saisir l'Univers. » L'objet ne s'impose dans son objectivité que dans la mesure de la passivité de ma subjectivité.

La transcendance du moi

Matière et esprit sont comme les deux faces d’une même pièce de monnaie qui ne se rencontrent jamais (elles sont des opposés absolus) mais qui vont toujours ensemble. A cette différence près que seul l’esprit peut évoquer la pièce de monnaie qui unit tout en les distinguant lui-même et la matière. L’esprit est à la fois partie du tout et tout englobant.

La philosophie radicale nomme cette aporie la transcendance du moi.

C’est elle qui nous servira désormais de base pour comprendre l’élaboration de toute connaissance quelle qu’elle soit. C’est elle qui montre en quoi l’être humain est libre alors qu’il existe physiquement dans un corps et un monde déterminés par des lois pleinement déterministes.

C’est elle encore qui nous fera aborder à nouveaux frais la nature du lien entre l’esprit et la matière : l'esprit influe-t-il sur la matière ? Et inversement ? Quels rapports entre ma pensée et le monde ? Comment expliquer l'interaction entre ces deux mondes complètement étrangers l'un à l'autre ? Comprendre la transcendance du moi permet de comprendre ce lien mystérieux.

C’est également cette particularité cognitive qui fait de l’être humain une espèce totalement à part.

Cette réalité, dûment constatable par tout esprit qui cherche à voir sans a priori, est la vérité la plus importante de la philosophie radicale. Car c’est sur elle que toute pensée qui se dit rationnelle doit absolument se fonder pour mener ses analyses et produire tous ses développements.

 

 

 

 

 

Philosophie radicale (3) : Dans le moi, le je et l’ego, deux composants à comprendre et réconcilier

Distinguer l’ego et le je permet de saisir en quoi l’homme est limité et en quoi il est infiniment libre. L’ego est physique et psychologique, le je est de nature purement spirituelle. La volonté est le lien entre ces deux aspects du moi.

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Définitions

La philosophie radicale nomme le couple je + ego : le moi (ici indiqué S, le sujet).
Le je est la lumière intentionnelle et unidirectionnelle de la conscience qui anime chaque individu (ici indiqué ✴︎, voir plus loin), liberté, volonté pures.

C’est le je, la conscience en tant que telle qui permet l’apparition des pensées dans le moi. C’est le moi radical, transcendantal car en amont et à l’origine de toute représentation. Le je est unité.

Le moi est l’ensemble des caractéristiques physico-psychologiques de la personne (tempérament et caractère, innés et acquis, ici indiqué moi). C’est le moi empirique du sens commun.

Donc, nous parlerons du moi (ou du sujet S) quand nous évoquerons la personne dans sa totalité (spirituelle–je ✴︎, physique et psychologique–ego). C’est le moi au sens philosophique. Le moi est unité/dualité (je + ego).

- Moi ou Sujet : S

- Conscience en tant que telle, je, ✴︎

D'où S = je (ou ✴︎) + ego.

 Le moi est déterminé par le corps, le je est liberté totale.

 Nous l’avons dit précédemment  : le je est spontanéité qui voit. C’est le rayon lumineux intérieur qui permet à la conscience d’exister en tant que telle, d’éclairer pour elle-même tout objet, qu’il soit intérieur (pensée, sensation…) ou extérieur (pomme…) et de donner du sens à ce qui est perçu.

Ne pouvant se voir lui-même – sinon sous l’aspect objet (le je observé, le je-objet) mais alors il n’est plus sujet –, le je-sujet, échappant à l’observation, à l’objectivation, n’est toujours que sujet.

Ce constat n’est pas anodin. Cela signifie, par exemple, que le je (le moi intime de l’homme, la conscience personnelle de chaque homme) est insaisissable de l’extérieur, par un autre homme par exemple. Il est inaliénable par autrui.

On peut toucher, meurtrir, aliéner le corps d’un homme. Jamais son je.

Nous y reviendrons.

Je est maître en son propre royaume

Cela signifie également que le je est totalement maître en son propre royaume. C’est lui qui décide de tout et, particulièrement, de comment réagir à ce dont le sujet est immédiatement informé (sensation, vision, pensée...).

Les conséquences psychologiques et morales de cette vérité première sont innombrables et immenses.

Avant d’en étudier quelques unes, il nous faut d’abord bien concevoir ce qu’est l’ego humain, autrement dit, dans la philosophie radicale, le couple je/moi (le je conscience S + le moi psychologique lié au corps, qui est aussi O pour je), puisque nous avons vu que S n’apparaît pas sans O.

Nous avons compris que si le je nous échappe, ce n’est pas parce qu’il serait inconscient ni subconscient, ni quoi que soit d’autre, mais c’est parce que le je n’est toujours que sujet. Un sujet ne peut avoir d’autre cause que soi-même (nous y reviendrons), sinon il serait objet de cette cause. Or, il ne peut jamais être objet, jamais être vu, étant une pure spontanéité, un voir, un acte primitif de production de sens.

C’est là l’extraordinaire caractéristique de la conscience humaine. C’est la nature de l’esprit, dont la conscience est un élément.

Avant son apparition et après sa disparition, le je n’existe pas, sinon seulement en tant que potentiel ou en tant que Je universel (voir plus loin). Le moi (physique, psychologique), de la naissance à la mort de l’individu, est seulement garant de sa permanence et de sa continuité.

Nous avons vu que S n’existe pas sans O  : on ne peut parler de conscience que lorsqu’il y a conscience DE quelque chose (intentionnalité). La conscience n’est pas une chose, un objet en soi, mais un acte émergent, une source, une intention, une direction, une lumière éclairant quelque chose.

Dans le concret, nous avons toujours affaire au couple SO, c’est-à-dire au moi qui a conscience de quelque chose (représentation), ce quelque chose pouvant être intérieur (pensée, sensation…) ou extérieur (pomme…).

Mais il est un cas de figure très particulier, quand le moi se prend lui-même comme objet, quand il réfléchit à/sur lui-même. Le moi (irréfléchi) observe le moi (réfléchi), les deux formant un seul moi. Je me regarde (intérieurement). Le moi sujet regarde le moi objet tout en restant un seul moi.

C’est la conscience de soi, action intérieure que Kant nommait l’aperception.

