Cancer : à propos de la campagne Miviludes/Inca contre les «risques de dérives sectaires»


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Les pouvoirs publics ont engagé une campagne de communication auprès des patients pour tenter de les détourner des médecines douces qui risqueraient de leur faire perdre, selon eux, des chances de guérison. Nous analysons ici en quoi cette campagne nous paraît faussée et pourquoi elle risque de ne pas porter fruit.

 

Voici d’abord le communiqué officiel  :

 

« La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et l’Institut national du cancer (Inca) mènent une action de sensibilisation des patients atteints de cancer aux risques de dérives sectaires associés à certaines pratiques de soins.

L’expérience éprouvante de la maladie peut rendre vulnérable, et par conséquent, donner prise à des propositions de pseudo-thérapeutes allant jusqu’à recommander l’interruption des traitements recommandés par les équipes médicales.

Un dépliant et une affichette de sensibilisation ont donc été conçus afin de sensibiliser les patients et leurs proches à ces risques de dérives sectaires.

Factuels, ces outils évitent l’écueil de la diabolisation et de la dramatisation pour lister de façon très concrète et pratique les circonstances qui doivent conduire à être vigilant  : quand les traitements classiques sont dénigrés, quand on recommande de les arrêter, quand on prétend agir simultanément sur le mental et le physique, etc.

Le texte de ces documents a été élaboré collectivement par un groupe de travail rassemblant des représentants d’associations de patients, de fédérations hospitalières et du Conseil national de l’Ordre des médecins. »

>> Dépliant d’information.

>> Affichette.

 

A première vue, on pourrait se féliciter d’une telle démarche, qui présente en outre une forme informative évitant « l’écueil de la diabolisation et de la dramatisation ».

 

En réalité, il y a bien diabolisation et dramatisation. La démarche est faussée dès le départ par quatre erreurs fondamentales  : un, les risques évoqués ne sont pas correctement définis  ; deux, à supposer qu’ils le soient, ils ne sont absolument pas mesurés  ; trois, la campagne fait l’impasse sur les risques comparés de la médecine conventionnelle  ; quatre, l’affirmation outrancière que nulle influence mentale ne peut jouer significativement dans le processus de guérison.

 

Les risques ne sont pas correctement définis

 

Ni le terme de « secte » ni celui de « dérive sectaire » n’ont de définition juridique. Lancés comme l’accusation de rage pour le chien qu’on veut noyer, leur emploi dans le domaine scientifique, administratif ou journalistique devrait donc être banni. Car ils suscitent et autorisent toutes les décisions et comportements arbitraires au détriment de la justice, de la vérité et des droits de l’homme. Ils favorisent un racisme très particulier, similaire à l’antisémitisme (et moralement condamnable comme lui)  : la sectophobie, qui englobe en particulier bon nombre de médecines douces.

 

Les risques ne sont absolument pas mesurés

 

La supposée menace est seulement basée sur certaines inquiétudes, des « signalements » comme on aime le dire à la Miviludes, et quelques cas, spectaculairement exploités par les médias, de comportements effectivement condamnables. Tout travail statistique sérieux, y compris de récentes enquêtes parlementaires, montre qu’il y a en fait très peu d’occurrence de ces risques.

 

N’est-il pas aventureux, voire diffamatoire, à quelques très rares et condamnables exceptions près, d’affirmer que le recours aux médecines douces, de plus en plus fréquent chez les Français, détournerait les patients de la médecine classique et donc les priverait d’une chance de guérir  ? Car il semble exceptionnel que des médecins différents demandent à leurs patients d’arrêter les traitements conventionnels. Dans l’immense majorité des cas, ils proposent des compléments et des accompagnements (voir l’instructive affaire du Dr Gardénal). Des études scientifiques sur cette question précise seraient bienvenues.

 

L’impasse sur les risques et dérives de la médecine conventionnelle

 

Les promoteurs de la campagne citent quelques critères censés caractériser une « dérive sectaire », et notamment « quand les traitements classiques sont dénigrés  ; quand on prétend agir simultanément sur le mental et le physique ».

 

S’il fallait considérer comme sectaire quiconque interroge les traitements classiques, peu de gens échapperaient au qualificatif, car même des médecins patentés critiquent telle ou telle méthode, sans compter tous les rapports publiés suite aux différents scandales sanitaires qui ont émaillé l’histoire récente de notre pays. Il suffit de lire les analyses du système du médicament après l’affaire du Mediator pour constater à quel point les autorités ont failli dans leur mission de protéger la santé des Français. Et combien la critique est non seulement justifiée mais aussi indispensable.

 

L’influence du mental et du psychologique


Autre critère prétendument signe de dérive sectaire  : « quand on prétend agir simultanément sur le mental et le physique ». Voilà une affirmation très grave et, pour le coup, très dangereuse. C’est très grave d´affirmer, avec toute la force de persuasion et la légitimité théorique d’une mission interministérielle et d´un ministère (celui de la santé) que le cancer ne concerne que des aspects physiques et que son traitement ne peut donc être diligenté que par des moyens physiques. En effet, c´est priver les malades d’une dimension majeure, celle de l’influence du moral et de la pensée sur l’organisme humain.

