Le matérialisme méthodologique est-il la seule approche scientifique légitime ?


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Réponse à l´article de Guillaume Lecointre (Département "Systématique et évolution", Muséum national d´histoire naturelle, Paris) intitulé "Evolution et créationnismes" publié sur le site du Cnrs.

Pour justifier le recours au « matérialisme méthodologique » comme unique procédure permettant de prétendre à la scientificité, Guillaume Lecointre, spécialiste de l’évolution au (département Systématique et évolution, Muséum national d´histoire naturelle, Paris), développe une longue argumentation sur le site du Cnrs. Fustigeant le créationnisme et autre Dessein intelligent, il tente de démontrer que ce matérialisme (à ne pas confondre avec le matérialisme philosophique) est seul légitime dans le domaine du savoir. Cela permet de reléguer philosophie, religion et spiritualité dans la sphère privée.

Or, dire que la question du «sens» n’est pas admise en science n’est pas équivalent à dire que  seul le hasard a droit de cité pour expliquer origine et évolution de l’univers : cette dernière formulation, partie intégrante du discours scientifique majoritaire est elle-même une position métaphysique. Elle masque un postulat, celui de l’objectivité et de la non finalité de l’Univers. Estimant s’en tenir aux faits, M. Lecointre, et avec lui un grand nombre de scientifiques, choisissent sans s’en rendre compte une parmi plusieurs conceptions (donc interprétations) possibles pour tenter d´expliquer l’origine et l’évolution de l’Univers.

Certes, le créationnisme ne mérite pas, en l’état, le nom de science. À ce titre, les scientifiques «matérialistes» ont raison d’être vigilants sur de possibles intrusions de ces positions dans les programmes d’enseignement, par exemple. En revanche, ces mêmes matérialistes abusent quand ils prétendent bannir de la recherche scientifique l’idée même de finalité ou de dessein.

Comme l’avouent la plupart des philosophes et Jacques Monod lui-même, l’idée de finalité est impossible à réfuter.

L’intervention de M. Lecointre est ainsi résumée sur le site de l’Institut national de recherche pédagogique (Inrp), dossier d´actualité n° 38 – octobre 2008 – Enseigner l´évolution en France :

 «Les choix philosophiques, politiques ou spirituels des chercheurs ne doivent donc pas franchir la porte du laboratoire, sous peine d´invalider la scientificité du travail, basée sur «quatre piliers» :

- un scepticisme initial sur les faits, qui doit mettre à distance toute intrusion mercantile, politique ou religieuse ;

- un principe de réalisme ;

- un principe de rationalité et de parcimonie : le non-respect de la logique entraîne la réfutation de la démonstration ;

- un «matérialisme méthodologique» ou «épistémologique», « à ne pas confondre avec le matérialisme philosophique ». Ce terme polysémique demande à être précisément défini dans le cadre de l´activité scientifique, pour ne pas laisser persister, à dessein ou non, d´ambiguïté : par définition, la science ne travaille pas avec des catégories immatérielles. «Si la science est matérialiste en méthode, elle ne doit rien en retour [...] à aucune philosophie», précise un article de Guillaume Lecointre dans le dossier en ligne du CNRS. «Le matérialisme ne subsiste dans les sciences qu´à l´état de méthode, et non comme conception de l´origine, démarche non empirique par définition» (Charbonnat, 2007).»

Nous reprenons ci-dessous quelques développements publiés sur cette trame par M. Lecointre (site Cnrs). En italique, son texte ; en droit, le mien.

«Pour qu’elle le soit, la science doit respecter dans ses méthodes de travail quatre piliers qui sont, chacun, toujours requis aujourd’hui :

1. Scepticisme initial sur les faits
Nous n’expérimentons sur le monde réel que parce que nous nous posons des questions. Si ce qui est à découvrir est déjà écrit, nous n’avons d’emblée qu’une parodie de science. Ceci se produit chaque fois qu’une force extérieure à la science lui dicte ce qu’elle doit trouver. Il y a trois forces fondamentalement antagoniques au travail du scientifique (les forces mercantiles, les forces politiques et les forces religieuses).»

Oui mais. Cette règle de l’interdiction des «choix» idéologiques en matière de recherche a un antécédent célèbre en Pasteur qui prétendait «laisser Dieu à la porte du laboratoire». Elle est effectivement de mise dans le domaine des sciences, à ceci près qu’elle est impossible à tenir. Il serait naïf d’affirmer que les hommes de l’art sont capables de maintenir de côté leurs préjugés et tous les à priori qui orientent leurs pensées. Certes, ils peuvent tenter d’abstraire leurs croyances et leurs convictions conscientes. Mais qu’en est-il de leurs œillères, de leurs obsessions, de leurs croyances inconscientes  ? Des intérêts inavoués ?

