Enquête Liberté de pensée

9 – « Ils osent refuser à l’Eglise le droit d’exercer la censure ! »


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

L’Eglise, avec sa mentalité de l’époque, opposa un rejet violent à la liberté de la presse revendiquée par la Révolution. Et ce, avec une brutalité et une bonne conscience qui nous paraissent aujourd’hui proprement surréalistes. Et des listes de « sectes » sont déjà dressées par les autorités.

L'Index des livres interdits par l'église catholique ne cessa d'être une liste officielle qu'en 1966 !

L'Index des livres interdits par l'église catholique ne cessa d'être une liste officielle qu'en 1966 ! De grands philosophes comme Kant ou Sartre avaient "l'honneur" d'y figurer...

Dans son encyclique Mirari vos, le pape Grégoire XVI vante la création du fameux Index, liste de livres interdits car contenant de « mauvaises doctrines » : « Mais bien différente a été la discipline de l’Église pour l’extinction des mauvais livres, dès l’âge même des Apôtres. Nous lisons, en effet, qu’ils ont brûlé publiquement une grande quantité de livres (Act. Apost. XIX). Qu’il suffise, pour s’en convaincre, de lire attentivement les lois données sur cette matière dans le Ve Concile de Latran et la Constitution publiée peu après par Léon X, notre prédécesseur d’heureuse mémoire, pour empêcher "que ce qui a été heureusement inventé pour l’accroissement de la foi et la propagation des arts utiles, ne soit perverti en un usage tout contraire et ne devienne un obstacle au salut des fidèles". Ce fut aussi l’objet des soins les plus vigilants des Pères de Trente ; et pour apporter remède à un si grand mal, ils ordonnèrent, dans le décret le plus salutaire, la confection d’un Index des livres qui contiendraient de mauvaises doctrines. "Il faut combattre avec courage", disait Clément XIII, notre prédécesseur d’heureuse mémoire, dans sa lettre encyclique sur la proscription des livres dangereux, "il faut combattre avec courage, autant que la chose elle-même le demande, et exterminer de toutes ses forces le fléau de tant de livres funestes ; jamais on ne fera disparaître la matière de l’erreur, si les criminels éléments de la corruption ne périssent consumés par les flammes".

"Des doctrines qui ébranlent la soumission due aux princes"

Le premier de tous les index des livres interdits est publié en 1544 par la Faculté de théologie de l'Université de Paris.

Le premier des index des livres interdits est publié en 1544 par la Faculté de théologie (Université de Paris).

« Par cette constante sollicitude avec laquelle, dans tous les âges, le Saint-Siège Apostolique s’est efforcé de condamner les livres suspects et dangereux et de les arracher des mains des hommes, il apparaît clairement combien est fausse, téméraire, injurieuse au Siège Apostolique, et féconde en grands malheurs pour le peuple chrétien, la doctrine de ceux qui, non contents de rejeter la censure comme trop pesante et trop onéreuse, ont poussé la perversité, jusqu’à proclamer qu’elle répugne aux principes de la justice et jusqu’à refuser audacieusement à l’Église le droit de la décréter et de l’exercer. Nous avons appris que, dans des écrits répandus dans le public, on enseigne des doctrines qui ébranlent la fidélité, la soumission due aux princes et qui allument partout les torches de la sédition ; il faudra donc bien prendre garde que trompés par ces doctrines, les peuples ne s’écartent des sentiers du devoir. »

Déjà, des "listes noires" de sectes contre les "enfants de Bélial" et autres déviants

L’encyclique Mirari vos évoque également « les extravagances coupables et les désirs criminels » d’un certains nombre de sectes, Vaudois, Béguards, Wicléfistes et « autres semblables enfants de Bélial[1], la honte et l’opprobre du genre humain (qui) pour ce motif, furent, tant de fois et avec raison, frappés d’anathème par le Siège Apostolique. Si ces fourbes achevés réunissent toutes leurs forces, c’est sûrement et uniquement afin de pouvoir dans leur triomphe se féliciter, avec Luther, d’être libres de tout ; et c’est pour l’atteindre plus facilement et plus promptement qu’ils commettent avec la plus grande audace les plus noirs attentats ».

On comprend, ajoute le texte papal, que ces “fils du diable” demandent avec force « la séparation de l’Église et de l'État, et la rupture de la concorde entre le sacerdoce et l’empire. Car c’est un fait avéré, que tous les amateurs de la liberté la plus effrénée redoutent par-dessus tout cette concorde, qui toujours a été aussi salutaire et aussi heureuse pour l’Église que pour l'État ».

Ces personnes et ces groupes étaient considérés comme des hérétiques[2]. Après l’édit de Constantin Ier en 313 et le concile de Nicomédie en 317, le dogme chrétien est défini comme norme de la "vraie foi", par réaction aux "déviances" des hérétiques. Plus tard, la bulle Gratia Divina (1656) définit l’hérésie comme « la croyance, l’enseignement ou la défense d’opinions, dogmes, propos, idées contraires aux enseignements de la sainte Bible, des saints Évangiles, de la Tradition et du magistère. »

Etre déclaré "hérétique" pouvait conduire à être brûlé par la "sainte" Inquisition.

Etre déclaré "hérétique" pouvait conduire à être brûlé par la "sainte" Inquisition.

Les hérétiques étaient considérés par les croyants orthodoxes comme pires que les débauchés et les Sarrasins. Innocent III, dans ses lettres, les appelait « scorpions, démons et cancer ». Saint-Bernard les traitait de « chiens qui mordent et de renards qui trompent » (De Consideratione, III, 1). Malgré quelques voix s’opposant à l’exécution juridique de ces « faux catholiques », l’hérésie était vue comme une maladie : les membres gangrenés devaient être retranchés et donc les dissidents mis à mort.

Déjà, des listes de sectes étaient dressées. Le code de Frédéric Il (1238) en énumère dix-neuf ; le chroniqueur franciscain de Parme Salimbène en compte cent trente. Les Cathares (ou hérétiques manichéens) forment parmi elles une importante classe distincte. Mais il y avait aussi les Vaudois, les Humiliati (dissidents évangéliques), les Amauriens (panthéistes), les Béguines et les Béguards (réformateurs), etc.

On voyait également s’affirmer des gourous avant l’heure, appelés alors “prédicateurs” ou “iconoclastes”, comme Pierre de Bruys, Henri de Lausanne, Eudes et Tanchelme, etc.[3]

[1] Bélial, roi de l’Enfer.

[2] Une hérésie (du grec hairesis, choix, préférence pour une doctrine) est d'abord une école de pensée. La traduction latine en est secta, secte. L'Antiquité n'attachait pas de valeur péjorative à ces termes.

[3] Voir Histoire du christianisme - Le Moyen Âge, Paul Fargues, 1934.

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10 - La foi contre la raison versus la foi en la raison

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