La question du droit des animaux et des plantes nécessite que la société dise clairement – et en quoi – l’espèce humaine serait différente en nature, et non seulement en degré, des autres espèces vivantes.
Les Journalistes-écrivains pour la Nature et l'Écologie (JNE) organisent le 19 mars 2020 à Paris, une demie journée "Quels droits pour les plantes ?". Et posent cette question : « Doit-on en faire des sujets de droit ? »
La sensibilité croissante du public envers les animaux s’étend aujourd’hui également aux plantes et au végétal. De plus en plus d’articles, d’études scientifiques, de colloques, évoquent l’intelligence des plantes, la conscience des animaux, etc., à tel point que nos notions classiques à leur égard se trouvent remises en question.
Nous voilà même amenés à repenser la nature et le champ de nos relations tissées avec tous les êtres vivants.
Longtemps, seule espèce humaine était « sujet de droit ». Au fur et à mesure que s’enrichissent notre perception et notre compréhension du monde vivant, nous ne pouvons plus considérer les autres espèces comme des meubles ou des objets que l’ont peut utiliser, exploiter ou détruite à notre guise.
À cette constatation s’ajoutent le spectacle désolant de nos abus et la crainte que notre égoïsme et notre avidité n’aboutissent tout simplement à la disparation de la Vie sur Terre, voire de notre planète elle-même.
Nous devons ainsi intégrer deux nouvelles valeurs : la sensibilité du vivant et la conservation de la biodiversité.
Concrètement, cela se traduit par une transformation de notre droit qui intègre et va de plus intégrer de nouveaux « sujets de droit ».
C’est une excellente chose. Cela augure d’une évolution qui ne peut qu’être bénéfique à tous, homme, animal, plante.
Cependant, cette mutation juridique ne va pas sans tension, résistance et conflit. On l’a vu avec les antispécistes qui excipent de cette unité du vivant qui s’annonce pour traiter de criminel l’éleveur qui conduit son bœuf à l’abattoir. Ou de tyran le conducteur d’un attelage de chevaux abusivement exploités à leurs yeux.
C'est qu'en effet, la notion de « sujet de droit » est ambigüe.
Vision unitaire ou humaniste ?
Comment sortir de cette contradiction entre :
- une vision unitaire du vivant, dans laquelle tous les êtres vivants, du microbe à l’homme en passant par le poisson et la plante, sont à placer, biologiquement et donc ontologiquement, sur un même plan ;
- et une vision humaniste, dans laquelle l’espèce humaine bénéfice seule de droits spécifiques ?
La tension ne peut qu’aller grandissante si un consensus ne parvient pas à être réuni entre toutes les parties du débat. Je propose ici une démarche pour avancer sur l’essentiel, chacun devant être entendu dans sa conception et ses exigences. Un compromis acceptable par tous est-il envisageable ?
Ma proposition
Pour clarifier la situation, réservons le terme "sujet de droit" à l'être humain.
- Déclarons « sujet de droit » le seul membre d'une espèce qui peut se déclarer elle-même sujet de droit.
- Déclarons « objet de droit » tous les autres des autres espèces vivantes.
J’invite mon lecteur à bien lire et à bien comprendre ce qui est dit ici avant d’éventuellement s’offusquer.
En effet, quel que soit le degré d’intelligence et de conscience existant ailleurs dans la Nature, l’espèce humaine est, de toute évidence, la seule qui puisse revendiquer, énoncer, reconnaître, refuser, violer, surveiller, etc., des règles et des normes.
Pour résumer : seule l’espèce humaine proclame des règles du droit.
En revanche, elle n’est pas la seule qui puisse en édicter puisque la Nature (ou Dieu, cf. Deus sive Natura, Spinoza) le fait également de manière tacite (ce que nos sciences permettent de dévoiler : loi de la gravitation, p. ex.)
Pour résumer : les lois du réel s’imposent dans les faits à tous, qu'elles soient ou non formulées par l'espèce humaine.
Cette distinction a pour objet, ici, de relativiser le pouvoir juridique de l’espèce humaine et de rappeler son intérêt à concilier ce pouvoir avec le pouvoir législateur de la Nature elle-même : elle ne peut décider arbitrairement n’importe quoi au risque de scier la branche sur laquelle elle fait son nid.
« Sujet de droit » ou « objet de droit » ?
Quelles différences entre « sujet de droit » et « objet de droit » ?
- Les « sujets de droit » sont tenus de connaître, respecter, faire appliquer, les règles formulées par les autorités humaines. Ils ont la responsabilité de leur application. Pour l’espèce humaine, le droit est étroitement lié à la notion de devoir.
Pas de droit sans devoir et inversement.
- Les « objets de droits » sont destinataires des règles conçues par l’espèce humaine. La responsabilité de leur application ne leur incombe pas. Ils n’ont aucun droit car ils n’ont AUCUN devoir.
Ainsi, quand l’on parle du droit des animaux ou des plantes, existant ou à caractériser, il s’agit toujours de devoirs de l’espèce humaine à leur égard. C’est pourquoi l’expression « droits des animaux ou des plantes » est équivoque et source de confusion. On ne devrait plus l'employer ou, sinon, en l'accompagnant des nuances ici évoquées.
Cette formulation « objet de droit » a le mérite, il me semble, d’éviter de nous perdre dans les controverses indécidables de la conscience et de la souffrance animale.
Différence en nature ou en degré ?
Tout dépend de ce qu’on entend par « en nature ».
La proposition que j’émets ici permet de dépasser l’opposition stérile entre une nature d’origine divine ou seulement matérielle.
L’espèce humaine est évidemment, sur le plan de sa « nature biologique », identique aux autres espèces vivantes. Elle n’a, avec elles, que des différences de « degré » (mais aussi de complexité).
En revanche, on peut dire que la différence en « nature » réside dans le « propre de l’homme ». Selon moi, ce propre de l’homme (qui reste discuté, y compris dans le monde scientifique) réside essentiellement dans la faculté, qu’il est seul à posséder, de « promulguer des lois » et donc à avoir et se donner des droits et des devoirs.
Ainsi, c'est bien la responsabilité de la seule espèce humaine de prendre soin de la nature..
Dans le cas évoqué ci-dessus du sacrificateur (c’est le mot officiel) d’un abattoir, il est abusif de le traiter d’assassin dans la mesure où le droit de la société dans laquelle il évolue n’a pas accordé la même valeur ontologique à l’animal et à l’homme. L’antispéciste peut contester cette différence de traitement et militer pour une évolution du droit.
La société est alors mise en demeure de déterminer clairement dans ses textes juridiques si elle estime qu’il y a une différence de nature (et non pas seulement de degré) entre l’espèce humaine et les autres espèces vivantes.
Et, si oui, d’exposer clairement en quoi.
Cela existe déjà en filigrane dans notre arsenal juridique, mais pas de façon claire et nette.
Le rapprochement entre les règles du droit et les lois du réel suscitera sûrement des débats passionnants – et passionnés. Mais notre société ne peut plus, aujourd’hui, faire l’économie de ce débat.