Dans S, S sujet voit S objet, qu’il faut représenter ainsi  :

S(S ✴︎ –> SO), les deux S à l’intérieur de la parenthèse étant à la fois identiques et différents.

Cette unité-dualité constitutive de l’esprit humain est la clé de tous les savoirs (à rapprocher du symbole yin-yang). En effet, elle est présente dans toute connaissance, quelle qu’elle soit, intime ou externe.

C’est une vérité absolue, du même ordre que la vérité du cogito, qui conditionne tous nos processus cognitifs.

Les conséquences de ce constat sont incommensurables  !

Notre corps  : à la fois intérieur et extérieur à nous

Nous expérimentons que ce moi, cette conscience consciente d’elle-même, n’est conscience que parce qu’il est hébergé par un corps. Le corps est pour notre conscience à la fois intérieur et extérieur. Nous le vivons  :

- de l’intérieur par nos sensations, émotions, etc.,

- et de l’extérieur parce que nous pouvons observer son apparence (nous voyons nos mains bouger…).

Notre corps est donc à la fois, pour la conscience, objet intérieur (Oi) ET objet extérieur (Oe).

Remarquons qu’il est toujours O, jamais seulement S mais uniquement son support nécessaire, sa matrice en quelque sorte. C’est pourquoi l’on peut dire que, d’une certaine façon, mon corps n’est pas moi. Il est toujours extérieur à ma conscience. Il est ce qu’est la coquille à l’égard du poussin qu’elle abrite.

Étant senti ou vu par S, le corps n’est moi que dans R (ma représentation).

Nous avons dit que le moi humain est le couple SO. Plus exactement, nous comprenons qu’il est le couple SOi + le couple SOe, c.-à-d. la conscience de ce que j’observe en moi comme à l’extérieur de moi.

Reprenons le concept d’intuition intellectuelle présenté précédemment comme cette émergence de lumière que nous DEVONS obligatoirement supposer comme étant à l’origine en permanence de tout ce dont notre esprit prend conscience (de tout R).

Symbolisons ce concept par le schème de la lumière, ✴︎, l’étoile à huit branches représentant le soleil dans de nombreuses mythologies.

La géniale intuition de Fichte

Pour être plus exact, et pour reprendre à notre façon la géniale intuition de Fichte sur la nature du moi humain, nous devons transcrire notre formulation du moi ainsi  :

S = ✴︎ + O

Le sujet S est constitué de ce rayonnement de conscience (✴︎) qui se porte sur un quelconque objet (O, Oi ou Oe), rayonnement impossible à observer en tant que tel, à objectiver, mais nécessairement supposé dans tout R ("R) et constituant le cœur de notre moi.

Toute représentation R d’un sujet S est constituée d’une conscience ✴︎ et d’un objet O.

Le moi (S = ✴︎ + O) est ce qui permet l’apparition de ce phénomène (R) qui lui-même permet l’apparition du sujet (je), sujet qui n’est pas objectivable et qui n’existe pas en continu (pour nous).

Nous voyons donc que je, n’étant pas objet mais sujet, est un acte, spontanéité sans cause ni sans antécédent, impersonnel (nous verrons qu’il ne peut y avoir qu’un je) et intermittent (sommeil/veille…) qui, lié à O (Oi + Oe), se trouve par ce fait-même singularisé.

C’est parce que le je (la conscience) est lié à un objet qu’il est un je particulier. Sinon, il est pure conscience irréfléchie, pure pensée sans contenu, pure énergie spirituelle.

La conscience pure (✴︎), sans O, étant impossible à observer objectivement, donc transcendante, nous avons l’habitude soit de la nier, soit de l’ignorer, bien qu’elle soit le vif du sujet, comme nous l’avons dit.

Nous verrons que la vision fichtéenne de l’homme, incomprise et combattue par de nombreux penseurs, dont Kant en premier lieu dont il se disait pourtant l’explicateur, a cependant fait fortune (Husserl, par exemple), même si c’est de façon assez discrète. Elle a perduré jusqu’à ce jour grâce à différents épigones dont je me targue de faire partie.

Intuitionner cette conscience pure est une expérience difficile. Fichte a énormément insisté sur le fait qu’elle ne pouvait être simplement expliquée, qu’il fallait l’expérimenter pour la saisir.

En effet, elle n’est possible qu’en faisant abstraction de tout sauf de l’essentiel, en nous décentrant à proprement parler, pour passer du moi psychologique (SO) au moi pur (✴︎), plonger en cette lumière qui se révèle alors à nous comme une énergie, une source d’illimité, une réalité créatrice qui à la fois nous constitue et nous dépasse infiniment.

L'ego je prend conscience, émerveillé, que sa source vient d’au-delà de lui-même ET qu’il est, fondamentalement et d'une certaine façon, de même nature qu’elle. Le petit je comprend qu’il doit son existence et son fonctionnement au Grand Je dont il est, d'une certaine façon que j'expliciterai plus loin, la copie, le modèle réduit ET l’expression.

Nous verrons les multiples conséquences qui découlent de cette simple observation (pour peu que l’on parvienne à la faire).

Liberté illimitée

C’est à cette condition (abstraction de tout sauf de la source de la conscience) que nous expérimentons la liberté illimitée que nous sommes.

Le moi est effectivement plus ou moins libre, voire totalement conditionné. Tandis que je EST liberté inconditionnée, même quand il ne se sait pas tel.

Tout l’enjeu de l’homme réside dans l’effort qu’il fait ou non pour faire coïncider je et Je, pour réconcilier ses deux mois (✴︎ et SO), pour unir par ses actes, en lui et hors lui, l’esprit et la matière.

Cette expérience n’entraîne pas la dissolution du moi (de l’ego) dans le Tout, comme dans beaucoup d’approches orientales et chez certains mystiques. Elle ouvre au contraire sur la possibilité de l’affirmation libre du sujet, affirmation qui n’est effective et profitable que si elle s’effectue en symbiose avec ✴︎✴︎ étant la Conscience universelle unique, présente dans l’ego de chaque homme (je => Je) et ne devenant conscience individualisée que par les choix de je quand il s’identifie, par ses actes, à ✴︎.

Les perspectives de puissance sont ainsi démultipliées puisqu’elles procèdent des facultés illimitées de l’esprit qui sont mises en branle en concordance avec les lois universelles, et non plus seulement pour des fins personnelles, partiales ou cloîtrées par des savoirs incomplets.

