Ivan Rioufol, journaliste : « Les médias n’osent plus affronter l’intelligence »


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Interviewé par la revue Médias dans son numéro d’été (n° 33 actuellement en kiosque), le journaliste, autoproclamé « réactionnaire » et éditorialiste au Figaro, n’est pas tendre avec sa confrérie. Sans partager ses idées, je souscris à son constat concernant notre profession. Extraits.

 

Vous vous vantez d’être réactionnaire. Qu’est-ce que ça veut dire, pour un journaliste  ?


Dans mon métier, c’est être continuellement indigné, réactif, c’est refuser d’adhérer au conformisme de la profession, lequel est étouffant. En 1976, je suis devenu journaliste dans la presse locale. Les premiers mots que j’ai entendus à l’époque étaient déjà  : « Non, coco, tu ne parles pas de ça  ! »

 

Les choses ont-elles changé depuis  ?


Non. Dans ce journalisme de proximité, les espèces protégées étaient les pouvoirs locaux, les corps constitués  : on leur devait une certaine déférence. Première frustration. En « montant » à Paris, en 1985, j’ai découvert une autre connivence. Vis-à-vis, cette fois, des élites politiques et médiatiques. Les journalistes étaient priés de ramer avec le courant. Je me suis naturellement tenu en marge. (…)

 

Les journalistes agissent ainsi par carriérisme ou parce qu’ils sont convaincus  ?


D’abord par confort intellectuel, conformisme, paresse, nombrilisme corporatiste… Je ne suis pas sûr que mes confrères aient des convictions très profondes. Le manque de courage est fort répandu dans la profession. Peut-être est-ce dû à son mode de recrutement, à sa formation, à son manque d’idéal. Difficile à expliquer, puisque aucun livre n’a été écrit sur ce que pensent vraiment les journalistes. Ils sont très individualistes. Ils peuvent faire semblant d’être dans le moule et penser tout à fait différemment. Selon moi, l’explication la plus probable à cette couardise est la recherche perpétuelle du confort intellectuel décrit par Marcel Aymé. Il est tellement plus simple d’adhérer à la pensée convenue. (…)

 

C’est d’autant plus désespérant que notre profession se donne en exemple et administre des leçons à la terre entière, en se dispensant de regarder ce qu’elle est elle-même devenue. (…)

 

En fait, l’expression d’idées non conformistes, ou non labellisées, est vue comme une forme de dissidence. Ce qui est tout de même le comble de l’aberration dans une démocratie libérale. (…)

 

Elisabeth Lévy emploie le mot « niaiserie » à propos des journalistes. Vous êtes d’accord  ?


Bien trouvé. Niaiserie, angélisme, moutonnerie… Au sein de notre profession et, plus généralement, au sein du monde politique existe une véritable crise de l’intelligence. A force de ne pas vouloir regarder les faits, on est devenus cons. Incapables d’accepter un débat contradictoire, des idées qui dérangent. Ceux qui ont pour mission d’être le réceptacle de cette effervescence intellectuelle ne sont plus capables de l’assumer. (…) Les médias n’osent plus affronter l’intelligence, désormais réduite à l’exil intérieur.

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