Par son Edit de tolérance, Louis XVI accorde une certaine reconnaissance sociale « à ceux qui ne professent pas la vraie religion ». Ainsi, grâce aux revendications protestantes, sont jetés les germes de la future liberté religieuse qui débouchera plus tard sur la liberté de pensée.
Face à des protestants soucieux de manifester leur loyalisme et leur civisme, on commence, à la fin du XVIIIe siècle dans l’entourage de la Cour et du Parlement, à prendre position en faveur d’une reconnaissance de la validité de leurs mariages. On n’admet pas encore que les réformés puissent constituer une Église, mais on considère qu’il serait bon de légitimer les unions matrimoniales et les baptêmes célébrés lors de leurs assemblées clandestines.
« Les différentes caractéristiques du type secte aisément repérables dans le protestantisme français après la Révocation (enthousiasme prophétique, millénarisme, prétention à une inspiration exclusive, fermeture du groupe) s’estompent ou disparaissent, les années passant, au profit d’un compromis politico-religieux, écrit Hubert Bost (cf. article précédent). La soif de reconnaissance sociale incite à composer : les Églises réformées se considèrent bel et bien comme des Églises, avec leurs marques et attributs : en tant que telles, elle ne transigent jamais sur leur volonté d’être reconnues. Mais pour que ses membres redeviennent des citoyens, leurs représentants consentent à ce qu’elles ne soient pas reconnues tout de suite comme telles par l’État, à condition de ne surtout pas être perçues comme des organisations sectaires. L’opinion publique, elle, est désormais prête à admettre que la reconnaissance des protestants, à tout le moins comme individus, ne présente plus de danger. »
Un "état-civil" pour les protestants, pas une « existence religieuse »
Aussi, le 17 novembre 1787, Louis XVI peut-il signer à Versailles l’Edit de Tolérance, « concernant ceux qui ne font pas profession de la religion catholique », qui conclut cette évolution bénéfique aux protestants. Ce texte de 37 articles reconnaît principalement aux non-catholiques : le droit de vivre en France et d’y exercer une profession ou un métier sans être inquiétés pour cause de religion ; la permission de se marier légalement devant les officiers de justice (et non plus seulement devant les curés) ; la permission de faire constater les naissances devant les juges du lieu ; la possibilité de régler le problème des sépultures.
Mais le Roi précise bien : « L’Edit concernant mes sujets non catholiques se borne à donner dans mon Royaume un état-civil à ceux qui ne professent pas la vraie religion … C’est là son seul objet. Avant la Révocation de l’Edit de Nantes, les Protestants avaient une existence religieuse, mon Edit ne leur en donne aucune ».
Un an et demi plus tard, l’Ancien Régime est renversé et, le 2 octobre 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame, dans son article X : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble point l’ordre public établi par la loi ».
En avril 1802, par la loi du 18 germinal an X, Bonaparte répond enfin à l’attente de tous les protestants : le droit à une église organisée. Les réformés ne sont plus perçus comme membres d’organisations sectaires.
La foi devient plus mature
Il a ainsi fallu des décennies de lutte, de bannissements et de vexations de tous genres, des milliers de morts, pour qu’on reconnaisse en France le principe de la liberté de penser. Ainsi, le service rendu par la « secte luthérienne » fut capital dans l'histoire de notre pays. Elle a fait éclater le monopole religieux, ouvrant ainsi la voie à la grande richesse des “Lumières” puis aux Droits de l’homme. Droits que l’Eglise catholique comme la France toute entière revendiquent aujourd’hui… tout en cédant encore souvent à ses vieux démons de totalitarisme dans le domaine de la pensée, comme nous l’allons montrer.
L’église, même si c’est à contrecoeur, peut aussi remercier sa “jeune sœur”. Après apaisement des massacres, des guerres et des tensions, la foi religieuse dans son ensemble est devenue plus mature. « Quand Luther a paru, écrit Mme de Staël[1], la religion n’était plus qu’une puissance politique, attaquée ou défendue comme un intérêt de ce monde. Luther l’a rappelée sur le terrain de la pensée. (…) La Réformation a introduit dans le monde l’examen en fait de religion. Il en est résulté pour les uns le scepticisme, mais pour les autres une conviction plus ferme des vérités religieuses : l’esprit humain était arrivé à une époque où il devait nécessairement examiner pour croire. La découverte de l’imprimerie, la multiplicité des connaissances, et l’investigation philosophique de la vérité, ne permettaient plus cette foi aveugle dont on s’était jadis si bien trouvé. L’enthousiasme religieux ne pouvait renaître que par l’examen et la méditation. C’est Luther qui a mis la Bible et l’Évangile entre les mains de tout le monde. »
N’était-ce pas finalement une bonne chose pour tous ?
Luther : « Je ne puis ni ne veux me rétracter en rien »
C’est sur la question du rapport entre la conscience individuelle et l’autorité religieuse qu’est né le protestantisme. Le moine allemand, Martin Luther (1483-1546) propagea l'idée que « chacun (est) maître d'interpréter à sa guise l'Écriture, (peut) en faire à soi-même ses dogmes ». Chacun est en fait son propre prêtre. Il affirma également qu’il n’y avait plus besoin d’acheter des “Indulgences pontificales” pour gagner son paradis, marquant ainsi le début de la Réforme.
Excommunié, Luther brûla la bulle papale du 10 décembre 1520. Suite aux troubles occasionnés par ces prises de position et ces gestes, l'empereur d'Allemagne, Charles-Quint, convoqua le moine en 1521 devant la diète de l'Empire à Worms. Martin Luther s'y rendit et soutint sans faiblir sa façon de penser : « A moins d'être convaincu par le témoignage de l’Écriture et par des raisons évidentes, car je ne crois ni à l'infaillibilité du pape ni à celle des conciles, puisqu'il est établi qu'ils se sont souvent trompés et contredits, je suis lié par les textes bibliques que j'ai cités. Tant que ma conscience est captive des paroles de Dieu, je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni salutaire d'agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen ».
La rupture était dès lors consommée entre l’Eglise catholique et le moine Luther auquel s’était ralliée la grande majorité des prêtres et laïcs du nord de l’Allemagne. Le protestantisme était né. La Réforme s'étendit rapidement aux pays scandinaves. Elle inspirera, plus tard, Jean Calvin et aura d’immenses conséquences, notamment sur l’évolution socio-politique et religieuse de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
[1] Chapitre "Du protestantisme", De l'Allemagne, in Œuvres complètes, Paris, Firmin Didot, 1871.
> A suivre :
5 - Les mauvais comportements des croyants éloignent les "gentils" de Dieu
> Déjà parus :
3 - Christianisme et protestantisme, deux ex-sectes aujourd'hui "fréquentables"
2 - Les « sectes », symptômes des maux et lacunes de notre société
1 - Sectes, religions et liberté de pensée : Une question éminemment politique