Guru Sai Baba : comment la rumeur peut tuer sur fond d’antisectarisme


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Accusé sans fondement de dérive sectaire liée au guru indien Sai Baba, décédé ce 24 avril 2011, un médecin français s’était suicidé en 2000. La mécanique fut dévoilée sur France 2 l´année suivante mais sans aucune conséquence, malheureusement, sur la funeste politique antisecte.

 


Le Dr Jullien s´était suicidé suite aux rumeurs
persistantes de lien avec le guru Sai Baba
(ci-dessus) qui vient de mourir.

Le grand public ignore largement comment est menée la lutte contre les dérives sectaires. Il fait une confiance aveugle aux institutions mises en place par le gouvernement et aux associations autoproclamées spécialistes de la question.

 

Seuls les groupes visés, les personnes impliquées, des sociologues et quelques esprits indépendants savent à quel point la haine antisecte est fondée sur la rumeur et le mensonge, dans l’arbitraire et l’absence totale de chiffres et de méthodologie.

 

La mort récente de Sai Baba, guru indien connu dans le monde entier, est pour nous l’occasion de revenir sur un drame montrant jusqu’où la calomnie peut aller et comment elle est fonctionne.

 

Pendant des mois, à la fin des années 90, une rumeur a couru selon laquelle le Dr Yves Jullien, médecin respecté de l’Isle-sur-Serein, près d’Avallon (Yonne), aurait été « le gourou d’une secte ». En réalité, le centre Épinoïa dirigé par le Dr Jullien soignait des patients envoyés, entre autres, par l’institution judiciaire et l’hôpital psychiatrique d’Auxerre.

 

Le quotidien local Yonne Républicaine écrivit, le 20 juin 2001 : « Yves Jullien a été piétiné parce qu’il utilisait des techniques thérapeutiques qui lui étaient propres, parce qu’il fonctionnait hors des sentiers battus en compagnie de marginaux qui lui étaient chers. Il dérangeait, même s’il ne s’opposait pas ouvertement au système. Il demandait simplement le droit à la différence. Ce droit lui a été refusé. »

 

En effet, le 6 mars 2000, le Dr Jullien s’était suicidé.

 

Janine Tavernier, alors présidente de l’Unadfi, principale association antisecte française, a tenté de s’expliquer face à l´épouse du médecin disparu dans l’émission de Mireille Dumas sur France 2 "Vie Privée, Vie Publique" du 21 mars 2001. Il nous suffit ici de retranscrire le script de l’émission. Pas besoin de commentaire  :

 

- Mireille Dumas : Maya Blache [épouse du Dr Jullien], tout ce qu’on est en train de dire et le témoignage de M. Guichenet vous parle évidemment très fort puisque vous, votre mari, en tout cas c’est ce que vous dites vous maintenant, aujourd’hui, n’a pas survécu à la rumeur et votre mari s’est suicidé, il y a à peine, il y a neuf mois. Donc je rappelle que vous êtes psychanalyste, vous étiez tous les deux dans un petit village de l’Yonne où vous avez monté un centre thérapeutique qui s’occupait des toxicomanes…

- Maya Blache : Et des psychotiques.

- Mireille Dumas : Plutôt bien accueilli d’ailleurs ?

- Maya Blache : Plutôt bien accueilli, on nous a laissé faire, on nous a laissé être et tout allait bien. Et puis on a commencé à entendre, enfin à nous répéter des rumeurs qui se disaient sur nous. Les premières ont vécu peu de temps et il y en a une, par contre, qui a duré longtemps, et qui dure encore d’ailleurs, qui était la rumeur que nous appartenions à une secte. Alors avec des variantes quelquefois qui citaient que nous étions nous-mêmes sectaires dans le sens où les gens qui venaient chez nous on ne les aurait pas laissés partir comme ils voulaient, etc. Bon, ça nous faisait rire, ça nous faisait rire parce que déjà les gens que nous accueillons nous c’est généralement pas ce qui fait la clientèle des sectes. [...]

- Mireille Dumas : Moi, je voudrais dire simplement, je vous arrête une seconde, Jeanine Tavernier, puisque que vous êtes présidente de l’Unadfi, qui est l’union nationale des associations de défense de la famille et de l’individu contre les sectes, à un moment donné, que vous avez enquêté. Vous avez vous-même enquêté.

