Presse du Bénin : une dommageable confusion des genres


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Comment la presse béninoise concilie-t-elle le traitement de l’information avec la publicité  ? Dans Logique marchande et financement de la presse au Bénin, l’Association de recherches et d’appui aux médias (Aram), sous la direction de François Awoudo, analyse la dommageable confusion des genres entre communication, publicité et information. Au grand préjudice du public.

 

Par Bernado Houenoussi

L’Association de recherches et d’appui aux médias (Aram) a lancé le 15 novembre 2010 à Porto-Novo (Bénin) l’ouvrage Logique marchande et financement de la presse, et ce grâce à un appui financier de l’ambassade des Pays-Bas au Bénin. « L’enjeu économique incontournable » que constitue le financement de la presse, avec en point d’orgue le rôle de la publicité, y est notamment abordé.

 

Le livre s’efforce de décrypter « la gestion de l’information et de la publicité dans les journaux béninois » en s’appuyant sur les cas des journaux La Nation et La Croix du Bénin. La Nation est le quotidien du service public, « où la ligne éditoriale consiste à être au service de toutes les composantes de la nation ». Bien que bénéficiant d’une subvention publique, ce journal déploie les mêmes armes que ses confrères de la presse écrite privée, qui doivent « survivre » pour assurer leur « rentabilité ». Il en découle une « présentation de la publicité déguisée en information », doublée d’une « propagande » servie au public comme une information de premier choix.

 

L´info ne doit pas "ternir l´image" de la structure partenaire

 

Mais en amont, l’augmentation exponentielle du nombre de cabinets et agences de communication a accentué le phénomène. Tout cela étant accompagné par la communication institutionnelle des ministères et autres structures publiques, dont la gestion est souvent confiée à des journalistes qui continuent toujours dans le même temps d’exercer le plus tranquillement du monde dans un journal, à la télévision ou dans une radio.

 

Rien ne s’oppose alors pour qu’on rédige des articles de presse sur la base de « contrats de partenariat » établis avec des structures qui opèrent à Cotonou ou d’autres villes du pays. De surcroît, il est clairement stipulé dans ces clauses contractuelles que «  le journal s’abstient de publier des informations visant à ternir l’image de la structure partenaire ou qui pourrait porter atteinte à sa notoriété. » Les journaux deviennent donc un acteur clé du marketing évènementiel  : ils ne se contentent pas uniquement de rapporter les faits. Ils les grossissent, les « encensent » afin d’agir sur le comportement du lecteur qui est aussi un consommateur.

 

Quant à la propagande, elle montre surtout son côté excessif dans les pages que les journaux consacrent à l’actualité politique. Pour un simple évènement officiel où, dans l’ordre normal des choses, on devrait se contenter d’un simple compte rendu, on loue les « actions » d’une personnalité en forçant le trait d’une façon caricaturale.

 

Les reportages « intéressants » sont ceux qui sont "achetés"


« Le reportage payé », « l’invité payant », « le véhicule passera », voilà autant de termes qui fleurissent depuis plusieurs années dans les rédactions de la presse audiovisuelle au Bénin. Sous le couvert de ces mots, ce sont des réalités bien précises auxquelles il est fait référence. « L’invité payant », consiste, pour toute personne souhaitant intervenir en direct ou en différé dans le journal, de passer par le service commercial de l’organe de presse afin de payer une certaine somme. « Le véhicule passera » indique clairement que le transport des journalistes lors d’un reportage est à la charge de la personne qui est venue solliciter une couverture médiatique. C’est d’ailleurs la toute 1ère condition à remplir, si le reportage doit être fait. Les journalistes sont également « pris en charge ». En contrepartie, l’organisateur de l’évènement a l’assurance qu’on parlera de son évènement dans les journaux parlés ou télévisés. Le « publireportage » a également investi les journaux télévisés, surtout les éditions de 20h. Selon certains, c’est une « information marchandise imposée et vendue aux téléspectateurs ».

 

Ces pratiques, admises dans la corporation, induisent le fait que les rédactions sont très friandes de « l’information institutionnelle ». L’esprit « d’initiative et de créativité » dans ces rédactions est donc endormi au profit de l’idée selon laquelle les reportages « intéressants » sont ceux qui sont "achetés". Un incontestable appauvrissement de l’information en découle, avec une large part réservé aux séminaires et aux ateliers de formation. C’est donc le public qui est lésé, car il ne fait pas la distinction entre la propagande et la publicité et ses attentes sont reléguées au second plan.

 

Une fiscalité peu favorable


A tout cela, il n’est pas vain d’ajouter que les organes de presse béninois doivent faire face à une fiscalité peu favorable, à la faiblesse de la distribution et des ventes et au coût élevé des productions. Autant de difficultés auxquelles le livre propose quelques pistes de solutions.

 

> Pour en savoir plus


Quelques dispositions légales sur la presse au Bénin


Pour créer un journal au Bénin, il faut faire une déclaration au ministère de l’intérieur, à la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) et au parquet. La loi n’exige aucune caution financière, contrairement à la presse audiovisuelle où pour pouvoir installer une télévision par exemple, il faut que ce soit une entreprise de droit béninois, avec un capital de 381.000 €. La presse béninoise jouit d’une certaine liberté depuis le renouveau démocratique intervenu en février 90. Actuellement le paysage médiatique est composé de six chaines de télévisions y compris celle du service public et de 73 radios. En janvier 2011, selon  la Haac, l’organe de régulation des médias au Bénin, 156 journaux dont 98 quotidiens avaient une existence légale. Officiellement, les fonds que ses organes de presse utilisent pour fonctionner proviennent de l’aide annuelle de l’Etat à la presse, de l’abonnement pour les journaux et surtout de la publicité pour l’ensemble de la presse.

 

L’Aram


L’Association de recherches et d’appui aux médias (Aram) a été crée en 2003 au Bénin. Son président François Awoudo fut président de l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique des medias (Odem). L’Aram est composée principalement de journalistes béninois. Ses objectifs  : donner des formations des outils pour renforcer le professionnalisme et l’éthique des journalistes  ; publier des ouvrages sur les réalités de la presse béninoise. Pour François Awoudo, la plupart des ouvrages de journalisme disponible au Bénin ont été écrits par des journalistes occidentaux. Selon lui, ces livres, malgré leur utilité, tiennent plus compte des réalités du milieu dans lequel vivent leurs auteurs. D’autres publications de l’Aram sont également disponibles  : Le guide de journalisme sur les collectivités locales, L’étude du marché de la publicité télévisée au Bénin et L’étude du financement de la presse en Afrique de l’Ouest.

 

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