Les principes


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

» Vérité - Objectivité - Information

» Tableau vérital

 

La crise de la presse est doublée aujourd’hui d’une crise du journalisme lui-même. Au journaliste traditionnel, qui détenait les clés du Royaume, c’est-à-dire de l’accès à la place publique, sont venus s’ajouter et s’opposer non seulement les communicants de toute facture mais aussi les “journalistes citoyens” et les blogueurs.

Grâce essentiellement aux nouvelles technologies, chacun peut désormais se croire “journaliste” du seul fait que sa prose ou ses images sont publiées sur la Toile. Et le débat fait rage entre les anciens (les journalistes professionnels cartés) et les modernes (les “journalistes citoyens”). Les premiers reprochent aux seconds de n’exprimer que des opinions, des commentaires et des rumeurs voire des mensonges. Les seconds reprochent aux premiers leur connivence oppressive avec les pouvoirs, leur partialité et leur mépris de la vérité.

 

Elle est retrouvée ! Quoi ? L´objectivité.

Parlez de devoir d´objectivité à un journaliste français et observez le sourire condescendant qui se dessine sur son visage. S´il ne l´exprime pas, il pense au moins que vous êtes un grand naïf qui croit encore aux notions de "vérité", d´"objectivité", etc. Lui sait très bien que ces valeurs sont idéales et impossibles à atteindre.

Personnellement, je plaide pourtant, contrairement à l´immense majorité de mes confrères, pour un devoir d´objectivité. Provocation ? Inconscience de ma part ?

Bien au contraire, si "objectif" veut dire - non pas qui fait abstraction du sujet (ceci est effectivement impossible) - mais qui cherche à éviter les illusions et les préjugés de son "moi" en étudiant sytématiquement et rigoureusement les réactions et positions des autres, alors il devient non seulement possible mais surtout déontologiquement nécessaire de viser l´objectivité.

Etre objectif, c´est ainsi se mettre sincèrement à la place de l´autre pour comprendre son point de vue. C´est un choix de méthode qui  prouve que l´on sait "penser contre soi-même" et accueillir l´autre, même et surtout si cet autre pense différemment de soi...

Le mot tabou est lâché : vérité. Pour les journalistes professionnels, ce mot n’a plus grande signification aujourd’hui. Plus personne parmi eux, sinon dans les gros titres en une, ne prétend sérieusement détenir la vérité sur tel fait ou telle situation. Au panthéon des valeurs de leur métier, les journalistes placent plus volontiers la rigueur et l’honnêteté. Et pourtant…

Pourtant, le public, lui, veut et attend qu’on lui dise la vérité. Et il demande aux journalistes d’être objectifs. Ce grand décalage entre, d’une part, les aspirations légitimes de la population et, d’autre part,  l’offre journalistique, conduit à une perte de légitimité de la profession. L’information de presse n’apparaît plus crédible, précisément parce que, ne visant plus les valeurs suprêmes que sont la vérité et l’objectivité, pourtant considérées comme fondamentales par le public (et, précisons-le, par les codes éthiques), la profession ne les a pas réellement remplacées sinon par des principes flous.

Qui plus est, la bonne application de ces principes est laissée à la seule appréciation des producteurs de l’information. Nul contrôle, ni interne à la profession (pas d’instance déontologique) ni externe à elle (administratif ou institutionnel), hormis la justice. Et même, quand ce contrôle existe, par exemple avec le CSA pour l’audiovisuel, il est loin de parvenir à faire respecter les principes de base de la déontologie journalistique.

Il y a là un grand vide à la fois corporatif, politique et sociétal. Et, ajouterais-je, épistémique.

C’est à ce dernier niveau, à mon avis, que nous devrions maintenant investir nos efforts. Pour mieux comprendre et définir ce qui fait la spécificité de notre métier. Ce n’est qu’après avoir formulé une vision claire de ce qu’est l’information journalistique (quel que soit, statutairement, son auteur) que nous pourrons afficher ses caractéristiques. Et tirer toutes les conséquences juridiques, politiques et pratiques du fait d’informer : qu’implique-t-il concrètement ? Quelles valeurs doit-il respecter ? A quels critères le reconnaît-on ? Comment le distingue-t-on du fait de communiquer ? Ou de simplement s’exprimer ? Comment assurer son bon exercice sur le plan de la qualité ? Etc.

Tel est l’objet de la démarche véritale (DV). Se basant sur le sens éthique de « l’information journalistique », cette méthode explicite les différentes étapes permettant de garantir au maximum, dans le concret, sa fiabilité. Et donc son acceptation par le public. Pourquoi une “méthode” ? Parce que son sujet n’est pas le contenu de la “vérité” dans un absolu ni atteignable ni même consensuellement défini, mais bien l’objet “information” dont il s’agit de préciser les meilleures conditions de production.