La joie éblouissante qui résulte de tels comportements peut conduire à des excès si elle n’est pas accompagnée d’une démarche rationnelle exigeante (ne pas prendre ses désirs pour la réalité) et d’une bonne volonté totale. Vécue de façon simpliste, elle peut conduire au fanatisme comme au délire.

Le critère principal pour juger de sa qualité réside dans les fruits qu’elle engendre  : bénéficient-ils au plus grand nombre  ? Conduisent-ils à l’épanouissement de la personne  ? Etc.

Joie

Cette joie résulte dans l’adéquation, quand elle est trouvée, entre la liberté et l’idéal, dans la coïncidence réalisée entre l’acte et la parole/pensée. C’est là le principal foyer, au cœur de l’homme, d’où peut naître le bonheur. Bonheur de former en soi le pont au dessus de l’abîme, du néant intérieur (nous reviendrons sur ce concept) pour rassembler en une même expérience les aspirations les plus sublimes et les actes les plus féconds.

Retenons simplement pour l’instant que je est un acte, l’acte par lequel le sujet se constitue comme tel, acte de liberté totale sans cause ni influence extérieure qui oriente à sa guise le cours des pensées.

A ce stade, le lecteur peut sans doute encore avoir le réflexe d’objecter que le moi humain n’est pas à l’abri des influences extérieures. C’est qu’il aura déjà oublié deux choses.

La première, c’est que je ≠ moi. Le je est entièrement autonome et pur, tandis que le moi est constitué de tout ce qui fait le caractère et le tempérament de l’homme et qui est soumis aux états de son corps, aux pressions de son hérédité et de son environnement.
La deuxième, c’est que le moi (SO) est, pour la conscience (✴︎), une production par elle, une création en elle, une image  : le moi, lié au corps, ne pénètre pas en tant que tel dans la conscience puisqu’il lui est extérieur. Le moi, comme tout O, est traduit, représenté par elle en elle.

Le moi, comme tout objet extérieur, est extérieur à la conscience, ce que J.-P. Sartre avait bien vu dans son ouvrage la Transcendance de l’égo.

Nous reviendrons plus loin sur ce que signifie exactement « extérieur ».

Rappelons-nous simplement que la conscience ne sort jamais d’elle-même ni ne laisse jamais rien entrer en elle qu’elle ne recrée.

Ainsi, les influences que peut connaître le moi dépendent en premier chef de ce que "je" veut (sic). Elles peuvent être sues ou ignorées, acceptées ou refusées, sublimées ou subies. Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous imposent nos comportements, c’est la façon dont nous y réagissons qui oriente le cours de notre existence.

En fait, l’esprit (dont est constitué le je) est infiniment libre. Il n’est limité que par les limites qu’il se donne, qu’il accepte ou qu’il croit avoir. Je, maître des lieux, s’en croit souvent l’esclave. Et s’il se croit ainsi, c’est qu’il s’identifie à tort avec le moi. Il se croit quelqu’un, une personnalité plus ou moins indépendante, existant par soi, ce qui est une belle illusion  !

Ce n’est qu’en reconnaissant qu’il n’est rien par lui-même (il ne s’est pas créé lui-même) et que sa véritable nature est d’esprit (et donc, d’une certaine façon, qu’il est autre que lui-même) et en s’identifiant à l’énergie créatrice dont je est l’expression, qu’un être humain peut tout devenir. Qu’il est, « à l’image de Dieu », liberté, volonté pures.

A cette différence, essentielle, près qu'il est lié à un corps et à un monde qui lui sont imposés...

> Philosophie radicale (2)  : Qui suis-je  ? Qui est je  ?

> Philosophie radicale (1)  : La liberté de l’esprit

Philosophie radicale (2) : Qui suis-je ? Qui est je ?

Pour la philosophie radicale, la conscience est une. En tant que pure lumière, elle est le je. Quand elle est liée au corps ou quand elle est objet du je, elle est le moi. Comprendre le rapport entre le je, le moi et le monde permet de saisir la véritable nature du sujet.

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Je m’interroge.

Mais qui est ce moi (ce m’) dont j’attends réponse  ? Qui se pose la question  ? Plus encore, qui peut y répondre de façon claire  ?

La philosophie radicale, c’est la philosophie avant la philosophie, avant toute philosophie, écrivais-je dans le chapitre 1. A l’origine de tout savoir, de toute pensée, il y a, en soi, ce rayon de lumière projeté sur les choses et les idées qu’on appelle conscience.

Nous avons le témoignage sensible et certain de cette conscience grâce aux représentations (voir chapitre précédent) qu’elle nous permet de former  : idées, émotions, désirs, sensations, bref, toutes formes de perceptions que nous savons vivre dans notre esprit.

Dans ce chapitre 2, j’invite le lecteur à faire l’expérience de cette conscience en tâchant de la détacher de tout objet qu’elle éclaire (choses ou idées), ce qui nous permettra d’accéder à la « pure » conscience.

L’exercice est difficile. Très peu y parviennent tant la conscience, en nous, est liée, attachée, unie aux objets qu’elle rencontre sur son chemin de lumière.

Je vois la pomme devant moi ou je pense à une pomme. Pour moi, l’objet ou la pensée « pomme » est objectif. Je peux décrire sa forme, sa couleur  ; je peux la humer (ou me rappeler son odeur), la croquer (ou me rappeler sa saveur), la dessiner, etc. Bref, je peux tout entreprendre sur et à propos de cet objet. Mais j’oublie toujours que s’il y a une pomme devant moi, c’est parce que ma conscience l’éclaire  ! C’est parce que « je » la voit (sic).

Jamais objet, toujours sujet

Cela, tout le monde peut facilement le reconnaître. Mais si j’enlève la pomme, que reste-t-il  ?

 ? ? ?

Vous allez peut-être me dire  : le je dont nous venons de faire état. Mais ce je-là n’est pas encore la pure conscience puisque qu’il est, déjà, « objet » de ma conscience qui le voit, qui en a une représentation et qui en parle ici  ! Comme si mon je (qui voyait la pomme) avait fait un saut en amont pour pouvoir « se voir », pour voir le je sans la pomme.

C’est pourquoi j’ai écrit juste au dessus [C’est parce que] « je » entre guillemets et « voit » à la troisième et non à la première personne.

