Gilles Labarthe, vous avez publié sur le site de votre agence, mi-février 2008, un article intitulé «Conseils de presse : la France pourrait s´inspirer de "l´exemple" suisse». Je vous sais gré de vous intéresser à cette question qui mobilise trop peu de nos confrères, malgré les bienfaits que nous pourrions tous récolter d’une telle démarche en France. Je souhaite ici développer deux ou trois points en réaction avec le contenu de votre texte.
Soutenir le droit à l’info et la liberté d’expression
Tout d’abord, il me paraît essentiel de souligner que le premier intérêt d’un Conseil de presse serait d’offrir, à nous journalistes, une instance soutenant notre action pour le droit à l’information du lecteur et la liberté d’expression.
En effet, avant même d’être une instance de régulation, le Conseil de presse que nous imaginons aura pour mission essentielle d’être le lieu impartial, ou du moins contradictoire, où les journalistes pourront trouver un soutien et un encouragement à leurs préoccupations déontologiques.
Le premier pouvoir qu’ils ont à affronter devient de plus en plus, non pas seulement le pouvoir politique ou la pression économique et publicitaire, mais celui de leur propre hiérarchie. Celle-ci, en effet, est de plus en plus animée par des gestionnaires plus préoccupés de rentabilité que soucieux de qualité journalistique ou de droit à l’information du public. Hormis dans quelques journaux, la direction des médias, historiquement protectrice des rédactions, est aujourd’hui plutôt la porte parole des propriétaires éditeurs.
Alléger la pression conduisant à l’autocensure
Le deuxième point, dont ont peu conscience la plupart de mes confrères, est qu’un Conseil de presse comportera en son sein des représentants du public. Ces personnes ne seront pas là pour constituer un alibi ni pour amuser la galerie. Leur présence est le moyen indispensable - et presque introuvable autrement - d’échapper à la pression directe (engendrant l’autocensure) des pouvoirs économiques et des éditeurs. Même si ces derniers participeront à l’étude des dossiers, ils ne pourront dicter leur loi, comme ils le font aujourd’hui, sans que les journalistes puissent la discuter à partir des bases éthiques (1). Le public aura son mot à dire. Il sera certainement plus sensible aux arguments journalistiques de qualité et de véracité de l’information qu’aux purs intérêts économiques des entreprises de presse.
Plus de pouvoir contre plus de responsabilité
Troisième point, la présence du public pourra fonctionner comme une garantie donnée à la collectivité que le journaliste accepte de s’expliquer sur ses choix ainsi que sur les conditions de réalisation de ses articles. L’irresponsabilité actuelle des médias, sauf à en répondre devant les tribunaux, est un des principaux reproches faits par le public à notre profession. Celui-ci acceptera d’autant plus facilement que nous ayons plus de pouvoirs et de liberté si nous acceptons, nous aussi, d’éventuellement rendre des comptes devant une instance non corporatiste.
Le Conseil de presse devient par là même un moyen de renforcer notre crédibilité, bien mise à mal ces temps derniers.
Et encore…
Il y a bien d’autres arguments montrant qu’un lieu de débat public sur les questions déontologiques de la presse améliorerait les relations entre la population et les professionnels de l’information : pédagogie sur les normes éthiques et les conditions d’élaboration de l’infirmation, arbitrage, régulation, sanctions symboliques (médiatiques), réflexion sur les évolutions du métier et des besoins du public, etc. Tous ces arguments sont développés sur le site de l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse (APCP).
Enfin, il est parfois reproché aux conseils de presse existants (presque une centaine aujourd’hui dans le monde) leur peu d’influence vu leur absence de pouvoir contraignant. On peut le déplorer en effet. Cela dit, ces organismes sont tous majoritairement soutenus autant par la profession que par le public. Ils ont fait la preuve de leur utilité. Et, dans de nombreux pays où les conseils exercent leur magistère, le nombre de journaux vendus par habitants est nettement supérieur à celui trouvé en France…
Jean-Luc Martin-Lagardette
Journaliste, secrétaire de l’APCP
PS – Dans votre article, vous ayez interviewé un journaliste du Canard Enchaîné qui se dit, comme encore beaucoup de confrères, contre l’idée d’un Conseil de presse. Mais ce journal, qui vit sans publicité, est, pour cette raison précise, un des rares où le mariage entre direction et rédaction peut se consommer sans craindre autre chose que la désaffectation de leurs lecteurs. De ce fait, l’intérêt pour lui d’une telle instance peut être moindre…
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(1) Hormis le cas où la publication comporte, cas encore rare, une société de journalistes. Mais, même dans ce cas, l’arbitrage d’une instance extérieure animée par le souci de l’intérêt du public peut se révéler très précieux.