Ni les savants, ni aucun professionnel intervenant dans la connaissance ou le jugement, comme les juges, les policiers ou les journalistes, ni aucun homme d’ailleurs, ne sont en mesure d’adopter une intégrité ni une objectivité parfaites : toujours, à un moment ou un autre de la procédure d’acquisition cognitive, intervient la subjectivité. Avec ses failles et ses limites et son orientation obligée. En effet, la subjectivité est toujours intention, comme nous le redirons plus loin. Elle incline donc forcément ses propres découvertes par le choix qu’elle fait du thème de recherche, d’abord, par son angle d’attaque ensuite, par les moyens (intellectuel, temps, argent, collaborateurs) requis, les outils choisis, les circonstances opérationnelles, etc.

Le partage des découvertes, leur reproductibilité, la critique des pairs, etc., s’ils permettent des gains de certitude, n’aboutissent jamais à établir une vérité définitive. L’intersubjectivité, autrement dit le rassemblement de subjectivités, reste en deçà de l’objectivité absolue mais produit ce que l’on pourrait nommer une «objectivité faible». Ne pas reconnaître cela mènerait à l’impossibilité du progrès scientifique.

La reproductibilité d’une connaissance nouvellement construite en démontre le côté opérationnel – non sa vérité cognitive (ex. : le temps absolu newtonien nous offre une gravitation toujours opérante, mais lui-même s’est évanoui dans l’espace-temps einsteinien). Je peux savoir utiliser de façon extrêmement poussée l’électricité ou l’énergie du vivant mais ne toujours pas savoir exactement ce qu’elles sont.

Une marge d’incertitude, d’inconnu, de contradiction, demeure nécessairement dans tout champ exploré, qui oblige à rester ouvert à d’autres voies de connaissance (intuitive, philosophique, etc.). Disons que la science n’est pas un savoir absolu mais un système conceptuel rationnellement élaboré, une «croyance» ainsi globalement de moins en moins fausse, même si d’apparents progrès ont pu historiquement masquer des erreurs. Alors que la croyance religieuse n’a pas (encore ?) trouvé les modalités d’une vérification de ses prétentions cognitives.

 «2. Réalisme
Le monde là dehors existe indépendamment et antérieurement à la perception que j’en ai et aux descriptions que l’on en fait. Je ne vois aucun sens à l’activité scientifique, en tant que poursuite collective d’un projet de connaissance universelle, si ce réalisme n’est pas de mise.»

La formulation traduit bien le concept d’une séparation anthropique : «le monde là dehors»,  donc séparé, donc séparable du sujet connaissant ! Cette affirmation, fausse du strict point de vue topologique (quelle est la «ligne» qui délimite le dedans et le dehors ?...)  est un postulat, un choix philosophique, métaphysique. En effet, le débat oppose toujours les philosophes entre eux sur ce point précis, avec de nombreuses variantes. Libre à M. Lecointre d’opter pour cette position, dont il a besoin pour justifier sa conception de la science. Mais il n’a pas le droit (intellectuellement parlant) de l’imposer à la communauté humaine. Même si ce choix est commun à une grande majorité d’hommes de science.

On peut par contre concéder que cette « approximation » est souvent utile, voire indispensable, comme le dit M. Lecointre, dans la pratique expérimentale. Jacques Monod, par exemple, dans Le Hasard et la Nécessité, pose la non-projectivité (l’objectivité, la non-finalité) du monde comme postulat. Il reconnaît et assume le fait qu’il s’agit bien d’une option personnelle.

L’hypothèse qu’il existerait un lien structurel entre le monde et la conscience a été suggérée par de nombreux penseurs et scientifiques et n’a jamais été réfutée. Elle ne doit donc pas être écartée à priori d’un discours sur la réalité du monde. (Pour un développement sur ce sujet, voir notre ouvrage Evolution et finalité ; Darwin, Monod, Dieu, L’Harmattan, 2009.)