Nous voyons bien qu’à ce jeu-là, nous pouvons régresser à l’infini. Nous sommes toujours obligés de supposer au préalable de toute perception, de toute description, une conscience qui opère.

Il est impossible d’observer la conscience observant la conscience sans détruire immédiatement et absolument, par ce fait même, son caractère de sujet.

Le je ne peut se regarder lui-même sans se dire « il », « tu », « me » ou « moi », pas plus que l’œil ne peut se voir lui-même (sinon dans un miroir, mais alors il n’est plus celui qui voit mais celui qui est vu, reflet).

D’où la distinction que je fais dans le chapô (résumé introductif) de cet article entre le je et le moi.

Le je est ce qui voit.

S’il se regarde, il ne se voit plus comme sujet. D’où l’expression  : je ME vois, « me » étant alors non plus sujet mais complément d’objet direct. Ou « prédicat » selon la nouvelle formulation grammaticale officielle.

Ne pouvant se voir lui-même que sous l’aspect objet, que devient le je sujet  ?

Échappant à l’observation, à l’objectivation, il ne peut pas être analysé de l’extérieur de lui-même. Il n’est donc toujours que sujet  !

C’est là, disons-le en passant, ce qui fait la caractéristique essentielle de l’être humain. Nous y reviendrons plus loin.

En attendant, relevons une première conséquence MAJEURE de ce constat  : nous ne pouvons pas observer cette émergence de lumière, mais nous DEVONS la supposer comme étant à l’origine en permanence de tout ce dont notre esprit prend conscience.

Intuition intellectuelle

Johann Gottlieb Fichte (1762-1814).

Cette expérience d’une réalité intérieure, de l’apparition de notre conscience, cette expérience dont dépend toute connaissance, qu’elle soit subjective ou objective, un philosophe allemand, Fichte, en a fait le cœur de sa philosophie. Il l’a nommée intuition intellectuelle. « Intuition », parce qu’il s’agit de constater ce phénomène, « intellectuelle » parce que ce phénomène n’est constatable nulle part ailleurs que par notre esprit.

L’intuition intellectuelle est ce qui donne du sens à l’expression  : je vois je (et non  : je me vois), dans laquelle sujet et prédicat sont identiques sans se confondre.

Descartes, avec son « je pense donc je suis » l’avait approchée de très près, bouleversant à jamais tant la réflexion philosophique que l’élaboration des sciences naturelles.

Kant avait réservé ce concept d’intuition intellectuelle au domaine moral, religieux (« pratique ») et l’avait dénoncé comme exaltation ou délire  (« schwärmerei ») quand il est appliqué au savoir objectif, scientifique (« théorique »).

Emmanuel Kant (1724-1804).

Pour lui, prétendre voir la Réalité au delà des apparences (des phénomènes) est de la folie. De même, prétendre « observer » Dieu relève de la divagation ou de la frénésie mystique.

De son côté, Fichte, affirmant mieux comprendre Kant que lui-même, avait érigé l’intuition intellectuelle (avec un sens proche mais différent) en premier principe absolu de tout savoir (théorique et pratique, scientifique et moral ou éthique). C’est ainsi qu’il justifia l’unité des trois Critiques kantiennes (« de la raison pure », « de la faculté de juger » et « de la raison pratique »), unité que Kant avait affirmée mais sans avoir pu l’établir formellement.

A l’origine du moi

Derrière cette difficile démarche philosophique, il y a une affirmation de grande portée  : le sujet et l’objet, et aussi donc l’esprit de l’homme et son corps (et l’univers) constituent un ensemble unifié et doté de sens, et non deux mondes hétérogènes séparés par un fossé, un mystère insondable. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

L’expérience intime, j’insiste sur le mot expérience, qui constitue le cœur de la démarche fichtéenne et celle de la philosophie radicale, est donc la vision intellectuelle (et non sensible) de la nature de ma conscience. Et, par déduction, de toute conscience.

Cette vision, toute vision, c’est facile à remarquer, est absolument individuelle. Personne ne peut voir à la place d’un autre. Nul ne fonctionne avec les conditions physiques ou psychologiques de tout autre.

C’est pourquoi le savoir de soi philosophique, c-à-d au delà de son aspect purement psychologique, qui en découle est absolument unique.

Il ne peut être qu’expérimenté, non démontré.

Cependant, s’il ne peut être démontré extérieurement, il peut recevoir une justification rationnelle, philosophique  ; il accepte des explications logiques. Susceptible d’être indiqué, évoqué, partagé par des mots ou des images, il peut en effet être inséré dans une suite cohérente, logique, d’arguments.

Chacun de nous est donc seul, absolument seul, en son for intérieur face à la réalité interne ou externe qu’il peut explorer et qu’il interprète nécessairement selon son désir, ses possibilités, sa propre vision du monde. C’est pourquoi il y a quasiment autant de philosophies, si on creuse leurs contenus, que d’êtres humains. C’est pourquoi, également, il a été impossible de concevoir UNE philosophie acceptable par tous.

Si la philosophie radicale expose le principe unique de toute conscience, elle ne propose pas un système de pensée universel, tout fait, que chacun pourrait étudier, rejeter ou adopter. Elle explore le sens que l’on peut donner à ce moment primitif, à la fois singulier et universel (nous en reparlerons), d’où sourd toute conscience et qui préside à la naissance du moi – et à l'apparition du je.

Nous l’avons vu, le je est toujours en amont – épistémologiquement parlant – du moi, conditionnant ainsi son existence. Il constitue en quelque sorte… le vif du sujet. Il est la vie dans le cœur et l’esprit de l’homme.

Je et moi

René Descartes (1596-1650).

Voyons maintenant comment nous pouvons mieux distinguer le je et le moi. Comprendre l’articulation entre ces deux concepts nous permettra d’apporter une réponse consistante à la question du rapport entre objectivité et subjectivité, entre esprit et matière, entre âme et corps. Rapports qu’un certain nombre de penseurs ont renoncé à explorer tant le mystère leur parut grand et les apories insurmontables.

Depuis Descartes, en effet, qui avait bien distingué et rendus incompatibles la pensée et l’étendue (caractéristique de tout objet matériel), les thèses se sont affrontées entre les tenants de la matière (tout vient d’elle, y compris l’esprit qui n’en est qu’une « sécrétion ») et les partisans du spirituel (tout vient de lui et la matière n’en est qu’une forme phénoménale).

