Pourquoi la lutte « antisecte » n’a pas empêché la multiplication des groupes spirituels ni la profusion des actions terroristes ? Parce que sa doctrine et, en conséquence, ses analyses, sont erronées.
> Par Julien Massenet, sociothérapeute.
Quand un médecin pose un diagnostic inapproprié, il ne faut pas s’étonner que son traitement soit inefficace. La France, trop confiante en sa capacité de raisonner, qui l’a conduite notamment à promouvoir ce bel outil qu’est la laïcité, a fini par penser qu’elle détenait la vérité sur le « vivre ensemble » : tout citoyen est libre de penser ce qu’il veut, mais nul ne peut imposer sa conception des choses. C’est pourquoi, par exemple, elle est (presque) parvenue à décoller la religion des affaires de l’État.
Excellent principe.
L’ennui, c’est que cette distinction nécessaire s’est muée en une hostilité plus ou moins patente envers les fois, les convictions, les croyances « différentes ». Une hostilité insufflée du plus haut niveau de l’Etat (Miviludes, Fecris) et entretenue par les médias et des groupes d’influence privés (Unadfi, CCMM, etc.) financés par le gouvernement.
Une politique spécifique a été crée en France, cas presque unique dans le monde, pour contrer les minorités spirituelles par la diabolisation et la poursuite judiciaire.
Bouc émissaire
Mais comment le pouvoir (de droite comme de gauche) a-t-il pu faire admettre une telle discrimination de fait au peuple qui se souleva pour défendre pour les droits de l’homme ? Il utilisa simplement la vieille recette du bouc émissaire qui marche tellement bien. Il désigna donc une source du mal contre laquelle la lutte pouvait apparaître rationnellement justifiée et socialement acceptable : la secte !
Alors que les différentes minorités présentes en France ne posaient pratiquement aucun problème, le massacre de l’Ordre du Temple solaire (OTS) fournit en 1995 un très opportun prétexte (alors même que l’affaire n’est toujours pas élucidée, mais passons, ce n’est pas ce qui nous intéresse ici). Ce qui nous intéresse, c’est de constater que la peur fut le principal outil du pouvoir et de la presse pour empêcher divers mouvements comme les Krishna, les Moon, les raéliens, les Témoins de Jéhovah, etc., de vivre normalement dans la société avec leurs différences.
Envoûtés
Faire peur est une chose, mais expliquer est autre chose. On a alors réussi à convaincre les Français que les membres de ces mouvements ne pouvaient qu’avoir été en quelque sorte « envoûtés » par des gourous. On ainsi émergé différentes expressions qui ont fait florès : viol psychique, manipulation mentale, emprise, etc.
Il était impossible, pensait-on et clamait-on partout, que « nos » enfants, élevés dans la sainte religion ou selon les sains principes de la raison, puissent tout d’un coup changer leurs habitudes de se nourrir et de se vêtir, vouloir prendre des distances avec leur famille (cellule sacrée de la société !), professer des idées extravagantes comme le pouvoir de guérir par la prière, ou plus récemment, la nécessité de se faire exploser en public pour tuer un maximum de gens, etc.
Ces étonnantes modifications étaient forcément involontaires et donc ne pouvaient que résulter d’actions hypnotiques entreprises par des groupes et des personnes aux pouvoirs diaboliques. Aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, c’est bien ce qui s’est passé dans la France du XXe et qui se passe toujours dans celle du XXIe.
État de sujétion
Comme nous sommes un pays de gens rationnels et intelligents, nous sommes parvenus à « expliquer » ce phénomène magique. C’est là que les psychiatres sont entrés en jeu. Ce sont eux qui ont fourni le concept clé qui a permis l’acceptation sociale, médiatique et juridique. Une acceptation qui fut même inscrit dans notre droit par la loi About-Picard de 2001 qui a consacré « l’état de sujétion ».
Grâce à cet artifice (car ce concept n’a aucune validité scientifique ni médicale), la victime d’une pression psychologique est entièrement dédouanée de TOUTE responsabilité dans la situation qu’elle a connue. Car un manipulateur, quel qu’il soit, a pu entrer dans for intérieur et prendre les commandes de sa volonté.
Or, ceci est impossible ! La rationalité, l’intelligence, l’autonomie de pensée ne peuvent être appropriées par un autre. Au pire, elles peuvent être trompées, orientées, abusées. Cela, certes, existe. Mais le pilotage total d’un moi de quelqu’un par quelqu’un d’autre est impossible, même sous hypnose. La conscience (le « je » d’une personne) n’est accessible qu’à cette seule personne, chacun peut en faire lui-même l’expérience intérieure !
Monade
Le sujet n’est jamais « objet » pour un autre ; il n’est toujours que sujet. Il ne peut jamais être perçu, touché et encore moins manipulé par quiconque. Tout ce que peut faire une personne extérieure, c’est bien sûr l’influencer, l’effrayer, le contraindre physiquement, le duper, etc.
Tout cela est possible, mais EN AUCUN CAS, cette personne ne peut lui ôter son autonomie, mettre son moi en esclavage, etc. Il y a toujours de la part du sujet ou de la victime une liberté qui adopte ou refuse la proposition extérieure, en fonction de ses critères, de ses connaissances, de ses croyances, de ses illusions, de ses attentes, de ses forces, etc. Car un sujet (une conscience) est une monade (au sens leibnizien du terme) maîtresse en sa demeure et intangible DE L’EXTERIEUR.
Cette chosification, cette objectivation de la conscience de l’homme par un autre que suppose la notion d’état de sujétion constituent une aberration très dangereuse individuellement et socialement parlant.
Fortifier le citoyen
C’est parce que l’Etat ne comprend pas cela que son combat contre les «soi-disantes « sectes » et le terrorisme est engagé sur une bien mauvais voie. Car il se limite essentiellement à combattre les groupes, les gourous jugés dangereux, etc. Certes, il faut réagir contre les profiteurs et les criminels. Mais, pour ce qui est des croyances, la seule véritable prévention, le seul moyen efficace de lutter contre les influences néfastes, c’est l’éducation, l’attention portée aux souffrances et aux situations de faiblesse (économiques comme psychologiques), c’est l’apprentissage du débat constructif et la formation à l’esprit critique.
Bref, c’est fortifier le citoyen, c’est accroître son degré de liberté par une politique – non plus une politique paternaliste de protection, comme c’est le cas essentiellement aujourd’hui –, mais d’information, de débat, de courage (ne pas craindre de prendre des risques), de confiance (vigilante) et – mais c’est sans doute beaucoup demander – de fraternité.