Les journalistes massacrés par les internautes


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

A la suite d´un article de nouvelobs.com sur la menace que la loi Hadopi ("Création et Internet") fait peser sur l´avenir des journalistes, les internautes se sont déchaînés : "Bien fait pour vous ! Vous vous étiez contentés de relayer la propagande gouvernementale au sujet de ce texte, malgré nos cris. Maintenant qu´elle est passée, vous vous apercevez que cette loi contient des dispositions qui nuisent à vos intérêts. C´est trop tard : fallait mieux faire votre boulot avant, mieux nous entendre et étudier plus sérieusement ce texte !"

Une soixante de réactions commentent cet article et toutes (sauf une, celle d´Olivier Da Lage, mais c´est un journaliste, ancien président de la carte de presse, qui rectifie quelques points) vont dans le même sens : une véritable curée !

Même si ce n´est pas agréable pour moi, journaliste, de voir ainsi ma profession à ce point dénigrée, je comprends ce déferlement de rancoeur. Les internautes et les blogueurs, moins dépendants des sources et des pouvoirs que mes confrères, ont su réagir très tôt aux effets délétères possibles de ce projet du pouvoir. En leur reprochant la superficialité de leur approche, ils pointent ainsi une des grandes faiblesses des pratiques journalistiques actuelles : le manque de rigueur et de profondeur.

Les journalistes se contentent souvent de l´écume des choses et vont où le vent les pousse. Manque de temps et de moyens ? Paresse et facilité ? Proximité d´intérêts avec les pouvoirs ? Surdité d´élites ? Autocensure ?  Sans un peu de tout cela à la fois.

Et l´on arrive au point où, comme ici, nous n´avons plus une seule personne pour nous défendre, tellement nous sommes dans notre bulle, fonctionnant sur une lancée qui s´épuise. La dynamique de l´information est désormais sur le web. Et si les "grands journaux d´information" ont encore quelque éclat, nous sommes clairement en fin de règne. La cléricature journalistique est détrônée. Elle doit partager son siège avec les nouveaux médias d´information et les personnalités qui s´en servent habilement.

Notre profession ne perdurera comme telle que si elle se regénère, si elle décide de garantir de nouvelles qualités qu´elle avait plutôt négligées jusqu´alors : rigueur, vérification, approfondissement loin des clichés, diversité et équité des points de vue, responsabilité sociale, rectification systématique des erreurs, etc.

Or, elle ne semble toujours pas décidée à prendre ce chemin. C´est en autiste qu´elle aborde ce nouveau siècle, qui pourrait devenir celui de son enterrement, du moins dans sa forme traditionnelle, forme en laquelle elle veut encore croire malgré tous ces salutaires avertissements.

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