Outreau : et la presse ?


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Le juge Burgaud est écouté et jugé par ses pairs pour sa gestion très décriée de l’affaire de pédophilie d’Outreau. Les journalistes, s’ils ont exprimé des regrets face aux dérives qu’ils avaient commises alors, n’ont pas assumé plus que cela leur responsabilité. Comme d’habitude. Une attitude suicidaire.

 

Outreau : et la presse ?

Dominique Baudis, président du CSA.

Le juge Fabrice Burgaud comparaît ce lundi 2 février et pour toute la semaine devant le Conseil supérieur de la magistrature. Le CSM doit décider si son instruction très décriée de l´affaire de pédophilie d´Outreau mérite une sanction disciplinaire. Le dossier, qui mettait en cause des notables, a défrayé la chronique avant de virer au fiasco judiciaire après deux procès d´assises en 2004 et 2005 où treize des dix-sept accusés sont acquittés, après parfois trente mois de détention provisoire. Le magistrat comparaît devant ses pairs, au risque d’être immolé comme un bouc émissaire. Ses supérieurs, pourtant informés en continu de son travail, ne sont pas inquiétés.

Et la presse ?

Ne mériterait-elle pas, elle aussi, de passer devant une commission disciplinaire ? Malgré leurs nombreux dérapages dans le traitement de l’affaire, les journalistes et leurs employeurs peuvent dormir tranquilles. Une telle commission n’existe pas pour la presse écrite. Les dérives médiatiques, pourtant monnaie courante, ne sont pas l’objet de sanctions disciplinaires par les représentants de la profession. Ceux-ci n’ont jamais voulu organiser une telle veille de l’exercice de leur responsabilité, prétextant des risques d’atteinte à leur liberté d’expression.

Quant au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), il s’est tenu coi tout au long de l’affaire, sauf, dans la dernière ligne droite, pour suggérer lors de l’audition parlementaire, par la bouche de son président d’alors Dominique Baudis, la création d’un «code de déontologie commun à tous les journalistes», dont la violation serait sanctionnée par une autorité qu´ils éliraient, et de «sanctions pour la presse».

Beau vœu resté pieux, comme après chaque scandale médiatique.

Or, « les médias insistent tous les jours dans tous les pays du monde sur les comptes que doivent rendre les gouvernements, » dit David Dadge de l’Institut international de la presse dans Médias n° 9, juin 2006. « Ils doivent reconnaître qu’il leur faut aussi rendre des comptes. » C’est bien là que le bât blesse : la presse française ne souhaite pas assumer sa responsabilité devant le public. Elle s’étonne après cela que ce même public se détourne d’elle, lui préférant l’Internet.

Mais le plus grave, c’est qu’elle ait encore besoin d’un bouc émissaire, car la responsabilité doit bien être assumée par quelqu’un. Au lieu de faire amende honorable et de mettre en place un système de veille et d’alerte sur les dérives journalistiques, elle se cherche des boucs émissaires.

 

Ainsi, vendredi dernier (30 janvier), six publications, Charlie Hebdo, Les Inrockuptibles, Marianne, Mediapart, Le Nouvel Observateur et Rue89 ont lancé l’Appel des Six pour la liberté de l’information et le pluralisme des médias, par lequel elles appellent le public à « un sursaut citoyen ». Accusé : le grand méchant loup Sarkozy. C’est bien pratique puisque le président de la République a un style assez personnel de l’usage de son pouvoir, à la limite de l’autocratie. Question déontologie, il s´était contenté de renvoyer les médias au libre exercice de leur responsabilité, lors des États généraux de la presse écrite. Il n’avait pas exigé d’eux, comme cela s’est pourtant fait en Grande-Bretagne, ou ailleurs dans des pays tout aussi démocratiques que le France, que la presse mette en place un organisme chargé de veiller à l’application de sa déontologie, sous peine de l’imposer par la loi.

Cela s’est bien fait, mais en France dans le seul domaine de l’information financière, suite à une directive européenne (Fideo). Pourquoi cette exigence ne serait-ce pas applicable dans tous les domaines de l’actualité ? Tant que notre presse ne revendique que sa liberté d’expression en se désintéressant de sa responsabilité, elle nourrit dans le public un ressentiment qui pourrait bien lui être fatal.

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Les recommandations parlementaires envers la presse

A la suite du fiasco judiciaire d’Outreau, la commission d’enquête parlementaire a rédigé un rapport faisant différentes propositions pour éviter le renouvellement de tels dys- fonctionnements. Une partie du travail des députés concerne les médias. Ces derniers n’ont pas relayé ces conclusions, contrairement à ce qu’ils ont fait pour le monde judiciaire ou celui des experts. Extraits du rapport parlementaire, consultable sur le site de l’Assemblée nationale.

 

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