L’Eglise catholique est une secte qui a réussi (à se conserver dans le temps) : elle est socialement admise. « Les sectes sont des religions qui n’ont pas réussi », selon le bon mot de Michel Onfray. Elles sont donc socialement refusées. Sans que cette discrimination ait toujours un lien avec leur dangerosité supposée.
Pour pouvoir les empêcher de prospérer, on accuse les "sectes" de tous les maux, en se basant essentiellement sur des plaintes d’anciens adeptes ou des familles et sur les dires de ces experts en spiritualité qu’étaient – c’est bien connu – les ex-Renseignements généraux (les fameux RG, la “police secrète”).
Les adversaires de la diversité spirituelle ont tissé au fil du temps une hétéroclite alliance objective : Eglise, rationalistes, francs-maçons, médecine académique, associations antisectes spécialisées financées sur fonds publics, médias, députés spécialisés dans cette œuvre, ex-adeptes recyclés en experts antisecte, etc.
Car c’est un fait que les “sectes” peuvent nuire beaucoup. Non pas tant à la société qu'… aux intérêts en place : aux cultes établis (avec leur cortège de prérogatives, d’églises et de lieux “sacrés”) ; aux pratiques médicales conventionnelles (maintien et développement du système de médecine curative et technologique, avec ses laboratoires, ses équipements de plus en plus coûteux et son principe de gratuité déresponsabilisant - au détriment d’une médecine holistique et de prévention) ; aux groupes antisectes autoproclamés qui prospèrent grâce aux fonds publics et en l’absence même de cotisations ; à la pensée unique, etc.
La plupart du temps, ces “minorités de conviction”, comme les nomme la Coordination des associations des particuliers pour la liberté de conscience (Cap LC), ou “minorités spirituelles” pour le Centre d’information et de conseils des nouvelles spiritualités (Cicns), sont respectueuses des règles de la République.
Un harcèlement peu efficace
La preuve en est vite administrée. Malgré une persécution conduite par le gouvernement, de nombreuses instances administratives et quelques associations très actives, malgré d’incessantes campagnes de presse systématiquement hostiles, malgré des lois (comme la loi About-Picard) conçues spécialement contre les “sectes”, malgré une police spécialisée (la cellule d´assistance et d´intervention en matière de dérives sectaires - Caimades), malgré tout cet arsenal de moyens déployé, les condamnations par la justice sont très rares, exceptionnelles même.
Les décisions des tribunaux sont même assez souvent favorables aux mouvements discriminés quand ils ont le courage de se battre jusqu’à saisir les cours européennes.
De même, si l’on s’en tient aux chiffres plus qu’aux fantasmes, la baudruche “sectes dangereuses” est vite dégonflée. Le 19 décembre 2006, la "commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs", présidée par le député Georges Fenech (UMP, Rhône), a publié un rapport.
"Sectes" : 80 000 enfants en danger... ou moins de dix ?
On constate une différence radicale entre les chiffres annoncés par la dite commission (« 60 à 80 000 enfants en danger ») et les 9 cas en cours de traitement répertoriés sur tout le territoire pour l’ensemble des cinq ministères consultés ! Une disproportion qui a même conduit Didier Leschi, directeur du Bureau des cultes au ministère de l’intérieur, à se demander si l’action des responsables anti-sectes n’était pas de nature à produire « un trouble à l’ordre public ». Et il avait ajouté : « La focalisation sur certains groupes s’apparente beaucoup plus à un jugement sur la croyance de ces groupes qu’à leurs activités en tant que groupes ».
Le même jour où la commission parlementaire publiait son rapport, l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (Odas) sortait le sien sur les enfants en danger en général (c’est-à-dire dans la société "normale, hors "sectes"). Il notait dans notre pays une forte augmentation des maltraitances pour négligences lourdes et violences psychologiques. Il fait état de 97 000 cas d’enfants maltraités ou en danger au cours de la seule année 2005 !
Faire peur pour justifier la répression
Jean-Paul Willaime, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études et sociologue des religions, a relevé, dans le journal Réforme du 11-17 janvier 2007, que le rapport parlementaire tendait à rétablir un régime des cultes reconnus (régime institué par Napoléon), en stigmatisant certains groupes et en ignorant les dérives sectaires des religions constituées. Diffuser un chiffre de 80 000 enfants victimes, en assimilant systématiquement les enfants dont les parents appartiennent à certains groupes à des victimes, « est irresponsable et n’a qu’un but : faire peur et justifier d’autant mieux les mesures plus répressives ».
Ce qui d’ailleurs s’est vérifié un peu plus tard, le 5 mars 2007, avec la loi réformant la protection de l’enfance a été promulguée (n° 2007-293, Journal Officiel du 6 mars 2007). Ce texte élargit la peine de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende à tous les refus de vaccination ! Jusqu’ici, suivant la vaccination, les pénalités n’étaient pas les mêmes. Désormais, la peine la plus lourde est assénée à tous les refus parentaux de vaccination, sans qu’il y ait eu un vrai débat public autour de cette mesure qui n’a pu être votée que parce que quelques députés avaient agité le chiffon rouge des "sectes". La presse généraliste d’information s’est désintéressée de cette question.
Alors, si, parfois, on peut accuser certains mouvements de troubler l’ordre public, c’est parce que des opposants vocifèrent pour les empêcher de s’installer dans un quartier ou une ville, ou de se manifester publiquement, comme cela arrive très souvent contre les témoins de Jéhovah ou l’église de scientologie, les principales bêtes noires, avec les raëliens, des antisectes.
Autre preuve de la bonne composition des "sectes", quoiqu’on en dise. Malgré l’esprit d’inquisition et l’ostracisme dont ils sont victimes, qui font perdre leur travail à certains, qui jouent souvent en leur défaveur dans les procédures de divorce, par exemple, les membres de ces groupes restent calmes. De leur part, pas de réaction violente pour se faire entendre, pas de voiture en feu, pas de saccages de bureau de ministère, pas de tir sur les préfectures, mais appel à la raison, à la discussion, à une meilleure prise en compte des réalités, au jugement loyal et impartial, etc. (1)
En vain jusqu’à aujourd’hui : leur parole dans les lieux de débat public est officieusement, mais réellement, interdite. Et, sur ce thème, les journalistes sont dispensés (par eux-mêmes mais avec la bénédiction des pouvoirs publics) du respect de leur déontologie. A quelques très rares exceptions près, comme ce hors-série du Monde des religions qui, pour la première fois, sollicite l'intelligence du lecteur, au lieu de chercher à seulement lui faire peur...
(1) Et parfois, quand tout cela s'est avéré inutile, saisie de la justice (pour les groupes ou les personnes qui en ont les moyens. Les autres subissent en silence).
> A suivre :
15 - L'arsenal français contre les "sectes" est unique au monde