Lettre ouverte

« Gilets Jaunes » : M. le Président, les Français ont besoin d’amour !


Par Jean-Luc Martin-Lagardette
Emmanuel Macron envoyant un baiser à la foule lors de son discours du Louvre après sa victoire électorale. Photo : Pierre Villard, Sipa.

« Je vous servirai avec amour ! », avez-vous clamé, trois heures à peine après votre élection à la présidence de la République, à la fin de votre discours place du Carrousel au Louvre, à Paris, le 7 mai 2017. Vos sympathisants mais aussi des millions de Français vous avaient écouté avec étonnement, enthousiasme ou espoir. Beaucoup, devant la nouveauté de votre ton, étaient prêts à faire le pari du changement.
Peut-être, se disaient-ils, ce nouveau président, si différent des autres, saura-t-il donner un véritable élan au pays et nous sortir d’un marasme politique figé par des décennies de promesses non tenues et de mensonges...

Ils ont vite déchanté.
Pourquoi ? Parce que vous avez « oublié » votre serment. Vous avez fait passer votre «légitimité» avant votre «sensibilité», avant votre cœur.

Les Français sont prêts à beaucoup pardonner pourvu qu’on reste simple et qu’on leur ouvre ses bras.

A chacune de vos interventions, systématiquement, vous rappelez que vous avez été démocratiquement élu pour réaliser un programme précis.

Certes, vous avez tenu bon sur ces engagements-là.

Mais, en réaction à certaines maladresses, comme celle de ne pas avoir donné priorité au social et à l’équité, objections et contestations ont fusé. Face à elles, vous brandissez l’évidence de votre légitimité comme un talisman censé dissoudre toutes les critiques. Vous vous sentez à ce point justifié dans votre démarche que vous passez à côté d’une vérité encore plus haute. Une vérité dont l’oubli éclate à chacune de vos interventions et qui jette à chaque fois de l’huile sur le feu  : quand un être souffre, la priorité des priorités est d’ôter sa douleur, avant même que de lui administrer le remède qui va le guérir  !

Vous, vous voulez lui faire avaler vos potions, sûrement pertinentes et effectivement clairement annoncées lors de votre campagne, mais elles n’agissent pas sur la souffrance dans l’immédiat.

C’est pourquoi les « gilets jaunes » vous en veulent tant jusqu’à, pour beaucoup d’entre eux, vous haïr. Et, chaque fois que vous avancez une proposition sans que vibre votre sensibilité, vous enfoncez une épine dans la chair déjà meurtrie des Français qui souffrent.

« Je vous ai compris ! » Le discours du général de Gaulle le 4 juin 1958 à Alger.


Monsieur le Président, il n’est pas de haine plus vive que l’ancienne tendresse qui s’estime bafouée. Beaucoup de Français avaient cru en vous. Je voudrais faire un parallèle avec une période de notre Histoire qui a connu semblable espérance et semblable désillusion, même si elle concernait un tout autre registre. Quand le général de Gaulle, le 4 juin 1958 au Forum d’Alger, prononce sa fameuse phrase  : « Je vous ai compris  ! », les Français d’Algérie exultent. Ils l’applaudissent à tout rompre pendant de longues minutes  : « Enfin un homme politique, le premier de tous, qui nous prend en considération, nous comprend, répond à notre attente  : l’Algérie restera bien française  ! », pensent-ils.

En fait, très vite, c’est pour eux la débâcle. Le 19 mars 1962, l’indépendance est accordée aux Algériens. Les Pieds-noirs, menacés, violés, massacrés malgré les engagements de l’accord d’Evian, doivent fuir le territoire au plus vite, abandonnant tout sur place.

Aujourd’hui, soit 57 ans après les événements, la plaie est toujours vive, la rancœur n’est pas apaisée. Beaucoup de rapatriés et leur famille considèrent le grand homme comme un traitre.
Et, même s’ils finissent par admettre que la brusque évolution de leur histoire était inéluctable, il y a une chose qu’ils ne pardonnent pas au général : son insensibilité.
Après avoir su calmer leur angoisse et combler leur espérance, il les a de fait abandonnés sur place dans de dramatiques conditions : plus d’autorité, ni d’administration, ni d’armée française tandis qu’explosaient les exactions contre eux.

Mais ce qui leur a fait le plus mal, ce n’est pas tant l’arrachement et la somme des violences subies. C’est qu’après avoir touché leur corde sensible, le président de la République française ne les ait pas aimés  : « On se serait mieux laisser faire si de Gaulle… nous avait plaints…, s’il avait manifesté un semblant de cœur… vis-à-vis de ce que vivaient les Pieds-noirs »[1].

La chercheure conclut son livre par ce constat  : « Les politiques veulent ignorer les hommes concrets  ; ils manient de grandes catégories, affirment toujours agir en fonction d’intérêts supérieurs, dussent les vivants en souffrir ».

Mais aujourd’hui, malgré la continuité du mécontentement des G.J., tout n’est pas encore perdu. M. le Président, vous êtes sans doute la personnalité la plus qualifiée pour redresser le cap après la si longue dérive politique que notre pays a connue.

La "Lettre ouverte au Président" a bien été réceptionnée par l’Élysée.

Vous avez été élu selon nos lois. Vous avez présenté une vision nouvelle et hors partis traditionnels qui semblait prometteuse. Vous êtes dynamique et courageux.

Deux conditions doivent à mon avis être réunies  :
- Réaliser qu’il s’agit d’un mouvement de fond irréversible et non d’une crise passagère.
- Mettre vraiment en œuvre vos spécificités au service du peuple : ce qui est une critique fréquente (« président des riches ») pourrait être un formidable atout  ! En effet, je ne vois personne d’autre que vous pour aller solliciter vos relations (dans les finances, les grandes entreprises, les institutions, les riches, etc.) pour les convaincre d’accepter de nouveaux modes de concertation et de prises de décision collective, et de redistribuer de façon plus équitable les richesses, en mettant la revendication de la fraternité au sommet de l'édifice. C’est aussi leur intérêt, aux classes aisées, de sortir de leur égoïsme, de participer volontairement et très concrètement à la justice sociale.

D’ailleurs, je suis persuadé que bien des patrons et possédants seraient heureux de le faire, d’afficher que leur liberté d’entreprendre sert plus et mieux au bien commun.
Tout le monde y gagnerait.

A quel titre me permetté-je de vous parler ainsi, M. le Président  ? Je ne suis pas un donneur de leçon, je parle en simple citoyen qui vous soutient autant qu’il soutient les « gilets jaunes » et la République.

Au nom de la fraternité.


[1] Jeannine Verdès-Leroux, directeure de recherche au CNRS, in « Les Français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui. Une page d’histoire déchirée », Fayard 2001.

One thought on “« Gilets Jaunes » : M. le Président, les Français ont besoin d’amour !

  1. jullien jean-paul

    Voilà au moins une personne qui se lâche et vide son sac, mais ce n’est qu’un avis très personnel et non l’avis des Français..je ne comprendrais jamais toutes les belles paroles qui parlent des Français alors qu’elles ne représentent qu’une infime minorité de la population….
    il faut avoir le courage de ses opinions en parlant juste en son nom….et non au nom «  »des Français » ».. D’ailleurs un sondage d’opinion récent laisse entrevoir que si il y avait une élection aujourd’hui Monsieur Macron serait réelu avec une marge encore plus confortable… Donc les gilets jaunes avaient une belle et bonne démarche à l’origine et aujourd’hui c’est du très très grand n’importe quoi….de l’utopie, du rêve, de l’illusion….

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