Voici une grille d’analyse des articles d’information qui peut servir à tout le monde, autant aux journalistes eux-mêmes (pour vérifier la qualité véritale* de leurs articles) qu’au public qui a besoin d’un outil pratique et simple pour mesurer la valeur (sur le plan cognitif et éthique) des informations qu’il reçoit.
La liberté de la presse ne peut s’exercer sans responsabilité. Et il n’y a pas de responsabilité sans prise en compte de la conséquence de ses actes. Mais comment juger de ces conséquences ? Qui doit surveiller la qualité des informations en termes de vérité et d’impacts sur la société ? Qui peut veiller à l’application des règles de fabrication de l’information (déontologie) afin que cette information ne nuise pas à tort au public ?
Peut-on laisser aux seuls journalistes le soin de veiller au respect de ces règles de fabrication ? Sinon, si quelqu’un d’autre est chargé de mesurer la qualité des pratiques journalistiques, n’y a-t-il pas un risque de restreindre la liberté de la presse ?
Jusqu’à ce jour, la profession journalistique a refusé qu’une instance corporatiste (du genre “conseil de l’ordre“) ou administrative (genre CSA, Conseil supérieur de l’audiovisuel) mette son nez dans ses affaires. Mais, n’ayant rien proposé à la place, le problème reste entier.
C’est pourquoi, ayant beaucoup réfléchi à la question, je pense que la formalisation des principes journalistiques et l’éducation du public sont les meilleures réponses à cette question. Donnons-nous, à nous journalistes, un canevas complet et synthétique de critères à respecter et habituons nos lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes à avoir un peu de recul sur ce qu’ils ingurgitent.
C’est dans ce but que j’ai conçu cette grille d’analyse de la qualité de l’information journalistique, c’est-à-dire de l’information qui prétend informer librement et avec le souci de l’intérêt général. Elle récapitule et formalise les grands principes du métier (Charte des devoirs des journalistes français, Déclaration européenne des devoirs et des droits des journalistes, projet de Code de déontologie des journalistes) qui peuvent être appliqués à toute production d’information
Pour établir cette grille d’analyse, je propose de partir de ce que nous pouvons imaginer être l’information journalistique idéale (déontologiquement et éthiquement parlant). Nous pouvons donc nous appuyer sur des critères positifs, renvoyant aux principales valeurs d’un journalisme de qualité.
Cet idéal ne concerne pas l’information dans son contenu mais uniquement dans son processus d’élaboration (de fabrication).
Toute information, même la plus descriptive et objective possible, comporte nécessairement une part de subjectivité : choix du sujet, de l’angle, du périmètre (lieu, temps, personnages, etc.), interprétation, etc. C’est pourquoi nous pouvons étudier toute information publiée sous ses deux aspects descriptif et interprétatif, factuel et significatif, du constat et du jugement.
>> Pour les articles d’opinion (éditorial, commentaire, critique, caricature, tribune libre, interviews, etc.), la tolérance envers l’aspect interprétatif est évidemment plus grande que dans le cas d’un article se voulant purement ou essentiellement informatif.
L´information respecte-t-elle les critères constitutifsd’une information journalistique de qualité (éthique) ? |
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Critères |
OUI |
NON |
Sans objet |
1 – Exactitude | |||
2 – Précision | |||
3 – Complétude | |||
4 – Vérification | |||
5 – Recoupement | |||
6 – Séparation fait/opinion | |||
7 – Investigation | |||
8 – Éléments fournis par le public | |||
9 – Test du contradictoire | |||
10 – Honnêteté de l´information | |||
11 – Impartialité | |||
12 – Respect de la loi | |||
13 – Intégrité | |||
14 – Indépendance rédactionnelle | |||
15 – Relativisme |
1 – Exactitude (vérité, conformité, justesse, cohérence, …)
2 – Précision (concision, rigueur, clarté, particularité, …)
3 – Complétude (logique, complexité, exhaustivité, circonstancié…)
4 – Vérification (sur le terrain, auprès des acteurs concernés,…)
5 – Recoupement (avec d’autres sources, auprès d’autres acteurs…)
6 – Distinction fait/opinion (dans la mesure du possible)
7 – Investigation (originalité, information recherchée ou rapportée, de première ou seconde main, etc.)