L’opposition entre ces deux conceptions est apparemment irrémissible. Et ceux qui ont tenté de les concilier, comme Spinoza par exemple, ou la pensée indienne, les ont en fait fondu l’une dans l’autre. L’une annihilant l’autre.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770 –1831).

Comment à la fois conserver et dépasser l’une et l’autre de ces thèses  ? Hegel, prolongeant les travaux de Fichte, a conduit sa dialectique ternaire en vue de concilier les inconciliables. Il chérissait particulièrement le verbe « aufheben » dont le double sens de maintenir et de supprimer lui paraissait le summum du travail spéculatif.

Cette notion est effectivement extrêmement féconde. Pour la faire comprendre, Hegel donnait l’exemple du bourgeon qui devient fleur qui devient germe, etc. Aufheben est donc un mouvement et non un état statique qui l’opposerait à un autre état statique. La vie est marche en avant, rien ne peut être conservé définitivement. Toute chose n’est qu’un « moment », autre mot-clé du vocabulaire hégélien, dans le cours de l’Histoire. Et quand nous sommes confrontés à des oppositions apparemment irréductibles, nous pouvons nous avancer si nous ne figeons pas nos idées et nos perceptions dans du marbre.

Chaque pensée, chaque chose, sont à considérer comme réelles, certes, mais aussi évolutives, modulables, non absolues en tout cas.

Matière et esprit

Ce préambule va nous permettre de saisir la synthèse que Fichte nous propose tout au long de sa Doctrine de la science en pas moins de dix-huit ouvrages rédigés autour de la même idée  !

« Le je ne peut se regarder lui-même sans se dire il, tu, me ou moi », écrivais-je plus haut.

Mais si nous voulons être exact, nous devons ajouter « tout en restant toujours unique ».

Le constat de cette dualité interne dans l’unité de la conscience est, après l’intuition intellectuelle (le je), le deuxième temps la philosophie radicale  : au je principiel, sujet, est opposé un objet. Soit pas de S sans O  ; soit encore  : le couple indissociable SO.

Cet objet (O) représenté dans la conscience peut être de deux natures  :

- produit par l’extérieur (la pomme de notre exemple)  ;

- produit de l’intérieur (la sensation, l’émotion, l’idée, le moi ou le je objectivé par lui-même (me), etc.)

Dans les deux cas, et dans chaque représentation, tout est de toute façon produit par le je.

Dans le premier cas, l’occasion de cette production est extérieure à la conscience (la pomme).

Dans le deuxième cas, l’occasion est intérieure à la conscience.

Mais, au sein même de cette unité, un schisme est effectué qui oppose le je, source radicale (S), et le je objet (O) du je (le moi, comme dans  : je m’interroge).

Dans cette configuration, le sujet S et l’objet O ne font qu’un (je = je) – tout en étant distingués absolument l’un de l’autre (moi = SO  ; je sujet + je objet).

Donc, si nous observons bien, dans les deux cas, notre moi est divisé entre sujet et objet, toujours. Et si, dans le deuxième cas, l’objet est en même temps le sujet, il ne se confond pas totalement avec lui.

Conclusion, que l’objet soit occasionné par un objet matière à l’extérieur de la conscience ou qu’il soit occasionné par le sujet à l’intérieur de la conscience, il est toujours à l’intérieur de la conscience et fait toujours face au je de la conscience.

Donc, pour un objet matériel comme pour un objet intellectuel ou spirituel (pensée, sensation, etc.), le schéma est identique.

Donc, dans la conscience, la matière et l’esprit sont de même nature  ! De la nature du sens produit par le je.

Et comme nous ne pouvons jamais échapper à notre conscience (sauf à disparaître dans l’inconscience, le sommeil, etc.), nous pouvons tout aussi bien dire que, pour nous (et non « en soi »), la matière et l’esprit sont de même nature.

Ce constat que nous sommes rationnellement obligés de faire, constat extraordinaire si on y réfléchit vraiment, entraîne des conséquences très importantes, aussi bien en matière de savoir qu’en terme d’action.

« Je » n’est pas moi

Maintenant, revenons à cette distinction entre le je et le moi. Nous avons vu que le je est cet acte qui fait que je suis conscient de moi, que je peux dire  : je suis, etc. Il est au cœur de mon existence et de ma singularité. C’est grâce à lui que puis penser, aimer, sentir, jouir, pleurer, apprécier le monde, les autres… C’est lui qui me permet de faire des choix, de vivre selon mes aspirations, de construire mon projet personnel.

Bref, c’est – après le simple fait d’habiter dans un monde avec mon corps – mon bien le plus précieux  !

Et pourtant, tout en étant le cœur de ma conscience, ce je n’est pas moi.

En effet, il est insaisissable. Il me dépasse sans cesse. Si je tente de le saisir, il me fuit  !

J’ai conscience (1).

Je pense alors à ma conscience d’avoir conscience (2).

Ce je qui fait cette opération (2) n’est déjà plus le même que celui de (1)  : sorti de (1), il est remonté d’un cran pour s’établir en (2).

Et ainsi de suite jusqu’à l’infini si je continue le processus.

Nous l'avons vu plus haut : le je-sujet devient je-objet pour un je-sujet nouvellement apparu et toujours déjà là. Je devient (sic) me (moi) comme dans : je m'interroge.

Conclusion  : je ne peux jamais voir mon je-sujet alors que je suis évidemment obligé de le présupposer en permanence comme lumière de ma conscience  !

D’une certaine façon, il n’est pas vraiment moi, puisqu’il me vient je ne sais d’où et qu’il m’échappe, bien que lui doive tout ce qui fait mon être conscient.

Et si le je m’échappe ainsi, ce n’est pas parce qu’il serait inconscient ni subconscient, ni quoi que soit d’autre, mais c’est parce que le je n’est toujours que ACTE et sujet  ! Avant qu’il apparaisse, et après sa disparition, il n’existe pas, sinon en tant que Je universel, comme nous le verrons plus loin.

