Québec : un grand groupe de presse n´aime pas qu´on le critique


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Quebecor, le plus important groupe de médias au Québec, a décidé de se retirer du Conseil de presse, un organisme d´autorégulation qui donne des avis sur les pratiques médiatiques et journalistiques. Marc-François Bernier, spécialiste de l´éthique journalistique, commente l´événement.

 

 « En se retirant du Conseil de presse du Québec, les journaux de Quebecor brisent un contrat social qui les lie avec leur public et rompent leur promesse de répondre de leurs gestes devant le seul tribunal d’honneur de la presse québécoise », a déclaré le juge à la retraite John Gomery, président du Conseil de presse du Québec, lors d’une conférence de presse le 6 juillet dernier. Il réagissait ainsi à l’annonce du départ des journaux de Quebecor Media du CPQ. En quittant l’organisme québécois d’autoréglementation de la presse, Quebecor soustrait ainsi 60 % du poids média papier à la vigilance du Conseil.

 

Le retrait des journaux de Quebecor du CPQ menace sa crédibilité, son financement, son utilité et même sa survie, a estimé son président. Il craint également les contrecoups de ce divorce unilatéral sur la qualité de l’information et la liberté de la presse au Québec.

 

Le 29 juin dernier, Quebecor a fait parvenir une lettre au Conseil de presse pour annoncer que le Journal de Québec et le Journal de Montréal cessaient d´être membres en raison « d’insatisfactions accumulées ». Le groupe de presse reproche notamment à l’organisme trois décisions récentes défavorables à l’endroit de ces deux titres. Déjà, en 2008, les médias électroniques de Quebecor (TVA, LCN et le Canal Argent) s’étaient retirés de l’organisme.

 


Marc-François Bernier.
Photo : JL ML.

Nous avons demandé à Marc-François Bernier, spécialiste en éthique du journalisme à l’Université d’Ottawa, de commenter cet événement qui agite la sphère médiatique québécoise.

 

« Il y a plusieurs motivations derrière cette décision.

 

1) Il y a d´abord une motivation idéologique, le PDG de Quebecor est un libertarien qui est contre toute régulation, et encore plus si elle menace la prospérité de son entreprise. Sa seule préoccupation, c´est de servir ses actionnaires.

 

2) Il n´a pas confiance au CPQ qu´il croit envahi par des «gauchistes». Il ne veut donc  pas financer un organisme qui peut critiquer l´information de ses médias et encore moins les chroniqueurs qui partagent son point de vue avec une rare unanimité.

 

Du reste, c´est pour faire avaler aux parlementaires québécois sa stratégie de concentration et de convergence des médias qu´il avait accepté de participer au CPQ en 2001... Maintenant, il s´en retire car cela ne lui rapporte rien et il n´a rien à craindre des élus du Québec, pour le moment du moins.

 

3) Il veut limiter le mandat du CPQ à un rôle de tribunal d´honneur sans trop d´envergure, et il ne veut pas qu´il s´engage dans des débats sur la qualité de l´information (la concentration, la convergence, etc.), lesquels ne manqueraient pas de mettre en cause certaines pratiques journalistiques en vigueur chez Quebecor.

 

4) Les tribunaux civils, conformément à la règle de droit liée à la faute civile, s´inspirent de plus en plus des experts, des règles déontologiques et des décisions du CPQ lorsque vient le temps de déterminer s´il y a eu faute professionnelle ouvrant la porte à des dommages (matériels, moraux et exemplaires) qui peuvent atteindre des centaines, voire des millions de dollars. Cela aussi fait partie des raisons pour lesquelles Quebecor se retire et refuse de rendre des comptes.

 

5) On sent, depuis quelques mois, que le CPQ est devenu plus sérieux et rigoureux dans ses décisions et certaines ont blâmé des journalistes de Quebecor. Il n´en fallait pas plus, je crois.

 

Pour ma part, je crois que les conseils de presse, tels qu´ils ont toujours existé, n´ont pas été à la hauteur de leurs prétentions. Ils ne sont pas en mesure de réguler les pratiques, surtout chez ceux qui ne leur reconnaissent aucune légitimité (et qui sont souvent ceux qui devraient s´en inspirer...). Ils ont fait la preuve que l´autorégulation (se donner des règles de conduite) est bien différente de l´autodiscipline (assurer que ces règles soient respectées, avec possibilité de sanctions réelles). De plus, le CPQ a toujours vécu sous la menace de départ des médias qui le financent majoritairement, ce qui n´est rien pour le rendre indépendant et crédible. »

 

Le gouvernement doit-il intervenir  ?

 

"Rien ne me dit que le Gouvernement du Québec va intervenir plus qu´il ne le fait déjà en finançant partiellement le CPQ, mais depuis au moins deux ans je plaide pour la création d´un Tribunal de la déontologie du journalisme (et il se peut qu´on m´écoute un peu plus à ce sujet).

 

Grosso modo, ce tribunal serait gratuit, aurait des pouvoirs de sanction limités (amendes plafonnées à quelques milliers de dollars, recommandation de sanctions à l´entreprise de presse mise en cause, audiences publiques, jugements écrits, jurisprudence rigoureuse, etc.). Ce tribunal de type administratif ne remplacerait pas les tribunaux civils dans les cas de poursuites en diffamation. On y retrouverait des magistrats autonomes et indépendants des médias et des journalistes (ce qui n´est pas le cas avec leurs représentants au CPQ), magistrats nommés selon les mêmes procédures que les autres juges. Ils pourraient être secondés de commissaires qui seraient des journalistes à la retraite ou de spécialistes de certaines questions, reconnus pour leur intégrité, etc.

 

Dans son communiqué de presse, le CPQ continue à faire valoir un argument qui ne trouve plus écho, ou presque, au sein de la profession ; à savoir qu´il faut tenir le gouvernement à l´écart de ces questions professionnelles. Mes enquêtes menées auprès des journalistes du Qc m´indiquent plutôt le contraire. Mais je ne doute pas qu´une telle intervention doive être bien encadrée et se limiter aux pratiques, en fonction des règles déontologiques reconnues par les journalistes, et non intervenir dans le contenu ou inventer arbitrairement de nouvelles obligations.

 

Par ailleurs, le public serait favorable à un tel tribunal, lui qui accorde peu de crédibilité au CPQ, selon un sondage réalisé pour le compte de la CREJ.

 

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