«3. Rationalité
Elle consiste simplement à respecter les lois de la logique et le principe de parcimonie. Aucune démonstration scientifique ne souffre de fautes de logique ; la sanction immédiate étant sa réfutation. L’universalité des lois de la logique, soutenue par le fait que les mêmes découvertes en mathématiques et en géométrie ont pu être faites de manière convergente par différentes civilisations, reçoit une explication naturaliste : elle proviendrait de la sélection naturelle. Les théories que nous acceptons sur le monde sont les plus économiques en hypothèses. Plus les faits sont cohérents entre eux et moins la théorie qu’ils soutiennent a besoin d’hypothèses surnuméraires non documentées. Les théories les plus parcimonieuses sont donc les plus cohérentes. La parcimonie est une propriété d’une théorie ; elle n’est pas la propriété d’un objet réel. Ce n’est pas parce que nous utilisons la parcimonie dans la construction de nos arbres phylogénétiques que nous supposons que l’évolution biologique a été parcimonieuse, comme le croient erronément certains.»

Deux points à étudier dans ce paragraphe : lois de la logique et principe de parcimonie.

a) « Lois de la logique »

D’abord, il ne faut pas confondre logique et rationalité. La logique est un ensemble de règles et de procédures qui aident à établir des connaissances véridiques. La rationalité est le caractère d’une pensée qui s’appuie sur des principes et se plie notamment aux règles de la logique. Les deux concepts sont évidemment très liés.

On sait aujourd’hui que la logique n’est pas aussi universelle qu’on le pensait, que des contradictions résident la plupart du temps dans chaque domaine de connaissances, qu’aucun système ne peut être appréhendé complètement de l’intérieur de ce système, etc.

Pour faire court, je dirai qu’on peut distinguer deux grands principes rationnels, le multicentré et l’unicentré. Le multicentré (la science matérialiste, par exemple) refuse l’idée d’un Tout de l’univers et fait de «l’objet» (matériel, séparé, entièrement déterminé) le cœur de son approche. L’unicentré (le finalisme, par exemple) voit des liens partout, conteste l’existence d’une séparabilité radicale des objets et relie l’ensemble des connaissances à la conscience (humaine ou divine).

Le matérialisme de M. Lecointre est légitime, s’il se reconnaît approche possible ou pour le moins partielle de la réalité (n’étant pas en mesure de dire l’entière vérité sur les choses), s’il accepte que d’autres approches sont également légitimes, y compris dans l’interprétation des phénomènes scientifiques. Sinon, c’est un abus intellectuel de pouvoir, voire un hold-up cognitif. Nous reviendrons sur cet aspect au point suivant.

 b) «Principe de parcimonie. Le principe de parcimonie ou principe d’économie d’hypothèses implique que, lorsque nous faisons une inférence sur le monde réel, le meilleur scénario ou la meilleure théorie sont ceux qui font intervenir le plus petit nombre d’hypothèses ad hoc, c’est-à-dire non documentées.»

Selon que l’on raisonne en mode multi- ou uni-centré, ce même principe de parcimonie conduira à des conclusions divergentes, voire opposées.

En mode multi-centré (MMC), faire appel à un principe transcendant est exorbitant puisque cela oblige à imaginer un système causal caché dont on ne peut rien dire. Par défaut, ce mode fait donc appel au «hasard» pour expliquer l’existence, les changements et les évolutions de la matière.
En MMC, la question de l’origine («avant la matière») reste hors de portée.

En mode uni-centré (MUC), le principe de parcimonie est respecté on ne peut mieux (le nombre d’hypothèses est réduit à une ! un Principe créateur intelligent). On résout ainsi de façon rapide et économe la question de l’origine. Reste la question des modalités d’application, qui sont tout autant étudiables par les sciences, mais en évacuant le postulat de la non-finalité du réel.

Pour les partisans du MUC, le coût du principe hasard est exorbitant (car on ne peut rien en dire, à l’instar du principe transcendant pour le MMC, et certaines «réalités scientifiques», «bien admises par la communauté scientifique, constituent de véritables supplices pour le raisonnement ordinaire» - cf. supra : Enseigner l´évolution en France). C’est l’explication par le hasard qui contrevient alors au principe de parcimonie : il est plus raisonnable de poser une cause unique (la causalité formant la base du raisonnement scientifique) que pas de fondement du tout, ou bien un hasard qui agirait paradoxalement comme une «génération spontanée» de l’univers ! Or le hasard est une modalité de fonctionnement, en aucun cas une énergie, et il faudrait donc mobiliser l’hypothèse complémentaire d’un moteur ce qui nous éloigne du principe de parcimonie.