- Jeanine Tavernier : On ne fait pas l’enquête. Justement notre rôle est extrêmement difficile, extrêmement périlleux parce que notre association est là pour dénoncer les agissements des sectes, des personnes qui piègent de futures victimes, mais notre rôle aussi est d’accueillir des victimes de sectes…

- Mireille Dumas : Mais là, dans le cas précis de Maya Blache, vous avez quand même porté une conclusion à tout ça, vous dites on ne fait pas d’enquête, mais vous avez donné un avis ?

- Jeanine Tavernier : C’est-à-dire qu’on nous a téléphoné pour dire qu’il paraît qu’une personne qui dirige ce centre ferait partie de je crois que c’était Saï Baba alors que…

- Mireille Dumas : C’est un gourou indien.

- Jeanine Tavernier : C’est un gourou indien, et on a dit que c’était vrai qu’elle avait été quelque temps chez Saï Baba, mais c’est strictement tout. Mais effectivement ça, maintenant, ça pose des problèmes. C’est qu’est-ce qu’on doit dire, qu’est-ce qu’on ne doit pas dire ?

- Mireille Dumas : Maya, son père est indien et je crois, qu’à un moment donné, vous avez rencontré ce fameux gourou indien mais il y a très longtemps. Je peux dire que votre mari n’est jamais allé en Inde.

- Maya Blache : Il n’est jamais allé en Inde, beaucoup de gens autour des années 70, de toute façon, même sans avoir un père indien sont allés en Inde…

- Mireille Dumas : Vous êtes d’accord ?

- Jeanine Tavernier : Oui, bien sûr.

- Mireille Dumas : Donc, que je comprenne, Jeanine Tavernier, c’est pas surtout pour vous mettre en accusation, vous avez juste dit, parce qu’on vous a appelé, « Oui cette femme a connu le gourou indien ».

- Jeanine Tavernier : Voilà, c’est strictement tout.

- Mireille Dumas : C’est peu et c’est beaucoup !

- Jeanine Tavernier : Oui, mais par ce que, si vous voulez, nous sommes sans arrêt sollicités. C’est terrible parce que, dans ce cas-là, c’est vrai que maintenant il faut faire très attention. D’abord, tout ce qu’on dit ça prend des proportions terribles parce que parce que nous-mêmes on est une association connue et reconnue, et je crois qu’il faut qu’on soit encore plus prudent. On a dit oui, il paraît qu’il ou elle aurait été en Inde, elle connaît Saï Baba, c’est tout.

- Mireille Dumas : Mais ça est-ce que maintenant vous le regrettez ?

- Jeanine Tavernier : Mais bien sûr.

- Mireille Dumas : Parce que si je comprends bien, pour que ce soit clair,

vous avez dit  : « Non ce n’est pas une secte ».

- Jeanine Tavernier : Pour nous Saï Baba ce n’est pas une secte, c’est clair. Absolument.

- Mireille Dumas : Vous avez dit : « Non ce n’est pas une secte », mais vous avez dit : « Mais elle l’a connu et rencontré à un moment donné… ».

- Jeanine Tavernier : C’est quelqu’un de chez nous qui à dit, qui a dû répondre, vous savez on fonctionne à Paris, vous savez on a quarante bénévoles, quelqu’un a répondu, ben oui… je ne sais pas…

- Mireille Dumas : Quel effet ça a eu ça ?

- Jeanine Tavernier  : J’espère que ce n’est pas que nous quand même… Cette information, mais c’est très intéressant, ça me permet de réfléchir parce que c’est quand même dramatique.

- Maya Blache : Ce que je pourrais reprocher à la législation qui s’est mise en place par rapport aux sectes, c’est qu’ils ne répondent pas. C’est-à-dire que mon mari quand il en a eu vraiment assez de nous entendre traiter de sectes, il a fait lui-même une démarche auprès de l’interministérielle [Mission Interministérielle de Lutte contre les sectes] en disant : « Voilà ce qui m’arrive, je souhaite que vous fassiez une enquête sur mon établissement pour qu’on dise, une bonne fois, si je suis une “secte” ou si je ne suis pas une “secte” ». Et l’interministérielle a dit : « On ne sait pas, on ne sait pas, on n’est pas sûr, on ne sait pas. » Et ça nous a laissés dans un flou et c’est pire que tout.

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