Le mot vérital est un néologisme forgé pour désigner une expression pour laquelle son fabricant s’est engagé à respecter, à l’instar de la démarche scientifique, un certain nombre d’exigences nécessaires, lui permettant d’affirmer qu’il a été le plus objectif possible (la notion d’objectivité, comme celle de vérité, est redéfinie - voir ci-dessous) et qu’il a élaboré une information ayant le plus haut degré de vérité possible, dans la mesure de ses moyens. La démarche se dote ainsi d’une obligation de moyens et non de résultat, le résultat (l’expression de la vérité) étant ici réputé invérifiable dans son absolu.

Un journaliste (un média) optant pour la démarche véritale ne garantit donc pas LA vérité sur tel événement, ni ne prétend qu’il a été totalement objectif. Mais il peut prouver qu’il a été le plus honnête possible dans la fabrication de son information ; qu’il a tenté d’approcher au plus près, dans son expression, la conformité avec la réalité ; qu’il a été loyal dans la construction de son jugement.

La démarche véritale demande un effort autant de la part du journaliste que du public. En effet, le journaliste doit vouloir accepter que le public attende de lui qu’il recherche sincèrement la vérité. C’est-à-dire qu’il s’engage, preuves à l’appui, à tenir compte des multiples aspects du réel et à se soucier de l’intérêt général. L’information journalistique a ceci de commun avec la vérité, c’est qu’une fois connue, à la différence de la simple opinion ou du commentaire, elle s’impose comme un savoir contraignant pour tous. C’est pourquoi, le journaliste ne peut se limiter à vouloir préserver sa liberté d’expression. Il doit aussi tenir compte de sa responsabilité cognitive à l’échelle de la communauté dans laquelle il évolue.

Mais le public doit tout autant admettre que la vérité journalistique est toujours relative, partielle, évolutive. Et qu’il ne peut demander au journaliste que de garantir de tout faire pour approcher au plus près le réel, admettant par exemple plus facilement ses erreurs, tenant compte d’une diversité plus grande de points de vue, se battant pour garder son indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs, y compris du pouvoir de son employeur, etc. Il doit également admettre d’être éventuellement dérangé par l’information, le rôle de celle-ci n’étant pas forcément de plaire mais de dire le réel dans sa complexité et donc de pointer aussi le négatif.

Qu’elle le veuille ou non, nous venons de le voir, l’information de presse a à faire avec le concept de vérité. Mais, de la même façon, puisqu’elle ne peut se dispenser de sélectionner des faits, des sources et des interlocuteurs, et de porter des jugements, elle a à faire avec les notions de bien et de mal. Même quand elle s’en défend, elle ne cesse de véhiculer des avis et de choisir des points de vue qui sont autant de positions par rapport à des échelles de valeur, la plupart du temps implicites. La prétendue objectivité, l’absence d’idéologie ou le pragmatisme proclamés, sont des leurres. Le public le sent. C’est pourquoi, si l’on veut conserver au journalisme son rôle spécifique de veille, de médiateur et de contre-pouvoir, il lui est indispensable d’afficher clairement son système de valeurs.

De même, s’il veut regagner la confiance du public, le journalisme doit désormais accepter l’interpellation publique sur son mode de fonctionnement. Et organiser lui-même la possibilité de sanctions en cas de graves dérives déontologiques. Sans cette réactivité et ces facilités offertes, le journalisme ne parviendra pas à maintenir une distinction fondamentale entre son activité et toutes les formes d’expression que permettent aujourd’hui les nouvelles technologies.

La DV expose les éléments d’une méthode pouvant guider tout auteur/média dans la rédaction d’une information fiable, autant sur l’aspect factuel que sur l’aspect interprétatif. Fiable, c’est-à-dire sur laquelle on peut se fier : on sait que son auteur aura fait le maximum pour approcher le plus possible la vérité des faits, qu’il rectifiera s’il s’est trompé et que son jugement est fondé sur des arguments vérifiables et formé, honnêtement, selon des valeurs explicites.

La DV apporte aussi un canevas pour mesurer la bonne foi de l’auteur, non pas en analysant la qualité intrinsèque de son information : la DV intervient non pas quant au contenu de l’information elle-même (pour respecter la liberté d’expression) mais sur ses modalités de fabrication. Non sur l’objet, mais sur la qualité des outils et des procédures sollicités pour son élaboration. C’est pourquoi elle peut servir à n’importe quelle production d’information. Elle peut même, à l’instar du standard ISAS P 9001, être estimée par un certificateur intervenant pour valider le respect des engagements pris.

La DV est le résultat d’un investissement de recherche de plus de vingt ans dans la question des conditions philosophiques, économiques et politiques d’exercice du métier (voir 2ème document ci-dessous).

 

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