 

Comment M.Fenech fera-t-il croire aux proches d’un patient, frappé d’un cancer très peu de temps après un traumatisme affectif par exemple, qu’il n’y a pas de lien de cause à effet  ? Et qui n’a été témoin dans son entourage de tels événements  ? De plus, l’importance de la composante mentale et psychologique dans le processus de guérison est de plus en plus reconnue. L´hypnose et le placebo en sont déjà deux manfestations probantes.

 

Comment Monsieur Fenech et quelques sommités peuvent-ils prétendre balayer d’un trait de plume une telle évidence et une expérience vécue par tant d’entre nous  ? Qu’ils prennent garde à ne pas creuser encore plus profondément le fossé entre un etablishment autoproclamé défenseur de la « bien pensance » et les citoyens.

 

Et à ce compte-là, il faudrait immédiatement démissionner Agnès Buzyn de son poste de présidente de l’Institut national du cancer (Inca). En effet, lors de l´émission "Ça vous regarde" du 16 juin 2011 sur LCP/AN, elle a indiqué que de plus en plus les hôpitaux prennent en compte la dimension globale des patients, se soucient de leur état d’esprit, de leur confort moral, bref, qu’enfin le milieu de la cancérologie comprenait l’importance d’agir « à la fois sur le mental et le physique ».

 

La fatalité tombe-t-elle du ciel ?

 

Une différence fréquente entre la médecine conventionnelle et les médecines douces est que ces dernières font rarement l’impasse sur les causes. Et, sans tomber dans l’erreur de culpabiliser le patient, elles tentent de le responsabiliser, de l’amener à prendre conscience que, outre les pollutions diverses, les tensions croissantes de nos modes de vie, certains facteurs (comportementaux, alimentaires notamment) peuvent avoir une incidence sur sa santé. C’est en fait lui donner des clés, des manettes, pour participer activement à sa guérison. Et ne pas y retomber par la suite.

 

Ici nous touchons une question de fond qui est rarement abordée en tant que telle et qui devrait interpeler les pouvoirs publics, l’Inca en particulier  : la recherche des causes et donc la prévention. Les budgets comparés entre les volets préventif et curatif parlent d’eux-mêmes à ce sujet.

 

Quand la médecine classique élude radicalement cette question des causes, elle maintient en fait le patient dans l’ignorance, comme à la merci d’une aveugle et inéluctable loterie.

 

En fait, les pratiques alternatives tentent de combler un vide, celui ressenti et vécu par les patients qui conçoivent l’approche physico-chimique classique comme insuffisante et agressive.

Les thérapies modernes, ressenties comme souvent dangereuses, étant loin de réussir dans tous les cas, les lacunes et limitations de l’approche exclusivement matérielle de la maladie, ajoutées à l’évidence des conflits d’intérêts décrédibilisant les instances de décision, sont autant d’arguments supplémentaires pour accroître la méfiance à leur égard.

Dans ces conditions, agiter un épouvantail douteux ne suffira sûrement pas à garder les patients dans le sérail des pratiques conventionnelles présentées mensongèrement comme les moins risquées.

 

Une campagne outrancière et injustifiée

 

Car il ne s’agit là que de connaissances mécanistes, oublieuses de l’homme dans sa globalité, et dans l’ignorance de bien des effets secondaires de la pratique médicamenteuse. Car, si l’on se veut objectif, et que l’on compare le nombre de morts dues aux « dérives sectaires » (arriverait-on à une dizaine par an  ?) et celles dues aux failles de la médecine classique (18 000 morts chaque année dues aux médicaments, 10 à 20 000 morts nosocomiales, etc.), sans compter que la moitié des malades atteints du cancer ne sont pas guéris et meurent (145 000 tous les ans) dans les bras de la médecine, si l’on fait le bilan sur le seul plan des risques, il est sans appel…

 

C’est pourquoi cette campagne contre les prétendus risques sectaires est outrancière, injustifiée et oppose artificiellement les Français les uns contre les autres. Il aurait été autrement plus profitable pour le bien commun que les autorités dialoguent avec ces médecines en les encadrant au lieu de monter les Français contre elles en les diabolisant et en dramatisant la situation.

 

A quand une politique recherchant la pacification, l’ouverture et le débat constructif en lieu et place de la discrimination et du tir au bazooka  ?

 

Les Français ne sont pas des enfants. Ils utilisent de plus en plus les médecines douces. Et ils craignent de plus en plus certains aspects de la médecine conventionnelle au vu des dégâts occasionnés par une approche parfois trop mécaniste et par la suprématie des impératifs économiques sur ceux de leur santé. Ce n´est pas par la peur qu´on les ramènera dans le giron des pratiques acédémiques...

 

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