Il y a donc une sorte de symétrie opposant MMC avec modalités de mieux en mieux connues et origine inconnue, au MUC avec modalités moins connues – ce qui ne saurait étonner, les moyens modernes n’ayant jamais été utilisés massivement dans cette orientation - et origine  certes non scientifiquement validée, mais rationnellement cohérente et reconnue subjectivement par une majorité de terriens. La science, ni la religion ni la philosophie n’ayant
définitivement tranché sur cette question de l’origine (hasard/finalité), ni MMC ni MUC ne peuvent imposer leur vision.

Cela dit, peut-on imposer, comme veut le faire M. Lecointre, une séparation entre ces deux modes en en réservant un à la science, l’autre étant relégué à la subjectivité hors champ scientifique ? A contrario, les religions sont-elles fondées à revendiquer comme scientifiques les propositions qui émaillent leur dogmes ?

Je répondrais non à chacune de ces questions, pour les raisons explicitées ci-dessous.

 «4. Matérialisme méthodologique
Tout ce qui est expérimentalement accessible dans le monde réel est matériel ou d’origine matérielle. Est matériel ce qui est changeant, c’est-à-dire ce qui est doté d’énergie. La science ne travaille pas avec des catégories par définition immatérielles (esprits, élans vitaux, transcendance, etc.) ; cela participe de sa définition. Il faut rappeler plusieurs points importants concernant le matérialisme. Il s’agit d’un matérialisme méthodologique, c’est-à-dire de conditions de travail. Dit autrement, ce qu’on appelle « science » depuis deux siècles ne peut appréhender du monde réel que ce qui est matériel ou manifestations sophistiquées relevant en dernière instance du monde matériel. Il ne faut pas confondre cela avec un matérialisme philosophique. En effet, le matérialisme scientifique en action n’a pas pour vocation de valider l’immanentisme de la matière. (…) Si la science est matérialiste en méthodes, en revanche elle ne doit rien en retour à la philosophie matérialiste, pas plus qu’à n’importe quelle philosophie. Elle n’en est aucunement prisonnière : elle est tout simplement philosophiquement non intentionnée.»

La démonstration de M. Lecointre me paraît contestable sur plusieurs points.

Il tente de faire admettre que le «matérialisme méthodologique» peut être distingué du «matérialisme philosophique» ou «idéologique». Il s’appuie, pour ce faire, sur l’idée d’une possible séparation entre objet et sujet. Or, s’il paraît effectivement possible de réduire de plus en plus notre subjectivité, il nous est impossible de nous en séparer totalement, s’il s’agit d’établir des connaissances ou de rechercher des vérités (ou des lois) ; sauf à nous taire. C’est au nom de cette impossibilité que l’on peut contester la prétention à la science d’avoir seule quelque chose de valable à dire sur la réalité et de prétendre que le scientifique est le vrai : c’est déjà historiquement totalement faux.

Le réel est à la fois matière et esprit. Vouloir se cantonner à la matière seule (selon le mot de Quiniou cité par M. Lecointre, la matière est «l’instance générale productrice de toutes les formes de réalité»[1]) est impossible puisque la «matière» en soi n’existe pas. Et en tout cas pas sans l’esprit qui en formule le concept.

Le mouvant, l’étendue,  la masse, l’énergie, différentes définitions, toutes insuffisantes, ont été proposées. La matière n’est pas saisissable par autre chose que par notre esprit (c’est une «instance» : quoi de plus immatériel qu’une instance !) C’est une représentation, un concept par lequel nous désignons ce qui pour nous est sensible et mesurable. Ce concept évolue et s’affine de siècle en siècle, au fur et à mesure que nous abandonnons nos illusions et nos croyances, pour nous approcher de ce que nous pensons être la réalité. En tendant d’ailleurs scientifiquement de plus en plus vers l’immatérialité (onde/particule, état quantique de l’électron, champ électromagnétique…) et sans jamais la cerner tout à fait.

Cela dit, l’objet sensible et souvent mesurable est bien la substance concrète qui nous permet de réfléchir et de connaître, mais c’est dans notre esprit que les évolutions à son sujet s’opèrent. Vouloir faire de la matière la seule «source» de notre connaissance serait inapproprié car elle n’en est que le «support». Support obligé, mais support seulement pour une production tout à fait immatérielle, suprasensible : notre savoir. La science est essentiellement discours, et discours évolutif,  sur le monde ; elle est somme de sens et de significations (chiffres, lois,  fonctions…) qui nous disent si ce que nous pensons est juste, correspond à la réalité. Elle ne dit pas la vérité (si tant est qu’elle existe) sur le monde. Or seule la vérité (par nature) pourrait prétendre à l’exclusivité. Et du fait de son caractère évolutif autant que partiel, d’autres approches sont légitimes pour tenter d’en compléter le manque.

