» Rapport Sénat - Crise de la presse
La presse est en crise. Que faire ? Voilà en résumé ce que j’ai exprimé devant le groupe de travail sur la « Crise de la presse » du Sénat, présidé par Louis de Broissia, qui m’a auditionné le 19 juin 2007, comme auteur du livre « L’Information responsable ».
Voir ce qu´il en retenu dans son rapport (téléchargez document ci-contre).
La qualité déontologique de l’information, dont parlent trop peu les professionnels du secteur quand ils évoquent la crise de la presse, dépend d’un nombre très important de facteurs et d’intervenants. Et pas seulement des journalistes, contrairement à ce qu’on croit. Bien sûr, les journalistes sont les plus concernés. Mais leur travail ne peut être correct et responsable si un certain nombre de conditions ne sont pas réunies.
La première de ces conditions, c’est un environnement juridique clair et favorable. L’activité des médias est réglementée par la loi de juillet 1881, qui n’est pas une loi sur la presse proprement dite, mais sur la liberté de publication en général. Nulle part, dans notre arsenal législatif, ne sont précisément définis ni ce qu’est la presse, ni le journalisme. Il n’y a pas non plus de définition du journaliste autre que celle-ci : un journaliste est «celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession», dans un journal, «et qui en tire le principal de ses ressources».
La profession commence à s’en émouvoir. Un groupe de travail informel, animé par Jérôme Bouvier et dont je fais partie, planche actuellement sur des formulations plus précises et plus significatives. Nous visons également la rédaction d’une charte nationale Qualité de l’information qui pourrait intégrée à la Convention nationale des journalistes.
De même, le droit du chacun à recevoir une information exacte et honnête pour pouvoir se faire par lui-même une opinion n’est pas inscrit dans notre droit. Il existe des bribes de “droit à l’information”. Elles concernent seulement l’information administrative (loi de juillet 1978), sportive (loi de juillet 1984) et environnementale (Convention d’Aarhus).
La deuxième condition, c’est une frontière clairement établie entre les rôles d’éditeur et de journaliste. Le journaliste n’est pas indépendant sur le fond de ses informations, car il dépend de son employeur (il est salarié, il n’est pas comme en profession libérale seul responsable de ses actes). Le droit du public à savoir peut entrer en contradiction avec les intérêts du patron de presse. Le journaliste n’a pas de texte à opposer à son employeur pour revendiquer l’utilité publique de ses articles.
Une solution par mi d’autres serait de donner une existence juridique aux sociétés de journalistes ou de rédacteurs à l’intérieur de chaque média, avec des droits et de devoirs clairement exprimés.
La troisième condition est un traitement correct des journalistes dans leur environnement de travail. Les PPDA sont très minoritaires en nombre et beaucoup de journalistes sont des “soutiers de l’information ” que personne ne connaît. Et qui n’ont ni les salaires ni l’influence d’un PPDA. Les pigistes, corvéables et souvent précaires, sont passés de 1 sur 10 il y a 30 ans à 1 sur 5 aujourd’hui.
C’est aussi donner les moyens au journaliste d’aller chercher l’information au lieu de presque tout baser aujourd’hui sur ce qui lui est procuré par les attachés de presse.
La quatrième et dernière condition est l’instauration d’une régulation de l’exercice de la profession, en association avec la population. On se plaint des lynchages et du pilori médiatiques, de l’arrogance des journalistes, de l’impossibilité à leur faire reconnaître leurs erreurs, etc. Quand le pire est atteint, il n’y a que la régulation judiciaire, c’est-à-dire le tribunal. Une solution coûteuse et risquée, qui donne rarement satisfaction et qui est trop lourde à mobiliser pour le tout-venant.
Les journalistes ont toujours refusé l’existence d’un Ordre professionnel, à l’instar de celui qui gère les métiers de médecin ou d’avocat. C’est normal : ce serait contraire à la liberté d’expression. Seulement, qu’ont-ils proposé à la place : rien ! Ce n’est plus acceptable !
C’est pourquoi nous sommes quelques uns à promouvoir l’idée d’un Conseil de presse.
Pour rassurer mes confrères, je dirai qu’il ne faut pas confondre “régulation” et “contrôle”. Le contrôle est une “vérification”, une inspection pour s’assurer que ce qui est fait (ou dit) correspond bien aux normes en vigueur. La régulation, comme le dit le Robert, est le fait de “maintenir en équilibre, d’assurer le fonctionnement correct d’un système complexe”. Il s’agit donc surtout d’une notion d’équilibre. Pour la presse, équilibre entre la liberté d’expression, le respect des lois déontologiques et le respect des lecteurs et du public.
Il serait temps, à mon sens, que notre profession reconnaisse la nécessité d’un mécanisme (tripartite : journalistes, éditeurs, public) permettant de concourir à cet équilibre.
Enfin, il existe une instance officielle qui joue le rôle indirecte d’arbitre déontologique : la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). C’est elle qui délivre un agrément qui permet de recevoir ou non les aides directes et indirectes à la presse (des subventions qui au total avoisinent les 2 milliards d’euros par an !). Pour rendre ses avis, cette commission regarde si les publications ont un caractère d’intérêt général. Il n’est pas acceptable que ni les journalistes, ni le public n’y soient représentés. N’y siègent en effet que des représentants du gouvernement et des éditeurs de presse. C’est-à-dire uniquement les pouvoirs… De fait, certaines publications contestataires se voient ainsi refuser leur agrément.