L’oncologue américaine Azra Raza publie un livre-choc sur l’impasse dans laquelle se trouve la lutte contre le cancer dont l’épidémie ne faiblit pratiquement pas. Bourré de témoignages poignants, son ouvrage propose une évolution radicale de la recherche vers la détection de la « première cellule » cancéreuse.
Voilà une épidémie qui se prolonge d’année en année et qui cause toujours d’horribles souffrances difficilement évitables. Malheureusement, son traitement, médical et politique, n’est pas à la hauteur du défi.
Peu d’officiels le reconnaissent.
Azra Raza, oncologue et professeure de médecine américaine, dans un livre bouleversant et extrêmement documenté ("Il n'existe qu'une façon de vaincre le cancer : le prévenir. À la recherche de la première cellule". Quanto, Lausanne, 2021), met les pieds dans le plat.
Elle ose dire aujourd’hui que « le roi est nu » : « Le mode traitement de la leucémie aigüe myéloïde (LAM) n’a guère évolué en 50 ans, pas plus que celui de la plupart des cancers courants. À quelques variations mineures près, on applique toujours le même protocole combinant chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie : la sempiternelle trinité "couteau, poison, feu". C’est embarrassant. Tout comme le déni arrogant de cet embarras. (…) On qualifie régulièrement de "révolution" l’amélioration du taux de survie des patients mesurée en semaines. Vis-à-vis des malades, ces déclarations prometteuses sont profondément injustes. Personne ne gagne la guerre contre le cancer[1]
Tout cela n’est que du vent, la rengaine immuable des mêmes voix vaniteuses depuis plus de cinq décennies ».
« Imminence d’un traitement miraculeux »
Azra Raza ne cible pas la faiblesse de la recherche, ni la compétence ou l’honnêteté des chercheurs. Elle dénonce le fossé abyssal qui sépare aujourd’hui nos connaissances sur la biologie du cancer de nos capacités à les exploiter au profit des patients : « Depuis 40 ans, j’entends les mêmes prédictions débordantes d’optimisme sur l’imminence d’un traitement miraculeux grâce à notre meilleure compréhension des oncogènes, des gènes suppresseurs de tumeurs, du génome humain et du transcriptome, du système immunitaire ou de la manière de bloquer l’irrigation sanguine des tumeurs. La plupart de ces prédictions sont tombées à plat en situation réelle. (…) Il est aussi réaliste d’espérer trouver de meilleurs médicaments à l’aide des plateformes de recherche existantes ou de systèmes encore plus artificiels d’animaux génétiquement modifiés que de vouloir disséquer le cerveau en espérant y découvrir la conscience[2] »
Une autorité internationale
Cette situation lui est devenue insupportable.
D’où son besoin d’alerter l’opinion pour « exiger un remaniement complet de la culture actuelle du cancer telle qu’elle s’est développée. [Car] l’approche du cancer a atteint un point final grotesque. [A tel point que,] en clinique comme en conférences scientifiques, j’ai eu un sentiment d’imposture, l’impression d’être un prétentieux charlatan intellectuel ».
Azra Raza n’a pourtant rien d’un charlatan. Oncologue traitante, professeure de médecine, chercheuse fondamentale, clinicienne et directrice du Centre du syndrome myélodysplasique à l'Université de Columbia (USA), elle est considérée comme une autorité internationale en la matière : « J’ai pris soin de milliers de patients atteints de cancer et accompagné nombre d’entre eux jusqu’à la mort », y compris son propre mari, oncologue comme elle et mort dans ses bras.
C’est dire si elle sait de quoi elle parle. D’autant plus qu’elle s’est impliquée de façon exceptionnelle dans la vie et même l’intimité de ses malades (« Je vois 30 à 40 patients chaque semaine »), devenant l’amie de beaucoup d’entre eux. Une rare empathie dont elle décrit longuement les effets tout au long de son livre, décrivant les parcours tortueux des suppliciés. Elle donne aussi la parole aux malades et à leur entourage, exprimant son empathie et sa rage devant l'impuissance face à la mort.
« Si j’insiste sur les détails de la souffrance individuelle dans les pages qui suivent, écrit-elle dans son introduction, c’est pour souligner la nécessité urgente de changer, pour nous obliger, en tant qu’individus et en tant que société à briser les chaînes du dogme et de la tradition. »
« "Rester positif", voilà le refrain »
Avec sincérité et lucidité, l’auteure livre une réalité sensible et poignante qu’évoquent rarement décideurs et pontes de la politique sanitaire. Au contraire de son témoignage, leurs discours sont toujours rassurants, montant en épingle les moindres avancées obtenues dans la recherche ou la statistique : « "Rester positif", voilà le refrain. »
Certes, aujourd’hui, nous guérissons 68 % des cancers nouvellement diagnostiqués, mais avec quoi ?, s’insurge le Dr Raza. Avec les mêmes stratégies de brûlure et de poison découvertes il y a plusieurs décennies : « Faisons-nous vraiment de notre mieux ou devrions-nous remettre en question certaines des mesures draconiennes que nous appliquons ? Où est le bénéfice des solutions que nous proposons quand nous devons sans cesse nous demander qui, du cancer ou de son traitement, va tuer le patient ? »
Exploiter les tueurs naturels du corps
Pour l’oncologue, d’origine pakistanaise, le gros des efforts de la recherche doit plutôt porter sur la détection précoce de la première cellule cancéreuse, de sorte à éliminer celle-ci avant qu’elle n’évolue sous forme d’un système incurable et hors de contrôle : « Le traitement idéal à l’avenir consistera à exploiter les tueurs naturels du corps lui-même pour éliminer les premières cellules cancéreuses de l’organisme ».
