L´indépendance journalistique : un mythe ?


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Les journalistes des Echos se sont mis en grève (avril 2007). Plusieurs quotidiens ont publié une publicité de la Société de leurs journalistes, contre le rachat éventuel du journal par le groupe LVMH. « L’indépendance, ce n’est pas du luxe », affirment dans ces encarts publicitaires les journalistes du quotidien économique « menacé d’être racheté » par le groupe de luxe dirigé par Bernard Arnault.

 

La SDJ (société des journalistes) interpelle ironiquement différents PDG pour savoir s’ils continueraient de lire un quotidien économique racheté par leur principal concurrent et à lui accorder du crédit en ce qui concerne leur propre secteur d’activité.

Alors que devraient penser les patrons (et les citoyens) sur les conditions d’indépendance des autres groupes de presse ? Les journalistes de TF1 sont-ils crédibles quand ils parlent de leur propriétaire (Bouygues) qui détient aussi Bouygues Construction (BTP), Axione (Constructeur et Opérateur de réseaux), Colas (routes), Bouygues Immobilier ? Sont-ils crédibles quand ils n’enquêtent pas sur Bouygues alors qu’ils évoquent les travailleurs au noir dont on sait que le secteur de la construction est le principal utilisateur ? Ou quand ils évitent d’évoquer les bonnes affaires de leur patron dans les pays sous dictature comme en Turkménistan ?

 

Les journalistes du Figaro, du Journal du dimanche, de LCI, TF6, TV Breizh, TMC, de Métro, du Journal des Finances, Valeurs Actuelles, Spectacle du Monde, sont-ils crédibles quand ils parlent (ou évitent de parler) de leur propriétaire - majoritaire ou minoritaire - (groupe Dassault) qui détient aussi Dassault Aviation, Dassault Falcon Jet, Dassault Falcon Service, S.A.B.C.A., Sogitec, Dassault Systèmes, Société de Véhicules Electriques, Immobilière Dassault, Artcurial, Dassault Aviation - ou de leurs concurrents ?

 

Les journalistes du Journal du Dimanche, Paris Match, Elle, Première, Corse Matin, La Provence, Nice-Matin et Var-Matin, L’Alsace, La Dépêche du Midi, Le Monde, Le Parisien, L’Équipe, le groupe Marie Claire, sont-ils crédibles quand ils parlent (ou évitent de parler) de leur propriétaire - majoritaire ou minoritaire - (Lagardère) et de ses filiales EADS (Eurofighter, Ariane, Airbus, Eurocopter…) - ou de leurs concurrents ?

 

Quelles garanties d’indépendance sont-elles données aux journalistes de Libération quand ils parlent (ou évitent de parler) de leurs propriétaires Edouard de Rothschild, Carlo Caracciolo, Pathé, Suez ?

Les journalistes du Point, de L’Agefi et de Actifs sont-ils crédibles quand ils parlent (ou évitent de parler) de leur propriétaire - majoritaire ou minoritaire - (groupe Pinault) et de ses filiales Fnac, Conforama, Redcats, La Redoute, Yves-Saint-Laurent, Gucci, Boucheron, Balenciaga - ou de leurs concurrents ?

 

Les journalistes Canal+, i-Télé, et des 17 chaînes thématiques du groupe sont-ils totalement libres d’enquêter et de dire toutes vérités sur leur patron Vivendi et ses filiales Universal Music, SFR, Vivendi Games - ou de leurs concurrents ?

 

Et les journalistes du groupe Bolloré (Matin Plus, Direct Soir, Direct 8) : quelles garanties ont-ils pour enquêter librement sur Gaumont, Havas, AGF Vie, Groupama qui le détiennent en partie ou en sont des filiales ?

 

Et les chaînes et les radios publiques par rapport à l’Etat ?

 

Tous ces journalistes ont-ils des garanties semblables à celles que réclament aujourd’hui ceux des Echos ? Ne courent-ils pas le risque pourtant, eux aussi, d’être en conflit d’intérêt en permanence sur de multiples sujets du fait qu’ils appartiennent à ces grandes entreprises ?

 

A tout cela, il faut rajouter, ce que l´on ne dit jamais, que le journaliste n´est pas en profession libérale, qu´il est un salarié, donc en lien de SUBORDINATION (c´est le terme juridique exact) par rapport à son employeur, envers qui il a en outre un devoir de loyauté et contre les "intérêts" de qui il ne doit EN AUCUN CAS (c´est stipulé ainsi dans la Convention collective) "porter atteinte" dans l´expression publique de sa liberté d´opinion... même s´il en allait de l´intérêt général ou du droit du public à être correctement informé.

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