De 2002, date de sa création, à 2014, la Miviludes a ignoré les loups, issus de sectes ouvertement meurtrières, qui s’installent sur son territoire. Elle a préféré pourchasser les mouches pacifiques des minorités spirituelles et des alter-médecines. Résultat : un contresens mortifère et qui, malheureusement, perdure.
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Durement touchée par les attentats depuis janvier 2015, la France est le pays européen qui déplore le plus de morts lors d’attaques terroristes depuis 2004. Et le nombre de ces attaques ne cesse d'augmenter : Charlie Hebdo, Hyper Cacher, Paris, Saint-Denis, Saint-Quentin-Falavier, Magnanville, Nice, Saint-Étienne-du-Rouvray et plusieurs tentatives heureusement déjouées ou avortées...
Étrangement, la France est en même temps le pays qui dit être le plus acharné contre les « dérives sectaires ». Elle se dit « en pointe » dans ce domaine, grâce à l’imposant arsenal législatif, judiciaire et policier qu’elle a mis en place ces dernières années : Miviludes (lutte contre les dérives sectaires) dont le salaire du président a été multiplié par deux, Caimades (police spécialisée antisecte), loi About-Picard (loi punissant les « dérives sectaires »), associations antisectes financées par l’Etat (Unadfi, CCMM, Gemppi, etc.), innombrables campagnes d’alerte, millions d’euros dépensés chaque année…
Le problème – et il est de taille – est qu’elle s’est toujours acharnée contre des individus et des mouvements pacifiques en ignorant en même temps totalement les membres de groupes dangereux revendiquant ouvertement leur volonté de tuer.
Cécité face aux vraies menaces
La question de la création d’outils de prévention et de lutte contre la radicalisation islamiste a été extrêmement tardive. Elle n’a commencé à être prise en compte par la Miviludes qu’en 2014, elle qui existe depuis 2002. Ce n’est que depuis cette année-là, soit plus de 30 ans après les premières alertes sur les dérives sectaires islamistes !, que la Miviludes « travaille » sur « la détection et la prévention des comportements radicaux » islamistes.
Il est vrai que cette instance interministérielle n’a pas été aidée par l'Etat qui, tous gouvernements confondus[1], a été tout aussi aveugle et de parti pris : « Depuis les années 80, déplore dans le Figaro en mai 2015 Jeannette Bougrab, universitaire française devenue maître des requêtes au Conseil d'État, la France sous-estime la montée et la radicalisation de l’islam. (...) Les élites ont préféré se couvrir les yeux plutôt que de prendre la mesure des conséquences désastreuses de l’abandon de notre modèle républicain. J’ai tenté d'alerter à travers des écrits et des conférences sur la gravité du phénomène de radicalisation de jeunes musulmans, pour certains récemment convertis. Mais on a parfois la terrible impression que les gens s’habituent aux violations des droits les plus fondamentaux. »
Cette cécité totale face aux vraies menaces a été en revanche doublée d’une psychose paranoïaque face aux mouvements spirituels minoritaires (autres qu’islamistes) et aux médecines douces, et d’un acharnement sans faille depuis vingt ans à leur égard.
Dès 2005, les RG alertent sur la menace islamiste
Exemple frappant, en février 2005, un article du Monde rapporte la teneur d’un rapport sur le mouvement salafiste en France qui a été remis au ministre de l'intérieur par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) : « Le terreau est favorable, la plante grandit et ses racines ne sont pas compatibles avec celles de la République. (…) [Le texte] dresse une cartographie de ses zones d’influence actuelles. Il aborde également ses modes d’action dans les quartiers sensibles, où il compte la plupart de ses militants et sympathisants, soit plus de 5 000 personnes au total, dont environ 500 constituent le noyau dur.
» Selon les RG, les salafistes contrôlent actuellement [en 2005] une quarantaine de lieux de culte sur l’ensemble du territoire et mènent des tentatives de déstabilisation dans une quarantaine d’autres, afin d’y prendre le pouvoir.
