La mutation des médias et le web 2.0


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Interview par Melle Bourget, étudiante en journalisme (2007).

 

Question - Pensez-vous que le journalisme dans la société des médias traverse une période de crise ou plutôt de mutation ? Que pensez-vous des nouveaux médias et de la montée du web2.0 ou web participatif,  avec notamment la profusion de création de blogs, qui font que tout un chacun peut désormais se prévaloir d´exercer une forme de journalisme, et les encyclopédies interactives telles que Wikipédia ? Ces nouveaux médias, associés à la presse gratuite, constituent-ils à vos yeux une menace pour le journalisme traditionnel ou au contraire une opportunité pour un journalisme citoyen ? Le journalisme d´opportunité lié aux nouvelles technologies (avec notamment les appareils photo intégrés dans les téléphones portables) représente-t-il selon vous un danger ?

 

JL ML : On est davantage dans une situation de crise que de mutation. Avec la remise en question de différents aspects du métier de journaliste qui se trouve remis en cause dans sa légitimité-même, cette crise touche le cœur du métier de journaliste. La profession souffre d’un malentendu, d’une confusion entre 2 notions fondamentales entre lesquelles il est  nécessaire d’effectuer une distinction : la liberté d’information et la liberté d’expression. Les médias classiques sont confrontés à la montée des nouveaux médias, des blogs et de l’Internet : on a l’impression qu’avec cette nouvelle donne le métier est remis en jeu voire est susceptible de disparaître. Mais cette évolution concerne plus la liberté d’expression que celle d’informer. Information et expression sont deux choses complètement distinctes : l’information est un vrai métier qui nécessite des compétences, une formation ; l’expression n’a pas les mêmes exigences, en termes de vérité et d’intérêt général.

 

La presse gratuite joue quant à elle un rôle d’aiguillon pour la profession. La presse généraliste est beaucoup trop fondée sur un modèle économique basé plus sur la publicité que sur le lecteur. Elle se fait aujourd’hui déposséder d’une vraie prérogative : la détention des clés d’entrée sur la scène du débat public. Il faut inciter la presse généraliste à revenir vers ses lecteurs en améliorant sa qualité (plus grande proximité avec le public, plus de diversité, plus de rigueur, etc.).

 

Les nouveaux médias constituent à la fois une menace pour la profession et une opportunité pour un journalisme citoyen. La loi permet à n’importe qui d’être journaliste, même complètement ignorant des fondamentaux du métier (déontologie, droit de l’info, etc.). On devrait donc parler plus, sauf rares exceptions, d’expression citoyenne que de journalisme citoyen

Q- Que fait le journaliste que le citoyen ne peut faire aujourd´hui ?

JL ML : La différence entre journaliste et citoyen s’atténue de plus en plus. En théorie ce qui devrait de plus en plus les différencier c’est, pour le journaliste de métier, la vérification de l’information, le fait de pouvoir aller sur le terrain et de passer du temps à réaliser par exemple un reportage. La plupart des journalistes citoyens réagissent à une opportunité personnelle.

L’accès aux sources est encore une prérogative des journalistes. Par ex., les citoyens ne peuvent assister à une conférence de presse du 1er ministre.

 

La recherche d’informations contradictoires est également un élément de taille, tout comme le droit de réponse (devoir théorique car très mal respecté dans la pratique).

 

Il y a aussi la question de la visibilité, que n’a pas le citoyen (sauf les rares blogs qui font exploser l’audience), le journal ayant une adresse sociale, une personnalité juridique, une image de marque.

 

La principale distinction, à mon sens, c’est que les préoccupations majeures du journaliste doivent être celles de l’exactitude des infos et du souci de l’intérêt général, le fait d’être garant d’une culture (politique, sociétale) partagée qui demande beaucoup de professionnalisme. Alors que le citoyen s’intéresse à des aspects ciblés relevant de son activité ou de ses centres d’intérêts propres.

Q - Quels risques présentent les nouvelles logiques de l´information, avec notamment la concentration des médias et la logique entrepreneuriale qui prévaut désormais mais aussi avec l´Internet ? Signifient-ils à vos yeux la mort de la presse écrite ?

On ne peut plus parler de risques mais de nuisances et de dégâts bien réels. La concentration des médias et la nouvelle logique entrepreunariale tournée vers la profitabilité débouchent sur une pensée unique, dans laquelle les injustices et les contestations sont fortement masquées et qui constitue une des causes majeures du mauvais climat social.

Le débat public est faussé par une information polluée et tronquée. La conséquence c’est que le débat social ne repose pas sur des bases claires et justes.

 

Q - Quelles sont d´après vous les attentes des consommateurs vis-à-vis de l´information et des journalistes ? Les médias répondent-ils à une demande ou la créent-ils au contraire ?

Les points les plus importants sont la fiabilité, la diversité ainsi que la correctibilité de l’information : il faudrait que les journalistes fassent preuve de moins d’arrogance, qu’ils reconnaissent leurs erreurs et en rendent plus facilement compte.

Le citoyen attend que les mécanismes de fabrication de l’information soient plus transparents et que les dérives journalistiques soient sanctionnées.

 

Les médias répondent à une demande et la créent à la fois. Le journaliste est déterminant dans l’agenda des événements : il impose ses choix, sa hiérarchie des infos. Cela permet aux citoyens de découvrir des choses. D’un autre côté, il y a une demande du public que les journalistes  cherchent à combler : les exemples du sport et de la peopolisation sont frappants à cet égard.

 

Q - Pour rebondir sur la question du web participatif et des blogs, que pensez-vous de l´idée de démocratie participative mise en avant par Ségolène Royal durant sa campagne à l´investiture socialiste ?


Il est indispensable que le journaliste professionnel d’aujourd’hui organise / intègre la participation publique à l’intérieur du processus de  fabrication de l’information avec des règles du jeu et des rôles bien définis.

 

Q - Considérez-vous le journalisme comme un contre-pouvoir ou comme un pouvoir en soi ?


Le journalisme est à la fois un contre-pouvoir et un pouvoir. Il est un contre-pouvoir dans la théorie et est devenu un pouvoir dans la pratique, mais pas au sens littéral comme on a tendance à le penser.

 

Lors du référendum sur la Constitution européenne, la plupart des grands médias étaient pour le oui alors que le peuple a voté non. Donc, apparemment, la presse a peu de pouvoir. Or, le journalisme a surtout le pouvoir d’agir en amont, sur les représentations collectives, sur les idées qu’on partage, les mythes, sur tout un ordre symbolique, en amont des choix politiques.

 

Les médias apportent une culture, ils ont une influence plus par leur choix des sources d’information, des termes qu’ils utilisent, les paradigmes qu’ils véhiculent, que par leurs positions affichées. Le journalisme ne joue cependant pas assez le rôle de contre-pouvoir, en particulier contre le pouvoir économique.


Q - Enfin, j´aurais aimé savoir de quelle manière vous estimez que le journaliste se doit de traiter la campagne présidentielle.   

C’est là un vaste débat mais à mon avis, le traitement de la campagne présidentielle devrait dépasser la guéguerre, les petites phrases assassines et les conflits entre les factions.

 

Il faudrait au contraire aborder les questions de fond en réalisant une hiérarchie des questions importantes à traiter, définir quels sont, selon eux (les médias), les grands enjeux. Il faudrait pour cela mener plus d’enquêtes auprès de la population pour déterminer quelles sont les attentes et les tensions .

 

Le journaliste devrait interpeller les hommes politiques en leur proposant des idées,  en surveillant l’écart entre les actes et les paroles des politiques, en faisant une analyse des promesses et de la réalité.

 

 

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