Enquête Liberté de pensée

17 – Pour un « marché » libre des cultes et des convictions


Par Jean-Luc Martin-Lagardette

Si les religions savaient s’ouvrir réellement à l’universel, les « sectes » n’auraient plus lieu d’exister. On pourrait tous s’accorder sur la notion transcendantale d’Humanité, chacun rendant le culte qui lui plaît comme il lui plaît, y compris, pourquoi pas ? le culte de la « raison » par l’athée… Tous se faisant concurrence à égalité de droits.

La question de la place des minorités spirituelles (appelées « sectes » par leurs contempteurs) dans la société démocratique moderne est plus profonde qu’on veut bien le faire croire. En effet, il conduit d'abord à s’interroger sur les règles et modalités du vivre ensemble de citoyens partagés entre trois grandes catégories : les croyants, les athées et les « ne savent pas ».

Le problème, c’est que les croyants sont incapables de s’entendre sur ce qu’est Dieu.

symboles-religieuxS’il n’y a un seul Dieu, aux dires d’une grande majorité de croyants, il ne devrait y avoir qu’une seule religion.

Ou alors, pourquoi pas une religion par croyant ? Pourquoi se limiter à moins de dix, comme en France ? Pourquoi en compte-t-on 250 ou 300 dans le monde ?

Ne pouvons-nous pas tirer les leçons du passé et tenter de dépasser la notion même de religion tout en gardant l’essentiel des valeurs qui s’y rattachent ? Ne sommes-nous pas mûrs, à l’heure de la mondialisation effective, pour une pensée commune, mais non unique, sur les fondamentaux humains ?

Ne pouvons-nous pas rapprocher les points de vue entre ceux qui croient en un Dieu et les autres ? En attendant, il faut faire avec le présent.

Pour une « véritable liberté des cultes »

Nous avons en France un ensemble de religions et de mouvements, les uns officiellement « reconnus » (les associations cultuelles), d’autres plus ou moins, d’autres enfin stigmatisés.

Dans un article paru dans les pages Débats du Monde[1], Jean-Arnold de Clermont, alors président de la Fédération protestante de France et de la Conférence des églises européennes, plaidait pour une adaptation à la « nouvelle configuration religieuse » de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État. En effet, « aux quatre cultes reconnus par le Concordat et les articles organiques, toujours en vigueur en Alsace et Moselle, à savoir les cultes catholique, juif, luthérien et réformé, se sont ajoutés les cultes orthodoxe, musulman, évangélique et pentecôtiste, et des cultes orientaux, dont le bouddhisme. »

Or, les résistances sont fortes pour accueillir de nouveaux postulants au titre de « nouvelles religions ». Même sans parler des sectes !

Le pasteur pointe par exemple « la mauvaise volonté de bien des municipalités » face au désir de communautés protestantes désireuses d’acheter un local commercial pour le transformer en lieu de culte : « Il faut dire qu’il s’agit souvent de communautés évangéliques, de Français issus de l’immigration… Tout ce qu’il faut pour être suspecté d’être une “secte”. »

M. de Clermont plaide alors pour une « véritable liberté des cultes », liberté que « des responsables politiques ou privés remettent en question. De même se manifeste une volonté de reléguer le religieux dans la sphère du privé. Plus encore se dessine la volonté de certains de ne connaître que le religieux “modéré” (et qui détermine ce qui est modéré, dès lors que les lois de la République sont respectées ?) et l’identifiable, c’est-à-dire ce qui ressemble à l’idée a priori que l’on s’en fait. »

On le sait, la non-reconnaissance d’aucun culte par la République est détournée de plusieurs façons. Elle n’existe vraiment que sur le papier du Journal Officiel à l’article 2 de la loi de 1905 (« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »).

Une gestion laïque de la transcendance

Ceci dit, est-il possible d’imaginer une gestion de la transcendance qui demeure laïque, qui permette de faire de la place à toutes les idées ? Qui respecte à la fois le traditionnel et le nouveau, le classique et l’original, l’athée et le croyant ? Certains le croient.

Si l’on s’amusait à pousser à fond la teneur de l’article 2 de la loi de 1905 (« La République ne reconnaît… aucun culte »), le paysage “religieux” (au sens large) français pourrait se trouver profondément remanié.