8 – Éléments fournis par le public (commentaires, rectifications,…)
9 – Test du contradictoire (les thèses autres ou inverses ont été étudiées)
10 – Honnêteté de l’information (conscience, sincérité, bonne foi, hiérarchisation, absence de manipulation, distinction info/promo-communication, etc.)
11 – Impartialité (neutralité, absence d’animosité, équité, objectivité…)
12 – Respect de la loi sur la presse (loi de juillet 1881)
13 – Intégrité (ni pub ni autocensure, refus des cadeaux, du copinage masqué…)
14 – Indépendance rédactionnelle interne (publicité, actionnaire) et externe (Etat, acteurs puissants,…)
15 – Relativisme (nuance, prudence, pas de jugement définitif, se mettre à la place de l’autre, modestie,…)
>> Pour être complet, un critère de tact et d’humanité (respect, sensibilité, ouverture d’esprit) peut également figurer dans une grille d’analyse déontologique. Principalement en raison des souhaits du public, souhaits parfois clairement formulés, de voir les journalistes plus respectueux des situations vécues par lui. Notamment dans le traitement des faits divers
La démarche que je propose se distingue d’autres démarches existantes en ce sens qu’elle vise moins à dire le bien et le mal et plus à faire de la pédagogie sur la complexité du travail journalistique.
Certes, le Conseil de presse qui l’utiliserait pourra toujours blâmer ou non les accusés en s’appuyant sur les résultats de la grille. Mais son avis pourra être à la fois précis, complexe et nuancé, permettant au couple journaliste/média de tirer des enseignements constructifs pour améliorer sa production et au public d’approfondir sa compréhension des enjeux de la transparence démocratique
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Annexe
A toutes fins utiles, les critères sont présentés ici de façon distincte, selon qu’ils concernent le plan factuel ou celui de la signification.
Le plan factuel s’adresse à tous les articles journalistiques, qu’ils soient d’information ou d’opinion. Les exigences du plan du sens (signification), notamment l´impartialité, sont plus fortes pour l’article d’information. On conçoit bien qu’un article présenté comme étant d’opinion est moins tenu à “l’objectivité“ et à la neutralité qu’un article d’information pure.
Plan factuel (descriptif, constat)
1 – Exactitude (vérité, conformité, justesse, cohérence, …)
2 – Précision (concision, rigueur, clarté, particularité, …)
3 – Complétude (logique, complexité, exhaustivité, circonstancié…)
4 – Vérification (sur le terrain, auprès des acteurs concernés,…)
5 – Recoupement (avec d’autres sources, auprès d’autres acteurs…)
6 – Distinction fait/opinion (dans la mesure du possible
7 – Investigation (originalité, information recherchée ou rapportée, de première ou seconde main, etc.)
8 – Éléments fournis par le public (commentaires, rectifications,…)
Plan de la signification (interprétatif, jugement
1 – Test du contradictoire (les thèses autres ou inverses ont été étudiées)
2 – Honnêteté de l’information (conscience, sincérité, bonne foi, hiérarchisation, absence de manipulation, distinction info/promo-communication, etc.)
3 – Impartialité (neutralité, absence d’animosité, équité, objectivité…)
4 – Respect de la loi sur la presse (loi de juillet 1881
5 – Intégrité (ni pub ni autocensure, refus des cadeaux, du copinage masqué…)
6 – Indépendance rédactionnelle interne (pub, actionnaire) et externe (Etat, acteurs puissants,…)
7 – Relativisme (nuance, prudence, pas de jugement moral sur les personnes, se mettre à la place de l’autre, modestie,…)
0 – Tact, humanité (respect, sensibilité, ouverture d’esprit,…). Ce critère n’est pas retenu (par la majorité des participants à l’atelier) dans la grille d’analyse déontologique. Il peut cependant être évoqué le cas échéant dans un avis du CP, notamment en raison du souhait du public, souhait parfois clairement formulé, de voir les journalistes plus respectueux des situations vécues par lui.
* "Vérital" est un néologisme créé par JL ML pour indiquer un concept nouveau : celui qui permet de dire que tout a été fait, en fonction des moyens en notre possession, pour approcher le plus haut degré de vérité possible. Ce n´est pas une preuve de vérité, mais une garantie de sincérité et de technicité concernant la fabrication de l´information.