Il nous est impossible de lui trouver un antécédent ou une cause, ou quoi que ce soit qui puisse être supposé à son origine. Impossible, non pas parce que notre connaissance du je (ou de la conscience, le je étant la conscience en tant qu’elle est liée à notre corps, la conscience étant la lumière projetée par le je) non parce que cette conscience serait encore trop parcellaire, mais parce que, essentiellement, par définition même, la conscience ne peut être expliquée, ÉTANT CE QUI EXPLIQUE.

C’est pourquoi donner une origine matérielle à la conscience est absurde.

Le « je » est inattaquable

Le je est l’acte qui fait émerger le sens que le moi accueille en lui. Il est la lumière qui éclaire tout, chaque « chose » à l’intérieur comme à l’extérieur du moi. Inexpliqué par la science, le je est ce qui la permet, l’élabore, la conçoit, l'explique.

Pratiquement toujours confondu avec le moi qui est, lui, multiplement déterminé, le est totalement libre, ce qui lui permet de construire originairement le « destin » de la personne qui l’héberge.

La bonne nouvelle, c’est donc que le je est ouverture illimitée sur l’esprit par l'esprit. Rien ne le détermine, étant préalable à toute perception, étant lui-même sans préalable. Il est intouchable de l’extérieur puisque nul ne peut le voir ni le saisir. Il est même intouchable de l’intérieur puisqu’il ne peut pas être « objet ».

De l’intérieur, le seul pouvoir sur lui est lui-même. La seule chose qu’il puisse faire par rapport à lui est de s’orienter lui-même à sa guise, d’éclairer tel ou tel aspect de son choix. C’est lui qui conduit, toujours.

De même, aucun objet extérieur à lui ne peut l’atteindre puisque, de nature immatérielle, il ne réside que dans l’esprit. Il est donc en quelque sorte « protégé » de toute agression quelle qu’elle soit, qu’elle soit physique, intellectuelle ou morale. Il ne souffre pas et rayonne sans cesse. Il ne peut être « capté » ni assujetti par autrui.

Si l’on m’a bien suivi jusqu’ici, on aura compris que je parle bien ici du je et non du moi. Le moi, lui, est sujet aux agressions, il peut être atteint de mille façons.

« Je » désigne ce miracle de la conscience qui se sait elle-même, que la science n’explique pas. Le « je », c’est cette instance éclairante décisionnelle unique dont est dotée la seule personne humaine. C’est ce qui fait sa liberté, sa dignité, sa responsabilité. Comme nul autre être sur cette Terre.

Mais le « je » n’est pas le « moi » (l’ego). Il est en amont du moi, l’habite et l’irrigue, mais se distingue de lui car il est, pour le moi, source d’apparition de toute perception et de toute signification.

« Un en tous  ; tous en un »

Le moi, c’est tout ce dont j’ai conscience d’être et de sentir  : mon hérédité, mon caractère, mon tempérament, mes qualités et mes défauts, mes émotions, mes souffrances, mes intentions, mes valeurs, mes désirs et mes peurs, mes croyances et mon savoir, etc. Généralement, dans l’attitude naturelle, non philosophique, c’est avec mon moi que je m’identifie  : c’est aussi bien mon corps que les sensations qu’il me permet de ressentir.

Le moi, c’est à la fois ma conscience et ce dont j’ai conscience. Mais ma conscience précède mon moi (sans elle, je suis un légume, une marionnette). Il en est sa condition d’existence. Il est, non pas libre (ce qu'il supposerait qu'il soit "quelque" chose qui posséderait la qualité d'être libre), mais liberté, acte sans antécédent ni contrainte. Ne peuvent s’en convaincre que ceux qui, par une voie ou une autre, ont fait l’expérience de l’intuition intellectuelle évoquée plus haut.

Baruch Spinoza (1632-1677).

La plupart des philosophes et des inspirés ont pressenti que l’ego pouvait être un obstacle au bonheur. Certains, par ignorance, ont cherché à le mépriser, à le brider, voire à l’annihiler, ne faisant par là que le renforcer. D’autres (comme Spinoza) l’ont identifié au grand « Je » universel (Dieu, l’Esprit…), se fondant en lui, mais perdant ainsi l’occasion de s’accomplir en s’individualisant.

En fait, l’ego est un trésor s’il est reconnu comme le substrat indispensable et précieux permettant mes libres choix et, par suite, mon accomplissement. Si mes choix sont des choix de vie, c’est-à-dire s’ils sont guidés, non par le seul moi, mais par le « je » universel, par le « nous », ils font du monde morcelé, étranger et antagoniste une sphère unifiée et réconciliatrice.

Le « moi » sépare, le « je » unit. Le moi (l’ego) nous distingue les uns des autres (« je ne suis pas toi et réciproquement »)  ; le je, émanation du Je, nous rassemble dans une seule et même réalité  : « un en tous  ; tous en un ». Du moins si nous avons réunir je et moi dans un même projet de vie.

> Philosophie radicale (1) : Introduction à la philosophie radicale, qui montre la liberté de l’esprit

> Philosophie radicale (3)  : Dans l’ego, le je et le moi, deux composants à comprendre et réconcilier

 

Liberté et déterminisme – La thèse féconde et méconnue d’un grand philosophe allemand : Fichte

L’Univers a-t-il un sens ? Philosophiquement, la réponse est attendue par chacun de nous. Mais que peut-on en dire de façon générale ? Sommes-nous libres ou entièrement déterminés ? Fichte affirmait que la liberté humaine est totale car elle précède tout objet de notre conscience. Mais la démonstration ne peut en être faite que par une démarche individuelle.

Broken off part in a chain

Sommes -nous déterminés (chaîne) ou libres (lumière) ? Ou les deux à la fois ?

Dans le monde occidental, un consensus tacite relègue ces interrogations, surtout la première, dans la sphère philosophique ou religieuse. Donc, dans l’ordre du privé.

Dans le domaine de la science, tout se passe comme si l’Univers n’avait pas de sens précis. L’équation unique d’où découlerait toute notre connaissance du monde n’a pas été trouvée et continue d’être espérée sinon promise.

En attendant, cette connaissance est morcelée en lois et disciplines sans lien entre elles.

Cette situation a une conséquence pratique très importante : l’esprit est considéré comme une simple émanation de la matière. Un sous-produit, en quelque sorte. Et la conscience devient « un objet scientifique comme un autre ».

C’est la thèse réaliste.

