Les pouvoirs publics préfèrent diaboliser ceux qui contestent son action plutôt que de se confronter publiquement à leurs propos. Les conclusions de la commission d’enquête sur la gestion de la campagne de vaccination contre la grippe A confirment ce travers. Les leçons n’ayant donc pas été tirées sur le fond, les prochaines crises sanitaires risquent d’engendrer la même cacophonie et les mêmes déconvenues.
« Les pouvoirs publics n’ont fait – et bien fait – que leur devoir » : ainsi conclut le rapport de la commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1).
Bien sûr, les critiques sur cette campagne ne manquent pas dans ce texte : faible taux de vaccination (5,36 millions de personnes au 1er juin 2010, soit moins de 8,5 % de la population totale) ; tensions entre médecins et pouvoirs publics ; coût financier important ; 3,46 millions de doses de vaccins jetées ou mises au rebut ; négociation sous contrainte des contrats avec l’industrie pharmaceutique ; communication trop classique et rigide, etc.
Mais malgré tout, le gouvernement a « bien fait » son travail, affirment les rapporteurs avec une certaine candeur.
La cécité des pouvoirs publics dans cette affaire n’est pas nouvelle. Notre enquête participative sur l’obligation vaccinale avait pointé les lacunes et les erreurs de la politique sanitaire nationale. L’analyse que nous avions publiée alors (en 2007), si elle avait été lue par le gouvernement, lui aurait évité les déboires de la campagne contre la grippe A…
Le plus triste, c’est que les parlementaires n’ont toujours pas saisi où le bât blesse. Ils stigmatisent, pour expliquer l’échec de la campagne, le recours à « l’irrationnel », le « brouillage » d’internet, « l’individualisme » des Français, la « théorie du complot », le « lobby anti-vaccin », etc.
Or, le problème est ailleurs. Il réside dans le mépris avec lequel on considère les citoyens ; en la foi à la vérité détenue par la science, les experts et les institutions ; en la confusion entre légitimité et vérité démocratique ; dans le refus de faire la transparence totale sur les relations pouvoirs/industrie pharmaceutique ; dans le refus d’engager une pharmacovigilance digne de ce nom, etc.
Mots choisis
M. le président Jean-Christophe Lagarde. Monsieur Houssin [directeur général de la santé], vous avez dit que l’on ne pouvait exclure le fait que la campagne de vaccination ait eu des effets bénéfiques. Quel a été le taux de mortalité en Pologne, pays où il n’y a pas eu de campagne de vaccination ? M. Didier Houssin. Mme la ministre a répondu à cette question devant la commission d’enquête sénatoriale. Il est difficile de recenser précisément le nombre de décès liés à la grippe H1N1 – il existe toujours une partie invisible – et nous connaissons mal la situation sanitaire polonaise. Du point de vue méthodologique, il ne semble pas rigoureux de comparer la Pologne et la France. J’ajoute que le gouvernement polonais avait clairement l’intention d’organiser une campagne, mais que des contraintes diverses l’en ont empêché. M. le président Jean-Christophe Lagarde. Cela revient à dire que l’on ne peut jamais évaluer l’efficacité d’une campagne de vaccination. |
Lors des débats qui ont suivi la présentation du rapport, une députée, Jacqueline Fraysse, Gauche démocrate et républicaine (GDR), a mis le doigt exactement où la mauvaise volonté des pouvoirs publics est patente : l’absence d’organisation de vrais débats citoyens autour de ces questions.
Elle trouve ce rapport « trop clément à l’endroit du gouvernement. Il souffre en outre d’une approche trop restrictive de ce qu’on pourrait appeler la démocratie sanitaire. (…) La Conférence nationale de santé [notamment] proposait l’introduction d’un débat contradictoire sur des questions de santé publique en donnant aux représentants des associations agréées la possibilité de poser des questions à l’expert et d’émettre des observations qui seraient jointes au rapport final. Énumérant les différentes mesures législatives ayant permis de renforcer la participation des citoyens dans les politiques de protection de l’environnement, la Conférence nationale de santé s’étonnait enfin que ces efforts conduits dans le domaine de l’environnement n’aient pas été promus en matière de santé publique, alors même que le principe de précaution est intimement lié à la question de la démocratie ».
Contrairement à ce que veulent encore croire aujourd’hui les pouvoirs publics, la réaction des citoyens a été intelligente, réfléchie et informée. Et pas si individualiste que ça. Car même les professionnels de santé, supposés conscients de l’intérêt d’une couverture collective, ont rechigné : « Il convient de s’interroger, indique le rapport parlementaire, sur les raisons qui ont conduit un nombre significatif d’entre eux à envisager de dissuader leurs patients de se faire vacciner ou même à affirmer qu’ils ne recommanderaient pas la vaccination ».
Oui, il serait temps de s’interroger sur les raisons qui ont poussé plus de 90 % des Français, dont beaucoup de médecins, à résister à une campagne menée tambour battant pendant des mois par les autorités.
Il serait temps également d’arrêter de croire et de faire croire que les Français sont des imbéciles.