Le Diable et le bon Dieu : « Merci Charlie ! »


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Dans l’abondant Courrier des lecteurs reçu dernièrement par Charlie Hebdo, deux lettres se distinguent particulièrement par la «qualité» de leurs auteurs. Nous avons pu nous en procurer une copie que nous reproduisons ici.

La Lettre du Diable 

girouette-diable

Dessin : Girouette diable Soings-en-Sologne

« Chers amis !

Votre journal est maintenant tiré à 7 millions d’exemplaires alors que vous menaciez de disparaître faute de lecteurs ! J’avais très peur de perdre cette tribune où vous avez le courage de bouffer du curé à une époque où les dignitaires religieux pavanent dans leurs édifices consacrés et les médias.

De même, votre goût prononcé pour la scatologie, l’offense et l’injure, exprimé avec autant de brio, me fait littéralement bander. Quel pied de voir le Pape catholique sodomiser un enfant ! Mahomet montrer son cul dénudé à la caméra ! D’entendre sœur Emmanuelle dire, une fois morte, qu’elle va sucer des queues au Paradis ! Quel talent ! Quelle classe ! Je n’imagine pas être privé de si délicieuses goguenardises.

Donc merci à vous, dessinateurs assassinés, de vous être sacrifiés pour défendre votre droit d’insulter ainsi tous ces hypocrites. Merci à vous, dessinateurs et journalistes survivants ou épargnés, de continuer le combat.

Vous savez combien je suis horripilé qu’on puisse dire de la France qu’elle est la fille aînée de l’Eglise. Ça ne pouvait plus durer ! Grâce à vous, ça va changer. Vous avez désormais le soutien d’une immense foule de supporters qui se reconnaissent dans votre magnifique enculage de la calotte. Ça fait du bien par où ça passe (c’est le cas de le dire) ! Grâce à vous, la grossièreté, le blasphème et l’offense à autrui sont en quelque sorte consacrés en nouveaux droits de l’homme. Maintenez la pression et un jour, un merveilleux jour, ils seront la nouvelle devise de la France.

Surtout, ne vous laissez pas berner par les bonnes âmes. Elles vont tenter de faire appel à votre raison, à votre sentiment fraternel, pour que vous vous autocensuriez. Ne cédez pas ! La liberté d’expression ne peut pas être saucissonnée ! C’est la plus haute valeur à défendre, quoiqu’il en coûte. Elle est sacrée, n’est-ce pas (j’aime bien ce mot… quand il est à mon service) ? Ce n’est pas parce qu’elle peut faire souffrir qu’il faut vous limiter. Ne tombez ni dans la peur, ni dans la sensiblerie.

Ne changez rien à vos sarcasmes bien ciblés, pile où ça fait mal. Et amplifiés, vivifiés, rendus encore plus cuisants par la caricature. Comme ça, vous allez en exciter d’autres et ça fera un beau désordre, un bordel du diable comme je les affectionne, avec du beau sang rouge qui coule et des victimes innocentes.

D’autant plus que les fous que vous énervez ont les moyens de faire du ramdam. Et sur toute la Planète encore ! Bien vu ! On n’est plus à l’époque de l’Assiette au beurre ou du Crapouillot, que diantre !

Là, ça devient sérieux. Et très intéressant pour moi.

Merci Charlie !

La lettre du bon Dieu

L'oeil de Dieu dans la symbolique maçonnique

L'oeil de Dieu dans la symbolique maçonnique.

« Mes chers enfants,

Oui, ne vous offusquez pas si je vous appelle ainsi puisque je suis votre Père. Je sais bien que vous êtes athées, mais, comment dire ? je ne vais quand même travestir la vérité et faire comme si je n’existais pas, alors que j’existe bel et bien. Et que je suis votre Créateur. Mais vous avez l’habitude de la provocation. Donc… je suis sûr que vous me pardonnerez de vous nommer ainsi.

Je vous écris pour vous remercier. Si, si, vraiment. Vous avez réussi à provoquer un immense élan de solidarité comme personne n’avait jusqu’à ce jour réussi à le faire. Toute la France debout dans la rue, se précipitant dans les kiosques pour vous soutenir : je dis bravo !

Bravo aussi pour avoir su rassembler tous les députés, tous sans exception, dans l’enceinte parlementaire pour applaudir votre premier ministre s’exprimant sur les événements. Et pour chanter d’une seule voix la Marseillaise !

Quel homme, quelle femme politique, dans l’histoire de votre pays, est parvenu à une telle unanimité ?

Enfin, et surtout, cela fait des siècles, oui des siècles, que j’inspire des pensées œcuméniques à tous ceux qui prétendent croire en moi, qui disent me donner la première place dans leur existence. Pour quel résultat ? Non seulement une multiplication des religions (alors qu’il suffirait d’une puisque je suis l’unique), mais aussi d’incessantes ignobles guerres de religion. Croyez-moi, cela m’est insupportable ! Aussi apprécié-je à sa juste valeur l’accolade sincère et chaleureuse que tous les religieux de France, quel que soit leur bord, se donnent grâce à vous en ce moment. Cela me fait chaud au cœur. Oui, parce que j’ai un cœur, figurez-vous. Je suis même l’amour.

C’est pourquoi je ris avec vous quand vous fustigez mes représentants, insuffisamment dignes de moi, la plupart du temps. Et, contrairement à ce que beaucoup de prétendus fidèles pensent, je ne suis pas atteint par vos blasphèmes. C’est l’idée qu’ils se font de moi qui est touchée. C’est leur propre amour-propre (bien mal nommé).

Moi, je ne suis atteint que dans mon amour pour vous. Car, quand vous me brocardez, quand vous m’ignoriez, c’est vous-même qui vous privez de ce que je souhaite vous apporter. C’est à vous-même que vous faites du mal.

Donc, mes enfants, même si vous ne croyez pas en moi, soyez assurés que je tiens à votre liberté d’expression (d’où mon petit coup de pouce discret pour tirer le meilleur de ces événements).

Sachez aussi, si si ! qu’il m’arrive de rire à votre humour. Certes, je déplore la méchanceté qui peut teinter vos réactions et le niveau ras-de-terre que vous affectionnez tant. Non pas qu’il m’offusque, mais parce qu’il vous empêche de vous élever et d’apporter un peu plus de vraie lumière pour éveiller les consciences et ouvrir les cœurs.

Pour finir, permettez-moi une dernière petite provocation, bien dans votre style (mais aussi dans le mien) en vous donnant... ma tendre bénédiction.

p.c.c. Jean-Luc Martin-Lagardette

(Pour copie conforme (abréviée p.c.c.) est la formule attestant qu'une copie reproduit exactement l'original)

> Image de Une : Le street-art rend hommage à Charlie Hebdo (ici Cabu).

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