Hasard et nécessité

Né du « hasard et de la nécessité » (Jacques Monod) l’esprit n’a pas véritablement de sens, sinon celui d’être une faculté psychotechnique d’assemblage de pensées et des connaissances.

hasardDu coup, pour le matérialisme, seul a droit de cité, en matière de savoir, ce qui est « objectif », c’est-à-dire, selon lui, ce qui est expérimentable ou mesurable. Il est devenu la « religion » de la plupart des scientifiques et des sociétés comme la nôtre, dans lesquelles les sciences ont conquis une place centrale et motrice.

Conséquence plus ou moins directe : la Terre n’est plus qu’une boule sans âme composée d’objets divers et variés qu’on peut exploiter. Et si l’homme a un « statut » particulier, ce n’est pas par sa « nature » particulière (il n’a que des différences de « degré » par rapport à l’animal), mais parce qu’il faut bien établir des règles pour vivre ensemble.

La logique du réalisme conduit au matérialisme, au déterminisme, voire au fatalisme. Pour lui, la liberté humaine est une illusion : tout acte humain est la conséquence obligée de causes « extérieures à l’esprit » plus ou moins perceptibles.

La matière n’est qu’illusion

A l’inverse se place la thèse idéaliste pour qui c’est la matière qui est issue de l’Esprit, c’est Dieu qui a engendré l’Univers. La matière n’est qu’illusion, seul compte l’Un éternel dans lequel chacun est invité à fondre son ego pour connaître la félicité.

La conséquence, selon cette position idéologique, est parfois la superstition, la paresse intellectuelle avec un mépris pour les sciences dites (ou prétendues) exactes et un désintéressement des mécanismes et des lois de la matière, un délaissement excessif de leur maîtrise, une part trop grande laissée aux puissants, une culpabilisation due à l’idée que le mal subi procède d’un manque de foi ou de communion avec la toute puissance divine, un attachement à UNE révélation en conflit avec les autres, une exaltation illuministe (que Kant nomme Schwärmerei), voire un délire mystique, etc.

Pour l’idéaliste, ce qui compte, c’est la valeur morale, c’est le Bien, identifié à Dieu (ou à la religion, ce qui n’est pas tout à fait la même chose). Dieu est le centre de tout et doit être « servi », « adoré », etc.

Les thèses sont irréconciliables. Là se situe l’écueil sur lequel bute tant le réaliste que l’idéaliste : ils sont obligés de cohabiter alors que leurs conceptions du monde sont incompatibles. Or, elles sont incapables de se réfuter l’une l’autre.

D’ailleurs, aujourd’hui encore, personne, aucun scientifique n’est en mesure d’expliquer comment fonctionne le lien entre le corps et l’esprit. Entre ces deux mondes, il n’est aucun pont.

L’esprit est premier

Pour trancher, on ne peut se baser sur aucune observation objective  : il faut choisir entre réalisme et idéalisme. Ou se bricoler une synthèse plus ou moins bancale entre les deux. C’est une question par essence idéologique.

D’où la primeur que nous devons nécessairement accorder à la pensée, mais en disant immédiatement, en même temps, que la pensée contient en elle-même un principe de limitation par la matière.

Mais de limitation seulement, pas de dépendance ! Cette précision est capitale.

Pour le dire autrement, l’esprit de l’homme est premier, spéculativement parlant. Il est liberté absolue, inconditionnée, comme l’est l’Esprit dont il est consubstantiel.

Et il est mis constamment au défi de cette liberté par la matière (le corps, la nature, l’Univers, les autres).

Le moi humain (« l’âme »), qui est essentiellement volonté, fait ainsi le pont entre liberté et déterminisme, entre idéalisme et réalisme. A charge pour lui de faire coïncider les deux par ses choix (moraux et cognitifs).

Cette thèse est celle d’un philosophe mal connu mais qui a fasciné beaucoup de ceux qui ont voulu pénétrer dans son « savoir du savoir ».

Doctrine de la science

sartre1Durant l’adolescence, j’ai été attiré par la conception de la liberté développée par Jean-Paul Sartre.

Avec sa fameuse formulation « l’existence précède l’essence », il affirmait la totale liberté de l’homme et, par voie de conséquence, sa responsabilité. Quels que soient les paramètres qui s’imposent à nous, c’est ce que nous choisissons librement d’en penser, et d’en faire surtout, qui nous définit.

L’homme se crée par ses actes.

Mais Sartre était athée, du moins jusqu'à quelques jours avant sa mort. En effet, pour lui, comment concilier son idée de la liberté avec celle de l’existence d’un Dieu ? J’ai voulu creuser sa pensée pour mieux la cerner, ce qui m’a conduit de fil en aiguille à étudier un long cortège de philosophes.

Johann_Gottlieb_Fichte

Johann_Gottlieb_Fichte. Source : wikipédia.

Ceux qui m’ont le plus marqué, qui ne tiraient pas tous dans le même sens d’ailleurs, furent, après les grands penseurs grecs survolés rapidement, Husserl, Berkeley, Nicolas de Cues, Maître Eckhart, Descartes, Vico, Leibniz, Spinoza, Kant, Pascal, Rousseau, Voltaire, Hegel, Nietzsche, Bergson, Bachelard, Popper, Arendt, Feyerabend, Prigogine et notre contemporain Bernard d’Espagnat.

Et, pour moi surnageant par son originalité et sa profondeur au milieu de tous, Fichte (1762-1814), avec sa fameuse Doctrine de la science, réflexion sur le savoir du savoir, qu’il a exposée en une douzaine d’ouvrages différents !

Premier principe

Fichte BNF

L'ouvrage est en libre consultation sur le site de la BNF. Attention, il faut s'accrocher pour entrer dans la philosophie du Messie de la raison...

Je ne vais pas développer la pensée de ce philosophe singulier et méconnu, surtout trop peu étudié à la façon dont il l’avait recommandée, c’est-à-dire en expérimentant sur soi-même la démarche qu’il proposait.

Je dirais simplement qu’il pensait avoir trouvé un premier principe absolument vrai et « inconditionné » permettant de comprendre et de déduire toutes les connaissances de toutes les sciences.

Une base pour garantir l’accès au savoir de tous les savoirs. Et qui propose une cohabitation, au plan spéculatif, du réalisme et de l’idéalisme.

Sa découverte est un approfondissement du « cogito ergo sum » cartésien et une justification du criticisme[1] de Kant, philosophe qu’il admirait.