Dans cet objectif, elle a commencé à collecter des échantillons de sang et de moelle sur ses patients en 1984. Car c’est en surveillant l'apparition de la première cellule chez les personnes présentant un risque élevé de développer un cancer que l’on pourra agir le plus efficacement.
Aujourd’hui, sa banque de tissus, la plus grande et la plus ancienne du pays avec plus de 60 000 échantillons, est considérée comme un trésor unique.
Un groupe d'éminents spécialistes s’est constitué pour réfléchir sur ce nouvel impératif, puis le concrétiser. Dans le magazine Scientific American, il a récemment publié sa vision d'un avenir où « aucun cancer ne sera détecté trop tard pour être traité ».
Commentaire :
Ce livre coup de poing et salutaire aurait sans doute été encore plus percutant si le concept de prévention qu’il prône ne se limitait pas « à la recherche de la première cellule », comme indiqué dans le titre de l’ouvrage.
En effet, le Dr Raza n’évoque jamais la prévention proprement dite, celle qui s’efforce d’éviter drastiquement les causes connues du cancer : alcool, tabac, alimentation trop riche ou synthétique, manque d’activité physique, obésité, pollutions de toute nature, abus de médicaments, stress, etc.
Elle n’en parle pas sous le prétexte que le cancer peut aussi se déclarer chez des personnes qui mangent sainement, font du sport, ne fument pas, etc.
Pour elle, « il ne s’agit pas nécessairement de changer de modes de vie ». Cette phrase, lourde de conséquences, me semble très maladroite, car elle laisse entendre que l’on peut continuer à s’exposer à des facteurs oncogènes du moment que l’on surveille attentivement l’apparition des premières cellules dérivantes.
Pourquoi n’avoir pas incité à tout faire, y compris à modifier « les modes vie », pour donner à chacun le plus de chances possibles de se prémunir de cette horrible maladie ?
Azra Raza raisonne en clinicienne. Et dans ce domaine, elle est exemplaire et exceptionnellement compatissante. Il est regrettable qu’elle n’ait pas jugé aussi utile d’empêcher les cancers évitables en incitant à agir sur leurs causes (pour autant que nous les connaissons.)
[1] Rien qu’en France, cela fait des années que plus de 150 000 personnes meurent du « crabe » tous les ans (157 400 Français en 2018). Et on estime que 3,8 millions d’entre eux ont eu ou vivent avec un cancer (chiffre 2017).
[2] Malgré les dizaines de milliards de dollars dépensés chaque année depuis 40 ans, « nous sommes toujours dans le flou au sujet des origines du cancer »..
Une chercheuse française d’origine italienne, Patrizia Paterlini-Bréchot, travaille depuis plusieurs années sur cette piste de détection précoce du cancer avec un test permettant de détecter une cellule tumorale circulante dans 10 ml de sang.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrizia_Paterlini-Br%C3%A9chot
Le traitement préventif du cancer proposé par le Dr Gernez avait été occulté.
Dr André Gernez, cancérologue décédé en 2014, père de la théorie des cellules souches, avait découvert que les cellules cancéreuses pouvaient être éliminées de l’organisme avant qu’elles n’atteignent, après division cellulaire, le nombre de 1 milliard, au moment où elles sont détectables dans l’organisme.
Il avait obtenu un taux exceptionnel d’éradication de la maladie avec des
rats chez lesquels ont avait provoqué un cancer du foie. Son résultat avait été confirmé en 1969 par une étude menée par le docteur Gak de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Il avait mis au point un traitement préventif simple sur 10 jours qui, suivi chaque année, éviterait tout développement de la maladie chez les sujets à risque.
Alerté, le ministre de la Santé de l’époque organise une réunion, en 1974, pour définir sa position. Finalement, il décide d’occulter la procédure proposée par le docteur. Pour deux raisons : la direction de la santé publique ne peut pas rendre une telle démarche préventive
obligatoire ; un accroissement de la longévité moyenne de sept ans rendrait insoluble le problème de surpopulation dans les hospices.
Autrement dit, si nos vieux vivent trop longtemps, nos centres d’accueil seront débordés !
> Son livre en téléchargement : POUR UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE PRÉVENTION ACTIVE DES CANCERS
https://tinyurl.com/yxnd943m