Analyse. En poursuivant le docteur Moulinier pour ne pas respecter à la lettre les protocoles du système institutionnel, la justice ordinale ne confond-elle pas "science" et décisions administratives ? Ce serait une dangereuse dérive qui pourrait nuire à notre santé.
Les autorités de contrôle sanitaire font grief au docteur Didier Moulinier de prescrire des médicaments en ne respectant pas les « données acquises de la science ». Elles ne lui reprochent pas d’avoir fait du mal à ses patients, encore moins d’avoir provoqué leur décès ; ni même d’avoir aggravé leur situation. Non, pour elles, le problème, c’est ce que ce médecin a plus tenu compte de la connaissance qu’il avait de ses malades, de leur réalité de terrain concrète, que des normes et prescriptions édictées par les institutions médicales. Notamment, il n’a pas toujours respecté à la lettre les doses indiquées sur les notices de certains médicaments. Ces doses sont déterminées par les laboratoires pharmaceutiques et validées par des autorisations de mises sur le marché (AMM) délivrées par l’Afssaps (Agence du médicament).
Des médecins fonctionnaires de la section des affaires sociales du Conseil de l’ordre des médecins d’Aquitaine ont estimé que, malgré ses 25 années d’exercice sans accident sanitaire et à l’entière satisfaction de ses malades, Didier Moulinier faisait courir un risque à ses patients. Un risque suffisamment grave pour lui interdire d’exercer sa profession pendant un an (juillet 2011 à juillet 2012).
Mais quelle est la valeur réelle de l’argument présenté (des prescriptions ne respectant pas les « données acquises de la science ») ? Peut-on affirmer que les indications mentionnées par les fabricants de médicaments sont synonymes absolus de « science » ? Qui pourrait sérieusement faire cette équivalence à l’heure où s’ouvre le procès du Mediator ? Et quand des dizaines de remèdes, dûment estampillés par les autorités, ont ensuite été interdits et retirés du marché pour leur dangerosité (Thalidomide, Distilbène, Isoméride, Vioxx, Accomplia, Di-antalvic, etc.) ? Il est évident qu’on ne peut en aucun cas sacraliser ces indications pharmaceutiques. Certes, elles sont indispensables et doivent être prises en compte. Mais de là à s’appuyer sur elles pour condamner un praticien qui, apparemment en conscience, cherche la meilleure application possible, c’est une dérive vraiment inquiétante !
« La liberté de soigner du cancérologue a disparu »
Extrait d’un article de Nicole Delépine, responsable de l´unité d´oncologie pédiatrique de l´hôpital universitaire Raymond Poincaré à Garches, paru dans atlantico en septembre 2011 : « Cancérologie : "La médecine n´est plus au service du patient, mais d´un système marchand" » :
« Il y a une vingtaine d’années de cela, le bon médecin choisissait en son âme et conscience, selon le serment d’Hippocrate, le meilleur traitement pour son patient, au regard des données actuelles de la science. Il engageait ainsi sa responsabilité personnelle après un colloque singulier avec son malade.
Depuis les années 1990 - et singulièrement de façon de plus en plus autoritaire depuis le plan cancer de 2004 - la liberté de soigner du cancérologue a disparu en France et dans certains pays occidentaux. Au prétexte fallacieux de la qualité des soins, tous les dossiers de patients sont "discutés en réunion multidisciplinaire où de fait l’essai thérapeutique en cours testant les drogues nouvelles est imposé par la "communauté". Le praticien qui souhaite déroger à ce système doit s’expliquer et encourt tous les ennuis possibles, en particulier de voir le service auquel il participe perdre son autorisation de pratiquer la cancérologie. »
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De toute évidence, il y a un obligatoire décalage entre l’indication d’un médicament, telle qu’elle a été déterminée par un fabricant dans son laboratoire et validée par une poignée d’experts, et sa mise en œuvre en vraie grandeur, sur tel ou tel corps. Chaque être a son histoire, sa complexion, ses forces et ses faiblesses. Et c’est bien au médecin, dans le colloque singulier qu’il tisse avec son patient, d’apprécier son état et ses aptitudes et d’accommoder son traitement en conséquence. Notamment face aux effets secondaires toxiques des médicaments.
Si les fonctionnaires sont dans leur rôle en veillant au respect par les médecins des lignes de conduite décidées collectivement, il serait désolant qu’ils puissent abuser de leur pouvoir en traînant devant les tribunaux ordinaux celui ou celle qui s’est écarté tant soit peu de la lettre.
Vouloir à tout prix que soient appliquées à tous les cas particuliers des indications générales, c’est considérer l’être humain comme une machine stéréotypée et impersonnelle. Comme un objet.
C’est aussi faire passer pour définitives des connaissances qui, non seulement ont pu être établies dans des conditions critiquables (cf. conflits d’intérêt au sein même des autorités de contrôle, défaillance de la pharmacovigilance…), mais en outre évoluent au fur et à mesure que les études se multiplient et que le savoir s’enrichit.
C’est aussi risquer de condamner à l’avance toute approche nouvelle ou différente et non validée parce que non étudiée ou pas encore tranchée. Le prétexte tout trouvé de déclarer médecines non conventionnelles « non conformes aux données acquises de la science » peut ainsi être brandi pour lutter contre les démarches alternatives et la diversification médicale, sans avoir besoin de se justifier plus que cela.
Et avec le soutien naïf d’une population que l’on trompe mais qui se croit ainsi protégée des charlatans…