Dans un article de La Croix du 19 mars 2017, Didier Leschi, ancien chef du bureau des cultes au ministère de l’intérieur évoque le moment d'anthologie où il a tenu tête, s'appuyant sur des "faits et non sur des rumeurs", à Georges Fenech, alors président de la Miviludes. Lors de cette audition, il avait ajouté, concernant l'islam en France : « Ces dérives liées à l’Islam, cette attention, nous voudrions la faire partager à la fois par la Miviludes et par les associations de défense des victimes, or force est de constater que ce segment des dérives sectaires suscite peu l’attention, manifestement, les familles de ces jeunes n’intéressent pas, pas plus que les victimes».
» L'étude de la DCRG montre que le salafisme, mouvance éclatée en perpétuelle évolution, a étendu son influence ces dernières années sur la quasi-totalité du territoire. En 2000, cette conception radicale de l’islam rassemblait des adeptes dans six régions ; aujourd'hui quatre seulement sont épargnées (la Basse-Normandie, la Corse, le Limousin, Poitou-Charentes). Pour les policiers des RG, le salafisme est l’antichambre privilégiée des jeunes islamistes qui épousent ensuite l'action violente ».
Cette même année, à la suite des attentats de Londres, la France avait relevé le niveau d’alerte du plan Vigipirate. Les renseignements généraux surveillaient très attentivement une quinzaine de petits groupes de radicaux islamistes sur le territoire. Il s’agissait d’individus, près de 150 au total, ayant un engagement religieux extrémiste et des « velléités d'action délictueuses », selon l’expression d’un responsable policier.
La Miviludes muette sur la menace djihadiste
Ces dérives sectaires-là, qui auraient dû théoriquement entrer en urgence en tête de ses préoccupations si l’on en croit les objectifs qui lui ont été assignés, la Miviludes les ignore, alors même que la dangerosité de ces personnes est avérée et que le caractère « sectaire » de la déviance est manifeste [2].
Dans le Journal Officiel du 29 novembre 2002.
Non, cette année-là, elle publie un rapport qui ne dit pas un mot sur les risques islamistes et se concentre sur un prétendu "fléau social" : « À l’écoute des victimes et de leurs familles, la Miviludes dresse aujourd’hui un constat inquiétant des dommages provoqués par l’emprise exercée par des personnes ou des organisations se conduisant en maîtres à penser. De telles dérives se produisent dans tous les secteurs de la vie sociale, soins et santé, formation continue et soutien scolaire, sports et activités culturelles, groupes ésotériques ou mystiques. Elle relève que de nouveaux organismes apparaissent presque chaque jour, sans qu’aucun point du territoire ne soit épargné, ces micro-structures étant souvent beaucoup plus difficiles à cerner que les grandes organisations bien connues ».
Le danger, dans ce domaine, n’est pas apparent, mais la Miviludes se dit experte pour démasquer les escrocs : « Dans le registre de la séduction, écrit-elle dans son rapport, certaines organisations sectaires prônent, par exemple, la lutte contre la toxicomanie, le refus de la violence ou la défense des droits de l’enfant. Avant d’exercer la moindre critique à l’encontre de la générosité ainsi affichée, l’État va devoir apporter la preuve que ce beau langage est un leurre et qu’il dissimule une volonté de prosélytisme et de mise en situation de dépendance ou d’emprise mentale ».
Pour la France, les « sectes » sont plus une menace que les islamistes
Georges Fenech (à g.) et Serge Blisko, l'ancien et le nouveau président de la Miviludes.
Éprouvant d'énormes difficultés à administrer cette preuve, la Miviludes va, quelques années plus tard, imaginer un autre moyen pour convaincre les Français que lutter contre les minorités spirituelles et les thérapies non conventionnelles (médecines douces), qualifiés de « dérives sectaires » pour la cause, est autrement plus important urgent que d’œuvrer à stopper le virus djihadiste.
Elle va commander elle-même à Ipsos un sondage qui va aboutir, en 2010, à des résultats qu’aucun journaliste, d'ailleurs, n’a eu l’idée d'approfondir : les sectes (il n’était pas question des sectes islamistes) constituent une menace « importante » pour la démocratie selon 66 % des Français. 42 % d'entre eux les perçoivent comme une « menace pour leur entourage familial et amical ».
