Déontologie : rapport Cardoso, une occasion manquée


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Politiquement, et historiquement, l’aide publique à la presse se justifie dans la mesure où celle-ci s’engage à respecter une déontologie qui assure la qualité du débat démocratique. Le rapport Cardoso propose de conditionner cette aide au respect de certains critères, comme l’innovation et la maîtrise des coûts. Il fait l’impasse totale sur l’exigence d’éthique, qui seule pourrait rendre sa crédibilité à une presse aujourd’hui très décriée par le public pour ses manquements dans ce domaine.

 


Aldo Cardoso.

Le rapport La Gouvernance des aides publiques à la presse a été remis le mercredi 8 septembre aux ministres du budget et de la communication, François Baroin et Frédéric Mitterrand, par Aldo Cardoso, membre du conseil d´administration d´AXA Investment Managers, d´Orange, Mobistar, Gaz de France, Rhodia, Accor et Imerys. Commandé à l´issue des Etats généraux de la presse en 2009, le texte propose de conditionner les subventions de l´Etat à la presse. L´objectif est de sortir le secteur du « système d´assistance respiratoire permanente ».

 

L’analyse du rapporteur est sans concession. Reconnaissant que la presse connaît une « crise sévère », il écrit  : « Depuis la Libération, le dispositif des aides s’est étoffé, complexifié, sédimenté, et force est de constater que même s’il représente aujourd’hui environ 12 %  du chiffre d’affaires du secteur économique, il n’a pas permis l’émergence ou la présence de titres de presse IPG (information politique et générale, ndlr), forts et indépendants de l’aide publique. De nombreux mécanismes de soutien ont été mis en place, dont l’efficacité globale n’est pas établie (au delà d’avoir permis la survie de titres de presse existants) ».

 

De ce fait, la mission recommande de « faire évoluer en profondeur le  dispositif afin de l’adapter aux besoins d’aujourd’hui,  de consolider et de  faire émerger des entreprises d’information fortes et indépendantes capables d’enrichir l’opinion publique et la vie citoyenne par la production d’enquêtes, d’analyses, de synthèses et d’opinions adaptées à la diversité des publics ».

 

La valeur ajoutée des contenus éditoriaux

 

La mission est convaincue que, « dans le paysage d’une information immédiate et  proliférante, c’est la valeur ajoutée des contenus éditoriaux qui dictera la survie et le  développement d’une presse qui se veut prendre le temps de l’analyse pour transformer  l’énoncé brut des faits en une information de qualité, utile et rare, par conséquent  notoire et recherchée ».

 

Je partage avec le rapporteur cette intuition que « c’est la valeur ajoutée des contenus éditoriaux » qui sauvera la presse. Mais si cette « valeur ajoutée » ne vient pas d’abord de la garantie d’une meilleure éthique, la presse ne pourra que subir, et à son désavantage, les impacts de la révolution technologique en cours.

 

En quoi consiste, pour le rapporteur, cette valeur ajoutée  ?

 

« Le modèle d’une presse généraliste procédant à un traitement indifférencié de  l’information a certainement vécu, et ne perdurera que le temps que son lectorat traditionnel et vieillissant disparaisse peu à peu.

 

- L’avenir de la presse se joue dans sa capacité à réinventer ses contenus, de les « verticaliser » pour les adapter aux ATTENTES d’une nouvelle génération de lecteurs et d’exploiter les opportunités de mise en valeur qu’offrent les nouveaux supports de diffusion pour qu’ils collent à des USAGES en perpétuelle évolution.

 

- Enrichir l’offre de contenus, en favoriser le renouvellement permanent, catalyser l’innovation, en faciliter la diffusion par capillarité, accompagner l’émergence de nouveaux modèles économiques tournés vers l’exploitation des technologies émergentes, au service de la fonction d’information des citoyens, tels doivent être les termes à l’aune desquels se décline la première grande priorité du fonds stratégique ».

 

Pas un mot sur l’éthique  !

 

C´est bien une analyse de manager ! Pas un mot sur l’éthique, la déontologie, la nécessaire régulation des dérives de la presse par une instance indépendante de médiation, par exemple (cf. APCP). Ces attentes sont pourtant très fortes dans la population. Mais ni M. Cardoso, ni les patrons de presse, ni même la plupart de mes confrères n’ont vraiment pris conscience de cette immense frustration dans le cœur du public  : les médias n’ont d’autre garde-fou, finalement, que les tribunaux. Bien insuffisant pour rassurer les citoyens qui ragent de voir se répandre impunément rumeurs, accusations non fondées, calomnies, mensonges par omission, publicités déguisées, bidonnages, etc.

 

Or, il serait facile de conditionner les aides publiques (nos impôts…) à la presse à un certain nombre de critères éthiques que les journaux s’engageraient à respecter, outre ceux déterminés par la CPPAP, comme  :

 

- Publication annuelle des comptes

- Charte des engagements éthiques, dont celui de l’indépendance rédactionnelle, la déclaration d’intérêts le cas échant, la publicité toujours clairement identifiée, le refus des cadeaux, le devoir de rectification des erreurs, etc.

- Publication d’un rapport annuel sur le suivi de ces engagements

- Direction constituée de (ou comportant au moins un) journalistes

- Existence d’un médiateur avec rubrique indépendante, gérant le courrier, les réclamations et le droit de réponse des lecteurs

- En cas de voyage en tant qu’invité, le journaliste l’indique dans son article, etc.

 

Ces exigences paraissent aujourd’hui exorbitantes à la plupart de mes confrères et de leurs patrons, car ils n’ont pas encore pris conscience de leur vraie responsabilité, celle, pourtant, qui justifie qu’ils reçoivent chaque année près de deux milliards d’euros d’argent public, au titre de la qualité du débat public…

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