Le premier principe de tout savoir humain n’est pas un être, ni un objet, c’est un acte, un pur acte d’intention et de vision spirituelle. Cette vision n’est pas objectivable, pas plus que l’œil ne peut voir son voir.

Invisible immédiatement à l’esprit, elle ne peut être que déduite, après investigation intellectuelle donc. Mais une fois vue ainsi, elle est évidemment vraie et certaine. C’est cet acte qui fait « le fondement de toute conscience et seul la rend possible »[2].

Sujet et objet à la fois

Ce principe est, pour nous, absolument premier. Avant même la matière car, sans lui, sans pensée, ce serait un non-sens de parler de quelque matière que ce soit…

Derrière ce principe, on ne peut rien apercevoir (avant la conscience, il n’y a rien dont on puisse parler[3]). Fichte part de ce constat, qu’il qualifie d’absolu : « Tout être présuppose une pensée ou une conscience de lui-même ».

Plusieurs conséquences majeures découlent de cette affirmation apparemment banale : la lumière de l’esprit est première en tout ; tout « moi » est à la fois sujet et objet  ; il n’y a pas d’objectivité totale possible ni dans la vie courante ni même dans aucune science ; le un et le divers sont toujours liés, etc.

Ce trait de génie a inspiré de nombreux successeurs de Fichte[4], dont Hegel avec son célèbre « Tout ce qui est réel est rationnel ; tout ce qui est rationnel est réel ».

L’intuition intellectuelle

Les innombrables ouvrages dans lesquels l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit déploie sa dialectique spéculative peuvent, d’une certaine façon, être considérés comme un développement de « l’intuition intellectuelle » du premier principe de Fichte.

Démontant le scepticisme, renvoyant dos à dos réalisme et idéalisme, ou plutôt les faisant cohabiter, Fichte me paraît déjà annoncer certains aspects de la physique quantique en tranchant la question de savoir si la réalité est dans les choses ou dans nos représentations : toujours dans les deux en même temps !

Avec ce magnifique corollaire : l’homme est à la fois libre et déterminé, mais c’est son vouloir, son action, qui tranchent et font le vrai. Et c’est la liberté de l’esprit humain qui est la raison d’être de l’Univers. Du coup, l’univers, et avec lui la matière, n’est pas fait pour être connu absolument. Les sciences particulières ne peuvent être le but suprême de l’homme. Le monde peut (et doit) être exploré, investigué le plus possible, mais sa fonction essentielle est d’ordre moral : elle est d’accueillir la liberté humaine qui en est co-créatrice.

Le savoir, oui, mais un savoir qui se prolonge en action en cohérence avec lui-même.

L’Univers a, ainsi, à la fois un sens et pas de sens. Il n’a pas UN sens qui s’impose à nos perceptions, mais il en a un que notre liberté peut se choisir : celui de nous épanouir, par nos actes, en être d’amour (fraternité) et de lumière (connaissance). Alors, l’Univers entier concourt à notre élan.

C’est notre volonté qui est faite sur la Terre

Dans une certaine mesure, « tout se qui se produit dans ce monde sert à l’amendement et à la formation des hommes et, ainsi, à l’accomplissement de leur but terrestre »[5]. C’est donc, non pas la volonté de Dieu qui est faite sur la terre, puisque nous sommes libres, mais la nôtre. Mais elle opère dans le cadre des lois universelles.

A nous de faire l’usage de la liberté soit en nous perdant dans l’infinie diversité de la matière (les sciences particulières, la vie commune, la position réaliste), soit en nous haussant jusqu’à l’universel (la connaissance de l’Esprit qui intègre la matière ; la position réaliste fécondée par la position idéaliste). En devenant co-créateur de soi à l’image du Verbe, terme que Fichte utilise dans plusieurs de ses thèses.

Nous sommes actes créateurs en continu et nous avons selon notre savoir et notre foi.

Fichte eut de gros ennuis professionnels et politiques en raison de ses idées[6]. Se disant « prêtre de la vérité » et surnommé ironiquement le « Messie de la Raison pure », il fut accusé d’athéisme.

Le moi semblable à l’auto-énonciation de Dieu

Bien que croyant, il s’attachait à ne parler philosophiquement que de ce qui était rationnellement admissible. Il ne pouvait donc pas penser Dieu comme une essence absolue, existant comme une chose concrète quelque part hors de nous, puisque nous ne pouvons observer, par définition, ce qui nous est transcendant.

En revanche, nous pouvons l’expérimenter en nous, par l’intuition intellectuelle et le sentiment « moral ».

Pour lui, le pur[7] « je suis » qui habite la conscience humaine et qui est accessible seulement par « l’intuition intellectuelle », en faisant abstraction de tout ce qui nous est « objectif », est infiniment libre. Il est semblable à l’auto-énonciation de Dieu.

Le reconnaître, et agir en conséquence, conduit à la béatitude et prépare l’avènement de « l’Age de l’Esprit ».

Cette vision n’a plu du tout aux autorités religieuses de l’époque et à pas mal de ses confrères. Elle ne plairait pas plus aujourd’hui ni aux représentants des religions et des sciences, ni aux pouvoirs publics…

Elle mérite pourtant d’être étudiée, approfondie et adaptée aux connaissances modernes. J’aimerais pouvoir un jour y consacrer un livre entier tant cette vision est pénétrante et exaltante.

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[1]. Criticisme : théorie définissant les conditions de la rationalité et la limitant au domaine du sensible. Le métaphysique, l’invisible sont, eux, du ressort de la liberté et de la foi.

[2]. J. G. Fichte, Doctrine de la science, 1794, Paris, Vrin, 1999.

[3] Fichte parle ici philosophiquement et non psychologiquement. Ainsi les notions d’inconscient, de préconscient, etc., qui peuvent intervenir après l’intuition intellectuelle et sont conditionnées par elle, n’entrent pas en ligne de compte.

[4]. Notamment Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie.

[5]. Fichte, La Destination de l’homme, Flammarion, Paris, 1995.

[6] Et certaines considérations politiques, sorties de leur contexte théorique, ont créé la polémique comme possible inspiration pour le régime du IIIe Reich.

[7]. « Pur » : l’acte seul de voir, la pure lumière qui permet la conscience, abstraction faite de tout objet de cette conscience.