Le seul moyen de surpasser le fanatisme mortifère est d’encourager partout l’enthousiasme pour le bien et la fraternité.
Par Julien Massenet
On veut trop souvent atteindre un but extérieur à soi : réaliser la société idéale ; éradiquer la pauvreté ; faire la paix entre ennemis ; imposer son idéologie ou sa religion, etc. Penser ainsi, c’est rêver. En effet, ce n’est pas le choix d’un système d’organisation des hommes qui réussira un jour à les rassembler. La condition pour l’avènement d’une société harmonieuse est que chacun comprenne que son véritable intérêt est d’optimiser personnellement ses chances de bonheur.
S’il réfléchit un tant soit peu, il s’aperçoit vite qu’il n’existe pas de bonheur seulement personnel. Que son bonheur n’est possible que si celui de tout autre est assuré. De la même façon que l’on n’est pas en sécurité si son voisin ne l’est pas. Car nous sommes tous liés les uns aux autres, quelles que soient les apparences ou les frontières qui nous séparent.
Dans les sociétés démocratiques, on prétend servir les valeurs humaines. Si, dans ces sociétés, chacun de nous agissons pour notre bonheur comme pour celui de tous, sachant que notre voisin fait de même ; si nous ne cherchons plus à le dénigrer ni à profiter de toute occasion pour nous enrichir indûment ou nous octroyer des pouvoirs sur autrui ; si chacun est heureux et fier d’œuvrer dans et pour le bien* pour le seul plaisir de le faire, et pour l’égalité et la fraternité, une force nouvelle et considérable nous animera tous, ouvrant un espace inouï sur nos rêves les plus merveilleux.
Tant que nous ne pouvons pas présenter un tel enthousiasme pour vivre ainsi, les fanatiques destructeurs seront plus forts. Car eux sont animés par des idées qui dépassent leur propre existence. Nous contenter d’opposer notre « laïcité » aux manifestations virulentes d’appartenance religieuse est dérisoire : c’est un outil « technique », un mode de relations sociales, bien impropre à soulever l’enthousiasme. Il manque de positivité ! C’est une règle de conduite, pas une perspective de joie à nous découvrir les uns les autres.
Pourquoi mettre le bien en avant ? Parce que la deuxième force des fanatismes (après celle de la transcendance) est leur habile exploitation des compromissions, de la cupidité et de la corruption qui minent nos sociétés dites « libres ». Leur puissance repose beaucoup sur le fait qu’ils servent aussi les intérêts de gouvernements, de compagnies et d’individus sans morale.
N’attendons pas que le monde change ! Commençons par réformer notre existence en privilégiant tout ce qui nous rapproche les uns des autres, tout ce qui nous unit, tout ce qui favorise la multiplication de la vie.
Il faut engager au plus vite une éducation au bonheur, à la joie de se perfectionner, au plaisir de se découvrir les uns les autres. Il faut apprendre à tous, aux grands comme aux petits, à faire confiance aux forces de l’Esprit et du cœur. A aimer faire coïncider les paroles et les actes. C’est alors, et alors seulement, que l’amour sera fort (sinon, il se cantonnera aux rêves des bisounours), car il pourra compter sur l’appétit de tous pour se relayer au sein des communautés humaines. Il révélera les richesses incommensurables que renferme chaque cœur humain quand il lui est donné l’occasion de s’ouvrir.
De telles perspectives sont plus enthousiasmantes que celles des fanatismes destructeurs dont l’attrait sur la jeunesse idéaliste s’assèchera d’autant. Mais, pour se concrétiser, ces perspectives demandent une flamme, une passion que la laïcité ou la tolérance ne peuvent seuls susciter.
* Le bien : tout ce qui favorise l’épanouissement de l’homme libre, fraternel et responsable.