Et, plus extravagant encore, 20 % des personnes interrogées connaissent dans leur entourage une ou plusieurs « victimes de dérives sectaires » : soit un Français sur cinq ! De quoi, si cela était vrai, déclencher une mobilisation nationale immédiate, ainsi qu'un plan massif de protection. Il n'en a rien été.
En fait, ce sondage, largement répercuté sans esprit critique par la presse, ne repose sur rien d’objectif ni de factuel : il peut être analysé, tout au plus, comme le fruit réussi de la propagande antisecte de l’État.
Les « gourous » ne posent pas de bombes
La liste des mouvements et personnes injustement discriminés par la Miviludes est trop longue pour être rapportée ici. Les personnes intéressées peuvent consulter ses rapports annuels et les documents thématiques qui fourmillent d’accusations sans preuve et de dénonciations calomnieuses.
Ou voir ici pour la seule question des médecines non conventionnelles.
Les groupes et les personnes visées, qualifiées d’escrocs ou de « gourous », par la Miviludes ont parfois tenté de se défendre devant la justice. Mais, attaqués également par les médias et jugés par des magistrats formés dans ce domaine par la Miviludes et des associations comme l’Unadfi, ils avaient peu de chances d’être entendus. Comme ils n’ont pas posé de bombe ni assassiné personne, la moderne inquisition d’État a pu continuer tranquillement à les ignorer avec le soutien exprès des grands médias et d'un grand public complètement manipulé.
Le pouvoir exécutif, engagé sur une mauvaise conception de la « dérive sectaire », est impuissant à comprendre, encore moins à résorber, la vraie menace des vrais adversaires de la République que sont les djihadistes, qui ne s’embarrassent pas des subtilités du « débat démocratique ».
Les « gourous », eux, ne posent pas de bombes. Mais c’est ceux-là que la Miviludes pourchasse effectivement.
> Bref, si je devais résumer mon sentiment, l'aveuglement de la Miviludes, sa polarisation sur des mouvements qui s’écartent de la doxa laïque et scientiste, l'ont empêchée de voir les vrais dangers. Mais il y eut aussi la peur de s'attaquer au dossier chaud, politiquement parlant, des différentes mouvances musulmanes en France. Il y a peu de risque à taper sur des personnes ou des groupes pacifiques et qui ne peuvent guère se défendre. En ce cas, la République est "en pointe". Quand il s'agit de s'attaquer aux groupes et aux discours de haine qui appellent à la destruction du pays, on est moins vaillant... Combien de morts et de blessés faudra-t-il encore pour que la France se réveille et modifie enfin son attitude ?
[1] Il y eut bien quelques exceptions, mais, comme souvent, elles n’ont pas été entendues. Ainsi, le député Benoît Hamon avait trouvé dommage que sur un sujet aussi sérieux que la burqa dans la République, on ne parle pas des mouvements qui inspirent ce type de militantisme radical religieux « notamment les mouvements salafistes » (le Figaro du 24 janvier 2010). Il avait ajouté que « si le gouvernement veut aller au bout, qu’il inscrive les salafistes au registre des sectes et des mouvements sectaires ». Mais on aurait alors risqué de mécontenter les « bons » musulmans et de dépasser les limites de l’État de droit. Pourtant, en 1995, les députés n’avaient pas hésité à sortir de l’État de droit en publiant, sans enquête ni débat, une liste de 175 mouvements supposés sectaires. Et il n'y avait dans cette liste ni l'Ordre du temple solaire, ni les groupes islamistes. De même, la Miviludes ne s'est jamais gênée pour établir – sans procédure scientifique ni contradictoire, bafouant sans crainte d'être réprimandée la présomption d'innocence envers les praticiens concernés – des listes des médecines douces présentées comme "à risque sectaire" (voir plus loin).
[2] Il faudrait réserver le mot « sectaire » aux mouvements qui, comme Daech ou Boko Haram, revendiquent ouvertement leurs crimes (viols, assassinats, attentats, etc.) au nom d’une idéologie à consonance religieuse ou politique.
> Voir aussi :
- Attentats, Nouvel Age.- Lutte contre toutes les « sectes » : les raisons d’un fiasco par Débredinoire.
- Analyse : Djihadisme et "dérives sectaires", par Jean-François Mayer, historien, fondateur de Religioscope.