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Pourquoi j’ai écrit « Décryptez l’information. Ne vous laissez plus manipuler par les médias »

Tout journaliste est capable, d’un même fait, d’en présenter deux versions contradictoires voire opposées, sans pour autant « mentir » ni fabuler. Nous sommes des professionnels de la « rhétorique », mot politiquement correct pour dire « manipulation ». C’est pourquoi, pour assurer le respect de l’intérêt du public, la liberté de s’exprimer doit s’accompagner d’un minimum de régulation.

Dès ma première année à l'Ecole supérieure de journalisme (ESJ Lille), j’ai connu la grève, une grève qui s’est d’ailleurs prolongée les trois années qu’a duré mon cursus (1969/72). Je me souviens que notre principale revendication était l’engagement d’une réflexion sur les fondamentaux de l’école, que nous souhaitions voir passer d’un moule pour fournir des journalistes immédiatement opérationnels à un centre de formation et de propositions pour un journalisme plus éthique.

Durant 45 ans, j’ai poursuivi le combat pour une « information responsable » (le titre d’un de mes trois premiers livres sur le sujet), longtemps et souvent seul, pour aboutir en 2007, avec quelques militants de la déontologie, à la création de l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse (APCP). Depuis, l’idée de mettre en place une véritable régulation de la profession fait son chemin. Elle rencontre encore, malheureusement, bien des résistances, mes confrères confondant "régulation" et "contrôle" et craignant, à tort, pour leur liberté d’expression.

La création d’un Conseil de presse ne mettrait bien évidemment pas fin aux dérives médiatiques, mais elle faciliterait le débat public sur les buts et les conditions d’exercice de notre profession. Elle permettrait surtout d’offrir une oreille attentive aux plaintes du public, ce qui aurait pour principal effet d’abaisser sa rage, parfois sa haine, face à l’arrogance de beaucoup de médias.

Et de gagner une plus grande crédibilité aux yeux de nos concitoyens.

En attendant qu’une prise de conscience émerge face à la nécessité de réguler le travail des professionnels de l’information (par eux-mêmes, les éditeurs et le public), j’ai estimé utile de m’adresser directement au public et de lui donner des armes pour affronter la déplorable situation actuelle. "Déplorable" : il suffit de lire la revue de presse quotidienne gratuite sur ces thèmes pour s'en convaincre.

television-manipulationJe montre au public, dans ce livre, que tout journaliste est capable, d’un même fait, d’en présenter deux versions contradictoires voire opposées, sans pour autant « mentir » ni fabuler. Je lui explique que nous sommes des professionnels de la "rhétorique", mot politiquement correct pour dire "manipulation"… Et que tout le système de l’information est fondé sur 36 800 "boîtes noires", c-à-d 36 800 cerveaux qui orientent à leur guise, selon la volonté de leur hiérarchie et leurs propres présupposés, sans régulation, la signification des faits dont ils rendent comptent.

Au final, la hiérarchie étant de plus en plus aux mains de certains intérêts particuliers, et la plupart de mes confrères n'ayant plus ni le bagage (épistémologique) nécessaire, ni la force, ni les moyens de se battre pour l'éthique, le sens de l’intérêt général se dissout au fil des éditions. Et le fossé se creuse entre le public et la profession...

A l’heure où, grâce surtout au web et aux nouvelles technologies, la nature des informateurs se diversifie, les journalistes ont encore des cartes à jouer, celles de l’éthique, de la qualité et de la proximité avec le public.

S’ils ne les utilisent pas, ils seront doublés.

Journalisme et discriminations : une règle fondamentale à respecter

Tout journaliste désireux de participer à la construction de la paix sociale devrait abandonner sa propension à attiser les polémiques et les haines. Et se donner une exigence absolue : bannir toute généralisation discriminante.

Plus jamais

Affiche commanditée par la SFIO pour les élections législatives de 1928. Document : Bibliothèque de documentation internationale contemporaine/MHC.

« Plus jamais ça ! » disaient nos pères et déjà nos grands pères. Si l’on veut donner une garantie de réalisation à ce vœu, nous devrions nous aussi "désarmer" nos esprits, extirper tout germe de guerre en nous­-même en considérant chaque homme comme notre égal, et même comme un frère potentiel ainsi que nous y enjoint le troisième terme de notre devise nationale. Terme que l’on méprise trop aisément quand on se pense meilleur qu’un autre ou supérieur à lui d’une quelconque façon.

Telle est la condition d’un climat social apaisé et constructif, respectueux des différences et de la diversité.

Dans ce contexte, le journaliste et son média, en raison de leur pouvoir et de leur responsabilité, ont un rôle majeur à jouer.

Le ferment de toute guerre fratricide réside dans le fait d’apposer publiquement des étiquettes sur des individus et des groupes d’individus, ce qui permet et facilite la discrimination à leur encontre (“Tous les XXX sont des YYY”). En effet, toute généralisation dans la pensée et dans l’action, s’agissant d’humains et tout particulièrement de minorités (juifs, arabes, extrême droite/extrême gauche, immigrés, roms, fous, etc.), est nécessairement stigmatisante, arbitraire et abusive.

Les formules utilisées aujourd'hui dans les campagnes contre les "sectes", par exemple, ne sont pas sans rappeler celles qui avaient cours sous l’Occupation.

Le journaliste soucieux de la qualité du climat social évitera de recourir à ces catégorisations, à ces généralisations. Il renoncera dès lors aux étiquettes et s’efforcera, au contraire, d’étudier chaque fait, chaque situation dans le concret, au cas par cas et avec précision. Et ce, le plus objectivement possible, c’est­-à­-dire, professionnellement parlant, à charge et à décharge. Non comme un procureur, mais pour saisir contradictoirement une réalité complexe...

Si tous les journalistes adoptaient cette attitude, ils gagneraient en crédibilité et en image auprès du public. Et toute la société, qui aujourd’hui semble animée d’un étrange “Haïssez­-vous les uns les autres”, s’en porterait mieux.

Bien évidemment, beaucoup me traiteront de bisounours. Adopter cette proposition serait pourtant LE moyen de garantir le “Plus jamais ça !” de nos pères.

D’autres clameront que contribuer à la paix sociale n’est pas dans leur attribution. Ce serait oublier que, s’ils sont journalistes, ils sont aussi citoyens.