Le monde qui nous environne et nous constitue est bien le moyen par excellence de déclencher notre interrogation et de vérifier nos hypothèses, le cadre qui permet notre réflexion. Dans ce sens, la science a ce grand avantage sur la religion ou la philosophie de posséder des procédures de test et de validation : sa prétention à parler validement au sujet de certains aspects de la réalité est justifiée de ce point de vue. Le fait de pouvoir, méthodologiquement, contrôler ses conjectures est indéniablement sa force et sa légitimité.

Est par contre illégitime la prétention d’être seule en état de prononcer un discours vrai, socialement et donc politiquement contraignant d’une part, et de l’autre, de déclarer scientifique la séparation matière-esprit, faisant de ce dernier une simple «production» de la matière. Car alors elle ne voit pas que c’est en tant qu’esprit (toujours et partout présent et productif) qu’elle déclare l’esprit secondaire ou devant être relégué hors de son champ ! Elle ne voit pas que l’esprit colore tout ce qui vient à lui et tout ce que le corps ressent. Elle se croit en droit d’affirmer qu’elle «est tout simplement philosophiquement non intentionnée». Ce qui est impossible, l’esprit, la conscience étant précisément et essentiellement «intentions». La conscience comme surface sensible vierge et neutre sur laquelle viendrait se greffer passivement l’image de l’objet extérieur est une croyance fausse. Cela au moins, la philosophie a pu le démontrer.

Et comme l’esprit est intention, il ne se voit jamais lui-même, jusqu’à ignorer, comme ici, sa propre existence… Tout comme l’œil ne se voit jamais, sinon dans un miroir, mais alors il ne se voit pas lui-même mais son reflet.

En conclusion

Le matérialisme méthodologique pour tester des hypothèses ? Oui. Autrement dit, une affirmation ne peut être taxée de science que dans la mesure où elle accepte la nécessité de son universalisation par le recours à l’expérience dans le monde sensible (la matière). À cette aune, la prétention du matérialisme méthodologique à constituer l’outil par excellence de la science est en position de force.

En revanche, il dérive quand il croit pouvoir évacuer toute intention et toute interprétation du domaine scientifique, ou de la matière, et quand il prétend que le hasard est seul scientifiquement légitime pour expliquer l’origine du monde et son évolution. Toute connaissance, aussi empirique soit-elle, et notamment celle qui porte sur les origines, comporte son lot de postulats, de conviction et d’arbitraire : ce grand apport de l’épistémologie moderne ne doit plus être ignoré.
Là réside une faiblesse méthodologique dans l’affirmation de beaucoup de scientifiques selon laquelle les explications actuelles de l’évolution du vivant seraient incontestables. Et dire cela ne revient en aucune façon à dire qu’elles sont fausses.

Le matérialisme méthodologique pour établir – seul – des vérités ? Non. Car l’esprit qui établit les vérités en recourant à cette méthode oublie de s’auto-étudier étudiant ses opérations. Ainsi, il ne voit pas qu’il s’appuie toujours à un moment ou à un autre sur un ou plusieurs axiomes (par définition indémontrables) : c’est inévitable.

C’est pourquoi d’autres procédures peuvent prétendre à une reconnaissance et à la possibilité de compléter, de concurrencer, comme cela est souvent le cas, voire de rectifier certaines formulations scientifiques, qu’il ne faut pas confondre avec la vérité : l’intuition, le rêve, la spiritualité, la pratique, l’art, la philosophie, l’inspiration, etc.

Au lieu de partir en guerre ou de mépriser ces autres formes parce qu’elles ne peuvent souvent se plier de la même façon aux tests expérimentaux, la science gagnerait à les étudier et à imaginer pour elles des modalités de vérification encore à définir (et pourquoi pas différentes du matérialisme méthodologique jusqu’ici employé : il n’a pas le monopole de la rigueur).
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[1] Sans compter que cette définition ne dit pas quelle est l’instance d’où viendrait cette « instance générale productrice… » : il est étonnant que M. Lecointre reprenne à son compte cette formulation au parfum plutôt platonicien…

 

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