Scientifiquement, on ne sait pas si l’esprit est une production de la matière ou l’inverse


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Les matérialistes, les darwinismes intégristes et les scientistes, nombreux dans la société française, clament à tous vents que l’esprit n’est qu’une émanation de la matière, de même que l’homme ne serait qu’un produit du hasard et de la nécessité. Qui conteste cette affirmation est qualifié d’illuminé, de mystique, d’irrationnel voire de dangereux charlatan. Or, cette affirmation constitue un énorme abus qui ne peut que nuire au rayonnement de la science et à la qualité du débat démocratique.

 

C’est devenu un fait qu’aujourd’hui, dans notre pays, penser et soutenir que l’homme, comme l’Univers, pourraient avoir une origine divine, c’est prendre le risque de passer pour quelqu’un qui ne pense pas, qui demeure dans le pays du rêve et qui refuse de tenir compte des faits dits scientifiques.

 

Or c’est bien plutôt le contraire qui est vrai  : bannir l’hypothèse théologique, sous prétexte de non-scientificité, c’est une faute manifeste de la pensée, un véritable hold-up conceptuel.

 

En effet, la seule affirmation possible, s’il faut pouvoir affirmer quelque chose, au vu de nos connaissances, c’est qu’il est impossible de prouver l’existence ou l’inexistence d’un Créateur. La question de l’origine de l’Univers ainsi que de celle de l’homme ne peuvent pas être tranchées par des constatations empiriques. Ce sont des questions philosophiques et métaphysiques qui ressortissent donc essentiellement de la conviction individuelle.

 

Que la science démontre que l’Univers a plus de 6000 ans d’âge, c’est une chose incontestable ; que cet Univers soit né du seul hasard est un fait impossible à vérifier ou à infirmer  : c’est donc une question non-scientifique.

 

Ainsi, est-il vital de veiller à ce que le choix de croire ou non à l’existence d’un fondement divin à notre monde demeure, y compris dans le domaine scientifique.

 

Pourquoi, puisque c’est une question métaphysique  ?

 

Tout simplement parce que nulle expérience ne peut être menée de façon fructueuse sans une théorie qui la précède et l’oriente. Tout ce qu’on trouve et démontre se fait en relation avec des hypothèses, des croyances, des sentiments ou des perceptions préalables. Prétendre reléguer toute idée préconçue à la porte du labo est un mirage, une espérance naïve.

 

Certes, les procédures et les expériences doivent être rigoureuses et faire au maximum abstraction de toute subjectivité. Mais, comme Claude Bernard l’a bien montré, cette exigence ne concerne que l’étape de la vérification, pas celle de la recherche dans son ensemble.

 

Il faut donc qu’en science comme ailleurs, en politique par exemple, l’hypothèse d’une Force spirituelle puisse être soutenue, sans que cela ne soit considéré comme une position irrationnelle ou une atteinte au principe de la laïcité.

 

Car dire qu’un Dieu est à l’œuvre dans notre monde et en défendre la croyance dans une enceinte politique n’est pas du tout la même chose que de vouloir imposer cette conception à tous (et notamment à ceux qui croient le monde né du seul hasard).  Il n’y a pratiquement qu’en France où le simple exposé public de convictions religieuses ou spirituelles est vu comme un crime de lèse-laïcité.

 

Certes, nombreuses et terribles furent et perdurent  les horreurs commises partout dans le monde au nom même de croyances inhumaines se réclamant pourtant de Dieu.

 

On pourrait objecter que tout aussi nombreuses sont les exactions perpétrées tout à fait laïquement…

En tout état de cause, il me semble plus opérationnel de parler de « transcendance » pour éviter la confusion avec tout corpus de croyances historiquement identifiable.

 

Je revendique le droit d’évoquer la transcendance en matière scientifique ou politique.

 

Pour la première, l’affirmation que le monde a un sens doit pouvoir être exprimée et écoutée tout comme celle qui lui en dénie un. Pour la seconde, la diversité des opinions spirituelles et des conséquences sociétales (mœurs, alimentation, pratiques thérapeutiques, etc…) qui lui sont étroitement liées doit avoir droit de cité, dans la mesure où elle ne porte pas préjudice aux droits de l’homme et de la femme, au lieu d’être, comme aujourd’hui, diabolisées et combattues.

 

Derrière cette revendication repose celle, plus fondamentale, de la reconnaissance d’un nouveau statut de l’esprit.

 

Trop souvent affirmé comme une émanation de la matière, un produit de nos neurones, l’esprit serait un monde flou, sans règle et sans principe, d’où tout et n’importe quoi peut émaner. Insaisissable par nos instruments les plus perfectionnés soient-ils, non mesurable, il échappe aux appréhensions empiriques. D’où la tentation, à laquelle beaucoup cèdent, de le négliger, de l’exclure du champ des paramètres à considérer.

 

C’est le domaine de la subjectivité, de l’homme vulgaire, des émotions, etc., bref, de tout ce qui n’est pas « scientifique ».

 

Or c’est avoir une vue bien étriquée de la science que d’exclure à priori l’élément sans lequel d’abord elle n’existerait pas et, ensuite, à l’épanouissement duquel elle devrait être entièrement vouée : l’homme, la conscience et la sensibilité humaines.  Comme si l’on pouvait séparer de façon étanche la connaissance de l’action…

 

L’hypothèse que l’esprit, avec sa forme sensible la pensée, soit le substrat de l’Univers ne doit plus être rejetée d’un revers de main. Bien au contraire, suite notamment aux révolutions imposées par les découvertes de la physique quantique, plus rien ne s’oppose aujourd’hui, scientifiquement, à considérer le Tout de l’Univers comme une réalité indivisible, et la matière comme une forme condensée et manifeste de cette énergie primordiale et vivante qui tout anime et tout constitue.

 

Le problème à résoudre pour accepter cette proposition est en fait bien plutôt moral que scientifique. Avec essentiellement la question du mal et de la souffrance. En effet, si tout vient d’une énergie créatrice toute-puissante, comment concilier le mal et la souffrance avec l’idée d’une création délibérément voulue avec la multitude d’horreurs qui s’y produisent.

 

C’est justement cette interrogation qui avait conduit Darwin à perdre foi en la religion catholique et à se proclamer agnostique.

 

Cette précision est importante, car elle permet, en conséquence, d’un côté de ne pas tronquer la progression scientifique de différentes voies de recherche, y compris celle d’une raison d’être à cet Univers  ; et d’un autre côté, de resituer la résolution du problème moral par rapport, cette fois-ci, à des principes spirituels et philosophiques.

 

Les deux ayant pour obligation de chercher à s’harmoniser, à constamment  résoudre leurs éventuelles contradictions  : c’est le mouvement fondamental de la dialectique menant à la connaissance et non aux stériles antagonismes irréductibles. La connaissance et la déontologie humaine devant s’efforcer d’avancer de pair.

 

Ce sera la tâche de ce siècle naissant que de parvenir à cette conciliation permettant de réenchanter un présent rendu absurde par crispation, par ignorance et parti pris.

 

Remplaçons ainsi les querelles par les coopérations, la science de plus en plus contestée par une connaissance universellement élaborée et aimée.

 

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