L’impossible philosophie matérialiste


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Aucune philosophie digne de ce nom n’est possible si l’on pense que l’esprit est une émanation, une simple production du cerveau, comme l’affirment certains matérialistes et athées.

Pourquoi le matérialisme ne peut-il pas constituer une philosophie ? Pour la simple raison qu’il est impossible de penser ou d’évoquer la matière sans utiliser l’esprit.

Toute formulation de savoir ou d’idée sur la matière, toute affirmation sur ce qu’elle est ou n’est pas, est avant tout une représentation, donc une vision de l’esprit. Il est impossible de viser la matière seule, en soi, en dehors d’une participation d’un esprit, qu’il soit simplement humain ou divin.

Ainsi, matière et esprit doivent au moins être pensés simultanément. Cela implique la fin de la croyance et de l’espérance scientistes en l’objectivité et la nécessité de toujours tenir compte, dans toute description de la matière, du point de vue (lieu, moyen, objectifs, paradigme choisi, etc.) de celui qui parle.

Une philosophie qui adhérerait au dogme matérialiste se contredirait puisqu’elle nierait son autonomie, autonomie sans laquelle toute philosophie est d’emblée condamnée. Si l’esprit n’est qu’une simple émanation de la matière, il en est le produit, sous un mode déterministe. Il ne peut donc revendiquer le statut de philosophie sauf à considérer cette dernière comme une simple juxtaposition de propositions, un catalogue de disciplines plus ou moins reliée entre elles et variables dans le temps et l’espace – ce qu’elle est d’ailleurs devenue principalement aujourd’hui.

Si la philosophie ambitionne de s’interroger sur le sens des choses, elle ne peut le faire que dans une liberté totale, sous peine de se disqualifier dès le départ.

Intervient alors la fameuse question corps/esprit. Quel lien, quelle opposition entre les deux ? L’esprit, même s’il n’est pas simple production du cerveau, n’en est-il pas moins dépendant de cet organe, et même du corps tout entier ? Et même de l’hérédité, de l’environnement et de l’histoire ? Quelle est sa marge de liberté ? En a-t-il seulement une ?

C’est la thèse que je développe. Oui, l’esprit est libre mais seulement quand il retourne en et sur lui-même. Quand il remonte à sa source, quand il revient en son royaume, en lequel nulle limite ne peut être tracée, nulle cause ne peut être définie. Ce domaine, c’est celui de la pure volonté qu’il est.

À ne pas confondre avec la volonté consciente du moi, dont on parle généralement quand on parle de l’homme et de sa liberté.

Une différence fondamentale doit être faite entre ce moi et le je. Une différence essentielle, la même qui sépare et unit à la fois l’esprit et la matière, le corps et la pensée.

Le moi appartient au corps, le je à l’esprit. Et pourtant les deux sont liés sans qu’on sache bien comment les séparer ni les unir.

C’est une question assez peu abordée et même carrément ignorée par beaucoup de penseurs. C’est vrai qu’elle est difficile. Aussi difficile que pour un œil de se voir lui-même sans le secours d’une glace.

Il faut au préalable entrer dans le vif de soi, ce qui est à portée du je, à la différence de l’œil (et du moi), précisément parce que l’esprit est le seul élément, dans l’univers connu, qui contienne en lui, comme dirait Hegel, l’union de l’unité et de la différence absolue. Alors tout devient plus clair.

Mais il faut commencer par là.

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