La nouvelle Charte d’éthique professionnelle des journalistes


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Comme il l´avait décidé à l´issue de son congrès d´octobre 2010, le Syndicat national des journalistes (SNJ) a rédigé sa nouvelle Charte d’éthique professionnelle. Une bonne nouvelle mais une belle occasion ratée.

 

>> Télécharger la nouvelle Charte d´éthique professionnelle des journalistes.

 

Il s’agit de la troisième version de la Charte fondatrice, reconnue depuis 1918 par l’ensemble de la profession, intégrée à l’avenant audiovisuel public de la Convention collective.

 

La précédente version de la Charte datait de 1938. Le SNJ l’a adaptée « à la réalité des pratiques professionnelles du XXIe siècle, compte tenu notamment de la multiplication des supports de diffusion de l’information, tout en réaffirmant les principes que se doit de respecter "un journaliste digne de ce nom" », écrit sur le site du syndicat son premier secrétaire général Alain Girard.

 

>> Cette initiative appelle de ma part trois commentaires  :


- Un, je me réjouis que le texte qui sert de guide à notre profession soit enfin réactualisé. S’il a été absolument indispensable pour rappeler les fondamentaux du métier, il datait en effet fortement et depuis assez longtemps. Les conditions d’exercice du journalisme ont subi depuis 1918 (date du 1er texte) et 1938 (date de sa première révision) plusieurs grandes révolutions, économiques, technologiques et éthiques, et il était temps d’en tenir compte.


- Deux, il comporte de grandes avancées  :

 

      - Il place en toute première exigence « le droit du public à une information de qualité ». Le journaliste exerce son art prioritairement au service du public, et non au service des intérêts de son journal et de ses actionnaires (même s’il doit évidemment en tenir compte)  ;


      - Il nomme plus précisément l’essentiel du travail journalistique  : « Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité  ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du temps et des moyens, quel que soit le support. Il ne peut y avoir de respect des règles déontologiques sans mise en œuvre des conditions d’exercice qu’elles nécessitent ».


      - Il décrit concrètement les grands principes déontologiques  : « Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique  ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles ».


- Mais, en trois, énorme erreur, il décide que le journaliste « n’accepte en matière de déontologie et d’honneur professionnel que la juridiction de ses pairs ». C’est une hypocrisie et un contresens historique. Hypocrisie parce que cette disposition, qui existe depuis 93 ans, n’a jamais reçu le moindre début d’application et n’en recevra jamais. Contresens, parce que l’information est un « bien public » (le public, d’ailleurs, la revendique comme telle). Sa régulation doit aujourd’hui se faire forcément avec le public. Cet oubli, cette peur ou ce mépris du public dans ce domaine signe l’autisme de la profession et contribue encore à étrécir sa crédibilité, déjà moribonde.

 

Et tant qu´il n´acceptera pas un minimum de régulation, et une régulation/médiation ouverte sur la société civile, le journalisme sera considéré comme prétentieux et ringard.


En conclusion, la Charte du SNJ, une magnifique occasion ratée de renouer avec les citoyens  !

 

La Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/38/2011)

Il s’agit ici de la dernière version de la Charte de déontologie, fondatrice de la profession, adoptée par le Comité national en mars 2011, pour le 93e anniversaire du SNJ.

 

Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution française, guide le journaliste dans l’exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre.

Ces principes et les règles éthiques ci-après engagent chaque journaliste, quelles que soient sa fonction, sa responsabilité au sein de la chaîne éditoriale et la forme de presse dans laquelle il exerce.

Cependant, la responsabilité du journaliste ne peut être confondue avec celle de l’éditeur, ni dispenser ce dernier de ses propres obligations.

Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité  ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du temps et des moyens, quel que soit le support. Il ne peut y avoir de respect des règles déontologiques sans mise en œuvre des conditions d’exercice qu’elles nécessitent.

La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources.

La sécurité matérielle et morale est la base de l’indépendance du journaliste. Elle doit être assurée, quel que soit le contrat de travail qui le lie à l’entreprise.

L’exercice du métier à la pige bénéficie des mêmes garanties que celles dont disposent les journalistes mensualisés.

Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte ou exprimer une opinion contraire à sa conviction ou sa conscience professionnelle, ni aux principes et règles de cette charte.

Le journaliste accomplit tous les actes de sa profession (enquête, investigations, prise d’images et de sons, etc…) librement, a accès à toutes les sources d’information concernant les faits qui conditionnent la vie publique et voit la protection du secret de ses sources garantie.

C’est dans ces conditions qu’un journaliste digne de ce nom  :

• Prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, mêmes anonymes  ;

• Respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence  ;

• Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique  ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles  ;

• Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent  ;

• Dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte  ;

• N’accepte en matière de déontologie et d’honneur professionnel que la juridiction de ses pairs  ; répond devant la justice des délits prévus par la loi  ;

• Défend la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique  ;

• Proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources ou la gravité des faits l’obligent à taire sa qualité de journaliste, il prévient sa hiérarchie et en donne dès que possible explication au public  ;

• Ne touche pas d’argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées  ;

• N’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée  ;

• Refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication  ;

• Cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat  ;

• Ne sollicite pas la place d’un confrère en offrant de travailler à des conditions inférieures  ;

• Garde le secret professionnel et protège les sources de ses informations  ;

• Ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge.

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Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article XI)   : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme  : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »

Constitution de la France (article 34)  : « La loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques  ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. »

Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (Munich, 1971)  : le SNJ, qui fut à l’initiative de la création de la Fédération Internationale des Journalistes, en 1926 à Paris, est également l’un des inspirateurs de cette Déclaration qui réunit l’ensemble des syndicats de journalistes au niveau européen.

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