Charles de Laubier. (DR)

Charles de Laubier. (DR)

C’est ce qu’a fait le journaliste Charles de Laubier, également dans une tribune du Monde. Sous le titre « Pour un marché libre des cultes »[2], il propose de s’inspirer des déréglementations intervenues dernièrement dans de multiples domaines (audiovisuel, gaz et électricité, chemins de fer, services, etc.) pour « créer en France les conditions réglementaires et concurrentielles d’une véritable libéralisation des religions ». L’ouverture de ces marchés et l’abolition de leurs monopoles pourraient être riches d’enseignement : « Ne serait-ce pas la bonne façon de favoriser le libre développement spirituel de chacun, de manière loyale, transparente et non discriminatoire ? ».

Certes, le catholicisme n’a plus le monopole religieux, mais il reste en position dominante avec 40 millions de personnes se proclamant de cette obédience. Parmi les « nouveaux entrants » tentant de conquérir des « parts de marché, prosélytisme aidant », on trouve 4,5 millions de musulmans, qui viennent d’obtenir une considération forte de l’Etat. Les 800 000 protestants, 700 000 bouddhistes et 600 000 juifs font figures de « religions alternatives ».

« Tous logés à la même enseigne » ?

Mais beaucoup aimeraient profiter de ce mouvement de libéralisation pour « pratiquer plus ouvertement leur culte, se rassembler publiquement et convertir de nouveaux membres. Les orthodoxes, les évangélistes, les hindouistes, les mormons, les scientologues, les témoins de Jéhovah ou les autres églises d’Afrique et d’ailleurs : tous veulent être logés à la même enseigne, y compris en termes d’avantages fiscaux, dans une France ouverte et tolérante. »

M. de Laubier propose la création d’une Autorité de régulation des religions, sur le modèle du CSA pour l’audiovisuel. Indépendante de l’Etat et des églises, cette ARR délivrerait les statuts d’associations cultuelles, arbitrerait, sanctionnerait autant les dérives sectaires que les discriminations pour opinion religieuse, etc.

« Il est de la responsabilité d’un Etat laïque de lever les obstacles à l’entrée qui pénaliserait tel ou tel mouvement religieux. Encore faut-il édicter des règles applicables à toutes les religions, dans le respect des valeurs de la République, ainsi que des obligations imposables aux cultes dits “puissants”. »

La proposition la plus intéressante, puisqu’elle est invitation à un œcuménisme très concret, consiste permettre aux autres religions qui lui demanderaient, notamment celles en descendance d’Abraham, à bénéficier d’un « droit d’accès, dans des conditions raisonnables », aux églises catholiques. « à l’instar de France Télécom – obligé d’ouvrir sa boucle locale aux opérateurs alternatifs, lesquels sont dans l’impossibilité de dupliquer un tel réseau national – la religion catholique ne pourrait-elle pas, en tant qu’opérateur historique, accepter le dégroupage de ses lieux de culte ? »

Pionnière sur le chemin des Lumières

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Comme sur une centaine d'églises de France, sur le frontispice de l'église de Charenton-le-Pont (Val-de-Marne) s'affiche la devise républicaine et, plus rare, la mention : "Propriété communale".

Et pourquoi pas imaginer que ces bâtiments, - qui, rappelons-le, sont propriété collective des Français et donc financés avec nos impôts -, pourquoi ces bâtiments ne seraient pas aussi ouverts aux athées, aux agnostiques, aux libres penseurs, dès lors qu’ils le souhaiteraient et qu’ils respecteraient les autres pensées ? Toute association ayant son fondement dans la promotion d’une vision de l’homme particulière[3] pourrait bénéficier des locaux appartenant à l’Etat ou aux communes.

Une telle ouverture des églises aux “concurrents” historiques des catholiques semble inexorable, même si, sans doute, elle prendra un certain temps à se mettre en place dans notre pays. En raison de la résistance des cultes déjà en place qui ne tiennent pas à se trouver en lice avec de nouveaux arrivants souvent plus pugnaces qu'eux. Et en raison des autorités qui craindraient d’ouvrir la boîte de Pandore.

La France s’honorerait de défendre ainsi activement, et de façon non discriminatoire, la liberté de pensée et des cultes. En favorisant la mise à disposition de tous les sanctuaires lui appartenant (cela vaudrait également pour ses bâtiments mis à disposition de toutes les confessions), elle ouvrirait une voie vraiment universelle.

Voilà ce que serait une France toujours pionnière sur le chemin des Lumières…

[1] Du 16 février 2005.

[2] Le Monde du 2 décembre 2005.

[3] Dans le respect des principes fondamentaux de la République.

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